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— Il s’était abrité dans une maison près du fleuve. Votre maison, m’a-t-il dit. Pourquoi tiriez-vous sur lui ? Est-il un criminel ? Essaie-t-il de dérober quelque chose dans votre mine ?

À cela, le jeune Africain se mit à rire. Thorensen hocha la tête, le visage dénué d’expression. Ses manières étaient furtives, ambiguës, comme s’il n’était pas sûr de lui-même ni de ce qu’il devait faire de Sanders.

— C’est bien pire. Ventress est fou, complètement détraqué. Il se détourna, commença à monter les marches et fit un signe à Sanders, comme s’il allait le laisser trouver son chemin lui-même dans la forêt. Soyez prudent, on ne sait ce que va faire la forêt. Ne vous arrêtez pas de marcher, tournez sur vous-même.

— Attendez ! Je voudrais me reposer ici et j’ai besoin d’une carte. Il faut que je trouve cet hôtel Bourbon.

— Une carte ? À quoi cela vous servirait-il à présent ? Thorensen hésita, jeta un coup d’œil au pavillon, soucieux, comme si Sanders pouvait en souiller la lumineuse blancheur.

Sanders laissa faiblement tomber ses bras le long de son corps. Thorensen haussa les épaules et fit signe à ses deux hommes de le suivre.

— Thorensen ! Le médecin fit un pas en avant et montra le jeune Africain à la jambe bandée. Laissez-moi regarder son pansement, il se sentira mieux. Je suis médecin.

Les trois hommes sur la véranda se retournèrent ensemble, et le gros mulâtre regarda Sanders avec intérêt, ses yeux bilieux eurent une expression calculatrice. Thorensen observait Sanders comme s’il le reconnaissait enfin.

— Vous êtes médecin ? En effet, je m’en souviens, Radek l’avait dit. Bien, et alors, docteur ?

— Sanders. Je n’ai rien avec moi, pas de médicaments.

— Cela ne fait rien, docteur. C’est parfait, au contraire. Il hocha encore la tête, indécis, ne sachant s’il devait faire entrer Sanders dans le pavillon. Puis il se radoucit. Bon, docteur, vous pouvez entrer pour cinq minutes. J’aurais peut-être quelque chose à vous demander.

Le Dr Sanders monta les marches de la véranda. La gloriette n’était faite que d’une seule pièce circulaire, avec une petite cuisine et une resserre sur le derrière. De lourds volets avaient été posés aux fenêtres, ils étaient à présent scellés aux châssis par les cristaux interstitiels et la seule lumière venait de la porte.

Thorensen jeta un dernier coup d’œil à la forêt, puis remit son revolver dans son étui. Les deux Africains se dirigèrent vers l’arrière du pavillon et Thorensen tourna la poignée de la porte. À travers les vitres de verre dépoli, le Dr Sanders discerna les contours d’un haut lit à colonne ; c’était évidemment celui qu’on avait enlevé de la chambre à coucher de la grande maison où Ventress et lui s’étaient abrités de l’orage. Des Amours dorés jouaient sur le baldaquin d’acajou, pipeaux aux lèvres, et les colonnes étaient quatre cariatides nues aux bras levés. Thorensen s’éclaircit alors la gorge.

— Madame… Ventress, expliqua-t-il enfin à voix basse.

III. Serena

Ils baissèrent les yeux sur celle qui occupait le lit, adossée à un gros coussin de satin, sa main fébrile sur la courtepointe de soie. Le Dr Sanders crut d’abord regarder une femme âgée, sans doute la mère de Ventress. Puis il se rendit compte qu’en fait c’était à peine plus qu’une enfant, une jeune femme aux alentours de la vingtième année. Ses longs cheveux blond platine reposaient sur un châle blanc couvrant ses épaules, et son mince visage aux hautes pommettes se levait vers la maigre lumière. Elle avait pu naguère posséder une nerveuse beauté de porcelaine, mais sa peau ravagée, la lumière faiblissante de ses yeux mi-clos, lui donnaient l’apparence d’un être surnaturellement vieilli et rappelèrent au Dr Sanders ses malades dans la salle des enfants à l’hôpital près de la léproserie, quelques minutes avant la mort.

— Thorensen. Sa voix fêlée s’éleva dans la demi-obscurité ambrée. Il fait de nouveau froid. Ne pouvez-vous allumer du feu ?

— Le bois ne veut pas brûler, Séréna. Il est transformé en verre. Thorensen restait debout au pied du lit, les yeux baissés sur la jeune femme. Avec sa veste de cuir, il ressemblait à un policier mal à son aise, de garde dans une chambre de malade. Il défit la fermeture de sa veste. Voilà ce que je vous ai apporté, Séréna. Cela vous aidera.

Il se pencha en avant, cachant quelque chose au Dr Sanders. Puis il répandit plusieurs poignées de pierres précieuses rouges et bleues sur la courtepointe. Des rubis et des saphirs de toutes les tailles qui étincelèrent d’un éclat fiévreux dans la lumière de l’après-midi finissant.

— Thorensen, merci. La main libre de la jeune femme glissa sur la courtepointe vers les pierres. Son visage enfantin prit une expression de cupidité rusée. Ses yeux devinrent étrangement sournois et Sanders sentit pourquoi le solide propriétaire de la mine la traitait avec tant de déférence. Elle saisit une poignée de joyaux, les porta à son cou, les pressa contre sa peau où les meurtrissures eurent l’air de marques de doigts. Leur contact parut la faire revivre, elle bougea les jambes, des pierres glissèrent à terre. Elle leva les yeux vers Sanders, puis se tourna vers Thorensen.

— Sur quoi tiriez-vous ? demanda-t-elle au bout d’un instant. J’ai entendu un coup de fusil, cela m’a donné mal à la tête.

— Sur un crocodile, tout simplement, Séréna. Il y a quelques crocodiles qui sont joliment malins aux alentours, il faut que je les surveille.

La jeune femme hocha la tête et, de la main qui serrait encore les joyaux, désigna Sanders.

— C’est un médecin, Séréna. Le capitaine Radek l’a envoyé, il n’y a rien à craindre.

— Mais vous disiez que je n’ai pas besoin de médecin ?

— Bien sûr, Séréna, je le sais. Le Dr Sanders n’a fait qu’entrer en passant, pour examiner un de nos hommes. Pendant ce laborieux catéchisme Thorensen pétrissait les revers de sa veste, ses yeux faisaient le tour de la pièce, sans jamais s’arrêter sur Séréna.

Sanders se rapprocha du lit, pensant que Thorensen le laisserait maintenant examiner la jeune femme. Sa respiration de tuberculeuse et sa grave anémie le dispensaient d’un diagnostic plus approfondi mais il tendit la main pour prendre son poignet.

— Docteur… Sous le coup d’une impulsion confuse, Thorensen l’écarta du lit. Il eut un geste vague de la main, puis fit signe à Sanders d’aller vers la porte de la cuisine. Un peu plus tard, docteur, nous verrons. D’accord ? Puis il se retourna vivement vers la jeune femme. Reposez-vous à présent, Séréna.

— Mais, Thorensen, il me faut davantage de ces pierres, vous ne m’en avez apporté que quelques-unes aujourd’hui. Sa main, comme une serre, chercha sur la courtepointe les joyaux pris dans le coffre-fort par Thorensen et le mulâtre au début de l’après-midi.

Sanders allait protester, mais la jeune femme leur tourna la tête et parut glisser dans le sommeil, les joyaux gisant comme des scarabées sur la peau blanche de son cou.

Thorensen donna un coup de coude et ils passèrent dans la cuisine. Avant de refermer la porte, Thorensen regarda encore la jeune femme avec des yeux tristes, comme redoutant de la voir tomber en poussière s’il la quittait.

— Mangeons quelque chose, fit-il, à peine conscient de la présence de Sanders.

Au fond de la cuisine, près de la porte, le mulâtre et l’Africain nus étaient assis sur un banc, à moitié endormis sur leurs armes. La cuisine était presque vide. Sur le poêle froid se trouvait un réfrigérateur débranché. Thorensen en ouvrit la porte et vida sur les étagères le reste des bijoux contenus dans sa Poche. Ils scintillèrent comme des cerises au milieu d’une demi-douzaine de boîtes de bœuf et de haricots. Une gelée légère, luisante, couvrait l’extérieur émaillé du réfrigérateur, et presque tout ce qui se trouvait dans la cuisine, mais les parois intérieures en étaient dépourvues.