Выбрать главу

Le bar où Louise et lui étaient entrés la veille était encore ouvert. Dans l’allée en face de l’entrée deux jeunes Africains en pantalon de toile bleue rôdaient autour d’une auto abandonnée, et l’un d’eux s’assit sur le capot devant le pare-brise. Quand Sanders entra dans le bar, ils l’observèrent avec une indifférence étudiée.

Le bar était presque vide. Au fond, un directeur de plantation européen et son contremaître africain parlaient à deux des marchands métis de la ville. Sanders alla avec son verre de whisky dans l’alcôve près de la fenêtre et regarda de l’autre côté du fleuve, calculant le moment où le satellite ferait sa deuxième apparition.

Il pensait encore aux feuilles gemmées qu’il avait vues dans le marché cet après-midi-là, quand quelqu’un toucha son épaule.

— Docteur Sanders, vous vous couchez tard ?

Sanders tourna la tête et vit Ventress en costume blanc qui se penchait vers lui avec son ironique sourire familier. Il se rappela leur altercation de la veille.

— Non, Ventress, pour moi il est tôt, je suis en avance d’un jour sur vous.

Ventress hocha la tête avec enthousiasme, comme s’il était heureux que Sanders eût pris sur lui l’avantage, si même ce n’était qu’en parole. Bien que debout, il parut à Sanders qu’il avait rapetissé, avec sa veste boutonnée sur son étroite poitrine.

— Parfait, Sanders, parfait. Ventress jeta un coup d’œil aux tables vides. Puis-je m’asseoir avec vous un moment ?

— À vrai dire… Sanders ne fit aucun effort pour être aimable. L’incident du revolver lui rappela l’élément de calcul en tout ce que faisait Ventress. Après les heures qu’il venait de passer avec Louise, la dernière personne qu’il souhaitait auprès de lui était Ventress avec ses manières de fou. Si vous pouviez… continua-t-il.

— Mon cher Sanders, je ne veux pas vous gêner. Je resterai debout. Et il continua à parler ignorant le dos à demi tourné de Sanders. Vous êtes tout à fait sensé, docteur. Les nuits à Port Matarre sont bien plus intéressantes que les journées. N’est-ce pas ?

Sanders regarda autour de lui, ne sachant trop ce que voulait dire Ventress. L’homme qui guettait sous les arcades en face de l’hôtel quand Louise et lui étaient montés aurait pu être Ventress.

— Oui, en un certain sens.

— L’astronomie n’est pas un de vos passe-temps, par hasard ? demanda Ventress en se penchant sur la table avec son sourire moqueur.

— J’ai vu le satellite, si c’est à cela que vous faites allusion. Dites-moi, comment expliquez-vous cette soudaine augmentation de taille et de luminosité ?

— Une grande question, docteur, fit Ventress en hochant la tête sagement. Pour y répondre il me faudrait littéralement, j’en ai peur, tout le temps du monde.

Avant que Sanders pût l’interroger, la porte s’ouvrit et un des jeunes Africains qu’il avait vus près de l’auto entra. Ventress et lui échangèrent un rapide coup d’œil et il ressortit.

Ventress alors s’inclina rapidement devant Sanders et prit sa valise de crocodile dans l’alcôve derrière le médecin. Avant de sortir, il s’arrêta pour lui dire un dernier mot.

— Tout le temps du monde ! Souvenez-vous de cela, docteur.

Se demandant ce que Ventress pouvait bien vouloir cacher derrière ces énigmes, le Dr Sanders finit son whisky. La silhouette blanche de Ventress, valise à la main, disparut dans l’obscurité près des jetées, les deux Africains marchant rapidement en avant de lui.

Sanders lui donna cinq minutes pour partir, présumant que Ventress allait à Mont Royal en bateau, loué ou volé. Il le suivrait bientôt, mais il était content de rester seul à Port Matarre. La présence de Ventress ajoutait en quelque manière un inutile élément de hasard aux dessins déjà confus des arcades et des ombres, comme une partie d’échecs où chaque joueur eût soupçonné qu’il y avait une pièce cachée sur l’échiquier.

Passant près de l’auto abandonnée, Sanders remarqua une certaine agitation au centre du port indigène. La plupart des feux avaient été éteints. On en allumait d’autres en les éventant et les flammes dansaient sur les eaux troublées par les bateaux agités. Les passerelles s’entrecroisant au-dessus des jetées se balançaient sous le poids d’hommes qui couraient. Ils se lançaient contre le garde-fou, se poursuivaient d’un bord à l’autre comme des navettes.

Sanders se rapprocha de l’eau. Il aperçut alors le petit Ventress vêtu de blanc qui se faufilait au milieu des poursuivants comme une araignée prise au piège d’une toile effondrée. Ventress cria quelque chose au jeune homme qui portait sa valise sur la passerelle à dix mètres de lui. Un grand mulâtre aux cheveux coupés ras, vêtu d’une chemise kaki s’élançait vers eux, tenant dans sa main couturée de cicatrices un morceau de tuyau d’arrosage lesté de plomb. Derrière Ventress, l’autre jeune Africain, battu par deux hommes en chemises de coton sombre, gisait par terre sur la passerelle. Des couteaux luisaient dans leurs mains. Le jeune homme réussit à leur donner des coups de pied, et se relevant, fit un bond de côté à travers la passerelle comme un poisson qui se débat quand on va le vider. Il sauta dans un bateau au-dessous, une longue déchirure à la jambe de son pantalon de toile. Tentant d’arrêter de la main le sang qui coulait, il réussit à grimper dans un bateau, atteignit la jetée, puis s’enfuit au milieu des balles de poudre de cacao.

Sur la passerelle au-dessus, Ventress hurla de nouveau. Le jeune garçon portant sa valise la souleva, s’en protégea tandis que le mulâtre lui lançait un coup de tuyau d’incendie sur la tête. Envoyant la valise en l’air devant lui, le jeune homme glissa sous le garde-fou et fut projeté dans la deuxième rangée de bateaux amarrés à la jetée, où il écrasa un toit de rotin. La niche s’effondra dans une mêlée de couvertures et de bidons de pétrole renversés. On vit d’étincelantes lueurs quand une cachette de bijoux cristallins fut exposée aux feux des autres bateaux.

En observant les brillants joyaux reflétés dans les eaux agitées du port tandis que la rangée de bateaux tournait sur ses amarres, Sanders entendit, plus forte que les autres bruits, la détonation. Son revolver automatique en main, Ventress était accroupi sur la passerelle. Il tira de nouveau sur le mulâtre à la matraque, lequel recula jusqu’au quai sur une passerelle de débarquement. Ventress regarda par-dessus son épaule les deux hommes derrière lui, immobiles contre le garde-fou, leurs corps sombres presque invisibles, puis remit son revolver dans l’étui et se laissa tomber de la passerelle sur le pont du bateau au-dessous de lui.

Sans faire attention au propriétaire du bateau, un petit Africain aux cheveux gris qui tentait de rassembler la moisson de feuilles cristallines éparpillée autour de lui dans le fond du bateau, Ventress retourna le toit, fait d’un tréteau couvert d’une couverture. Ses deux aides avaient disparu au milieu des bateaux entre les deux jetées, mais Ventress avait l’air de ne penser qu’à une chose : retrouver sa valise. Il alla d’un bateau à l’autre, soulevant d’un coup de pied les tentes de toiles, tenant en respect de son revolver les occupants. Un sillage de joyaux lumineux le suivait. Les trois hommes sur la passerelle au-dessus de lui baignaient dans l’éclat de cette lumière.