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Le long corridor au tapis rouge. Toilettes, salle de bains. Puis l’odeur des antiseptiques, enfer d’hôpital qui fit faire la grimace à Cathy. Ensuite, une porte fermée, suivie de deux autres, au fond, sur la droite.

— Je vous en prie, fit Adeline en ouvrant.

— Merci, répliqua David avec un sourire de politesse.

Avant d’entrer, Cathy tourna la tête vers la rouquine, qui s’éloignait.

— Elle a besoin de rouler des fesses comme ça, celle-là ?

— Oh ! Je t’en prie. Pas ici…

— On pouvait se retrouver qu’à deux, mais non… Une autre fille… Y a toujours un truc qui cloche. Ça promet…

— Pour une fois, j’espère que tu mettras de côté ta jalousie.

David posa Clara, son sac à dos, inspira un grand coup. Puis il s’élança sur le lit. La petite l’y rejoignit en piaillant.

— Alors ! Géniale la chambre, non ?

Cathy tourna sur elle-même. Lambris, parquet, poutres. Tons chauds. Nid douillet au cœur de la forêt.

— Plutôt pas mal, ouais. Un peu rudimentaire, mais… elle est grande…

— Et le lit a l’air de ne pas trop grincer !

Cathy se dirigea vers la fenêtre en haussant les épaules. L’obscurité s’installait déjà. Seize heures…

— Même de ce côté-ci, il y a des piquets à bout rouge. Bizarre, quand même… Je savais pas qu’il y avait des lynx en Allemagne.

Elle demanda à David :

— Tu peux me donner les photos ?

— Pour quoi faire ?

— Donne, c’est tout !

David fouilla dans la poche de son caban, en sortit les clichés et les lui tendit. Cathy les observa attentivement, en retournant vers la fenêtre.

— Je m’en doutais… À l’époque, pas de pièges à loups !

— Peut-être pas de lynx, tout simplement. Ils ne débarquent sans doute que l’hiver, puisqu’il a dit qu’ils venaient du nord.

Cathy fronça les sourcils.

— Et… Attends… Oui, c’est bien ça ! Il y a quelque chose qui me tracassait, quand on est arrivés, mais je n’arrivais pas à trouver quoi.

— Quoi ?… soupira David.

— Les grandes vitres, sur la façade !

— Et alors ?

— Des vitres, mais pas de volets ! Or, il y en avait, sur les photos !

Elle voulut ouvrir la fenêtre, mais un verrou l’en empêcha. Elle plaqua son visage contre le carreau.

— Et pareil pour notre chambre, apparemment. Pas de volets.

— Quelqu’un les a peut-être démontés pour les traiter ou pour les peindre ? Ou alors, ces photos datent d’il y a plusieurs années ? Qu’est-ce que j’en sais ! Bon ! On retourne dans le salon ?

Cathy frappa doucement du poing sur la vitre. Plexiglas.

— Vas-y avec Clara… répliqua-t-elle. Je vous rejoins. Je voudrais me passer de l’eau sur le visage…

La minute d’après, elle s’enfermait dans les toilettes et baissait son jean. La présence d’abondants saignements l’effraya. Après s’être nettoyée, elle sortit un comprimé blanc d’Exacyl, l’avala sans eau et renfonça la boîte bien au fond de sa poche. Cette boîte, il faudrait la cacher en lieu sûr, ou jeter l’emballage.

Si David tombait dessus… Des cachets censés freiner les hémorragies… Pas besoin d’un dessin pour comprendre.

Elle se rassura, néanmoins. Hormis le sang – elle prétendrait avoir ses règles s’il voulait faire l’amour –, aucune séquelle physique, exceptés les vomissements, durant le trajet. L’avant-veille, l’expulsion s’était déroulée sans douleur et les médecins avaient su trouver les mots justes pour la réconforter.

Là, maintenant, elle aurait dû se sentir plus légère, soulagée. Mais l’avortement n’enlevait rien à la gravité de son acte. Elle avait froidement trompé son mari.

Elle fixa son reflet dans le miroir, sans baisser les yeux.

Dans le salon, les hommes l’attendaient au pied du chêne. Adeline, installée dans un fauteuil en cuir, ne cessait de regarder Clara.

— Monsieur Doffre vient de me dire que cet arbre avait au moins trois cent cinquante ans, raconta David. Tu imagines ? Trois cent cinquante ans !

— Il s’agit d’un chêne rouge, planté de main d’homme, ajouta Doffre, du temps où la Forêt-Noire abritait encore ses tisseurs, ses boisseliers et ses fabricants d’horloges. Construire ce chalet autour a été, en quelque sorte, un symbole de respect. Et un sacré défi architectural, notamment au niveau de la charpente et du plancher, qui garantissent un isolement total.

Cathy pointa le doigt en direction du plafond.

— Et là-haut, sur le tronc ? Qu’est-ce que c’est ?

Arthur siffla brièvement.

— Excellent sens de l’observation ! Ce sont des inscriptions, gravées en profondeur dans l’écorce, dans lesquelles a été coulé de l’argent fondu. Afin qu’elles ne s’effacent jamais. Il y est écrit « Oktober 1703 ».

— Et ça signifie ?

— Il faut remonter loin dans l’histoire de ces terres pour en interpréter la signification, conta-t-il sur le ton du mystère. Au temps des sorcières, des sortilèges et des confréries secrètes. Mais chut ! Nous en reparlerons plus tard…

— Et comment deviner qu’un arbre a été planté par un homme ? s’intéressa Adeline en étendant ses longues jambes prises dans son jean moulant.

— Parce qu’il n’y a aucun autre chêne rouge dans cette région, principalement faite de sapins aux aiguilles vert-noir, d’où le nom de « Forêt-Noire ». C’est le seul et unique spécimen.

— D’accord, mais pourquoi l’avoir planté précisément ici, au milieu de nulle part, dans ce cas ?

— Pas au milieu de nulle part. Mais… le plus loin possible de toute forme de civilisation…

Il claqua la main sur le bras de son fauteuil.

— Et maintenant, la visite des lieux ! Prenez votre fille avec vous, j’ai une petite surprise pour elle !

À certains endroits, le tronc se gonflait de déformations hideuses, de tourbillons, de bosses. Cathy frôla l’arbre du bout des doigts et les retira rapidement. L’écorce était glacée.

Doffre les emmena vers le couloir. Adeline resta dans le salon, en compagnie de Christian.

— Rien de pire pour les fauteuils roulants que les virages à angles droits, râla Doffre en bifurquant dans le corridor.

— Vous voulez de l’aide ? proposa David.

— Personne n’a jamais poussé mon fauteuil, trancha-t-il d’un ton subitement froid.

Les Miller échangèrent un bref regard. Au fond du couloir, Doffre enfonça une clé dans un gros cadenas et ouvrit une porte qui donnait sur une espèce d’enclos, à la toiture faite de tôle ondulée. Une petite boule rose s’engouffra à l’intérieur de la maison. David laissa passer le porcelet devant lui, l’air ahuri, tandis que Cathy se baissait pour l’intercepter. Clara se précipita vers l’animal.

— Lui, c’est Grin’ch, fit Doffre en s’amusant devant l’expression câline de l’enfant.

Il mima un cercle, autour de l’œil.

— À croire que votre fille et lui étaient faits pour se rencontrer. … Peut-être un signe ?

— Une mauvaise chute, s’empressa de justifier Cathy, accroupie devant le petit cochon qui ne cessait de grogner.

Doffre acquiesça avec un sourire.

— Pour en revenir à notre cher Grin’ch, il est tout jeune et ne pèse que cinq kilos. Nos prédécesseurs nous ont chargés de nous occuper de lui. Le nourrir, en fait… Mais je vois qu’il a un certain succès auprès de vous, Cathy !

— Elle et les animaux, c’est une véritable histoire d’amour, précisa David. Si je l’écoutais, chez nous, ce serait une véritable arche de Noé !

— On pourra le laisser entrer de temps en temps ? demanda la jeune femme sans lever les yeux. Ce serait bien, pour Clara…

— Je ne suis pas contre, répondit Doffre. Mais ne vous y attachez pas trop. Grin’ch ne nous appartient pas, et il pourrait partir, très bientôt…