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Le Bourreau, Doffre, la personnalité de l’un venue habiter l’autre, par le biais de séances de psychanalyse. Un transfert de consciences… L’homme au costume immaculé actionna le moteur de son fauteuil roulant, direction la sortie, puis s’arrêta brusquement.

— Ah ! J’oubliais.

Il fouilla dans la poche intérieure de sa veste et en sortit une enveloppe qu’il jeta sur le bureau.

— Des photos de moi, plus jeune, ainsi qu’un premier bon au porteur. As-tu réfléchi à mon personnage ?

Pas de réponse. David se tenait le front dans les mains.

— David ?

— Un personnage ? Euh… Oui… Il faudrait que… je regarde vos photos, mais vous serez le flic que vous avez… commandé. Un… Un commissaire assoiffé de traque, hors norme, hors-la- loi, incisif… Tout ce que vous voulez… Vous…

Doffre l’interrompit d’un rire franc.

— David, David, David, décidément ! Ai-je fait le bon choix en t’embauchant ?

— Je… Je ne comprends pas bien…

— Ce n’est certainement pas dans la peau d’un flic que je veux me retrouver ! Les flics sont si décevants.

Sel amer sur la langue. David bégaya :

— Le Bourreau… Vous voul… voulez être le Bourreau 125.

Doffre ferma les yeux et pencha la tête vers l’arrière, dans une lente expiration.

— Pouvait-il en être autrement ? C’est le seul moyen pour que son fantôme sorte enfin de moi. Car ce fantôme existe, David. Crois-moi, il existe vraiment… Et tu dois l’exorciser…

Après un court silence, le maître des lieux ajouta :

— Au fait, j’ai constaté à quel point ta fille et Grin’ch avaient… comment dire… sympathisé, tout à l’heure. Mais, comme je l’ai déjà dit, tu veilleras à ce qu’elle ne s’attache pas trop à ce cochon. Personne ne va venir le récupérer, mais… nous devrons le pendre, dehors, avec les autres… Exigence des entomologistes… Et c’est toi qui t’en chargeras.

Et la porte claqua, enfermant David au cœur de la nécropole de mouches.

II.

Cathy émergeait avec mollesse de la brume des songes. Un premier réflexe avait failli la précipiter vers la fenêtre, à l’affût du facteur et des lettres de Miss Hyde… Mais elle s’était rendormie, profondément. Lorsqu’elle ouvrit de nouveau les paupières, tout lui revint en mémoire. L’isolement, la nécropole suspendue. Ces dépouilles offertes à l’appétit du temps et aux hordes ailées. Mais, curieusement, elle se sentait bien et n’éprouvait plus aucune tension, ni dans les muscles, ni dans la tête. Elle traîna au creux de la couette jusqu’à neuf heures, à caresser la joue de sa fille endormie. Une belle petite blonde aux yeux noirs. Le plus parfait des mélanges, arrivé par la magie de la médecine moderne.

La lumière du jour, qui filtrait à travers un drap blanc que Cathy avait transformé en rideau, flattait les poutres et les lambris d’un jaune chaleureux. Ce matin-là, loin du monde des pots d’échappement, des factures et des tourterelles ensanglantées, le chalet respirait presque la joie de vivre.

Vacances… Un mot qu’elle n’imaginait même plus dans le dictionnaire.

La jeune femme se glissa hors du lit, enfila un épais peignoir de coton et chaussa ses mules fourrées. Clara manqua de se réveiller, avant de se recroqueviller contre sa peluche Nemo. Quant à David, vu l’heure, il devait déjà être rasé, habillé, et imbibé de caféine.

Elle jeta un œil dans le couloir puis revint promener ses doigts sur le dessus de l’armoire, à la recherche de la boîte de comprimés blancs. Elle saisit l’emballage d’Exacyl, plaqué contre le mur, puis avala un cachet, l’oreille attentive aux moindres grincements du plancher.

Elle se dirigea vers la cuisine. Ce qu’elle se sentait légère, à présent ! Elle ne parvenait pas à savoir si elle devait ce bien- être au miracle de l’avortement, ou à ce sommeil réparateur qui l’avait emportée avec la violence d’une marée d’équinoxe. Oui, en définitive, ce serait génial, ici. Rien à prouver, rien à justifier. Plus de lettres, plus d’emails de la folle…

D’agréables odeurs de croissants chauds, de chocolat fondu et de beurre tiède planaient dans la cuisine ouverte, séparée du séjour par un mur à mi-hauteur où étaient disposés des brocs en faïence. Dans la cheminée, les flammes grimpaient haut et fort, libérant une chaleur bienveillante.

Adeline était déjà apprêtée, maquillée, le chignon impeccable.

— David m’a dit que vous étiez plutôt lait et cacao.

— Toute ma famille était orientée café. Mais moi, la sportive, je n’y avais pas droit. Alors, en grandissant, mes habitudes sont restées. Je n’ai jamais bu de café de ma vie… Et puis, ce ne serait pas bon. J’évite les excitants, vu ma nervosité naturelle.

— J’avais remarqué ! Et quel sport pratiquiez-vous ? Avec un physique comme le vôtre, je vous verrais bien joueuse de tennis.

Cathy s’approcha de la table, les mains enfoncées dans les poches.

— C’est un compliment ?

— Plutôt, oui.

Sourire timide.

— Vous êtes loin du compte. J’étais boxeuse. Boxe française, poids léger, les 56-60 kilos. J’ai tout arrêté avant de ressembler à un champ labouré.

Adeline siffla.

— Comme quoi, il ne faut jamais se fier aux apparences.

Elle laissa flotter un silence qui mit Cathy mal à l’aise.

— Bref ! Pour les viennoiseries, c’est du congelé ! reprit-elle. À moins que vous n’ayez une boulangerie sympa à me suggérer ?

— Au Croissant paumé, improvisa Cathy sans cacher sa bonne humeur. Huit avenue du Trou perdu !

Adeline lui répondit par un sourire, puis versa le lait chaud dans un grand bol, avant d’y ajouter du chocolat fondu.

— Merci bien, répondit Cathy. Désolée mais… je ne me suis pas habillée, la petite dort encore et je ne voulais pas la réveiller.

— Pas de soucis. Après tout, vous êtes en vacances.

— Vous avez vu David ?

— À peine. Il a juste mis le nez hors du labo pour venir chercher un bol de café, il y a une demi-heure. Il n’est pas allé se coucher ?

— Si ! Bien sûr que si ! Enfin… Je suppose ! J’ai dormi d’une traite. Assez surprenant, d’ailleurs, moi qui suis une lève-tôt.

— La magie de l’endroit, probablement. Coupés du monde, loin du fracas des moteurs…

Cathy fut distraite par un craquement de bois, dans la cheminée.

— Désolée, au fait, pour les bûches. J’aurais aimé vous aider.

Adeline haussa les épaules, apportant une pleine corbeille de viennoiseries encore chaudes.

— Ne vous inquiétez pas, vous aurez l’occasion de vous rattraper. Le bois, ce n’est pas ce qui manque ici.

Elle s’installa à table, le dos bien droit, sa tasse aux lèvres.

— Je n’ai pas vu de traces de lynx, dans la neige. C’est rassurant, on pourra peut-être se promener dans le coin ? Arthur m’a dit qu’il y avait un torrent, vers le sud, du côté des montagnes, et que les tourbières au nord sont très impressionnantes.

Cathy acquiesça.

— Avant la naissance de Clara, je marchais énormément avec David. Question endurance, je m’en sors pas mal. Mais moi et le sens de l’orientation, ça fait deux. Il m’est déjà arrivé de me perdre dans les jardins de Versailles !

Adeline lui adressa un sourire amical.

— Pas bien grave, j’ai appris à me débrouiller. Nous nous compléterons, car l’endurance, pour moi… Si ça vous intéresse, je compte me rendre au village le plus proche, à une heure de voiture, que vous avez dû traverser à l’aller. Enfin, quand le sol sera moins verglacé. Parce que je ne sais pas pour vous, mais ici, impossible de téléphoner !