Выбрать главу

Arthur sourit. La remarque lui passa par-dessus la tête.

— Je le devinerai, rétorqua-t-il avec un clin d’œil. En persévérant, on finit toujours par obtenir les informations que l’on souhaite…

La jeune femme reprit son peignoir et le déplia sur elle.

— Au fait, vous avez remarqué l’oiseau noir, perché sur le piquet ? demanda Arthur.

Elle hésita, fallait-il poursuivre ce simulacre de dialogue ?

— Effectivement, il est resté là, à nous observer. Un merle noir, avec son beau ramage d’hiver. Avec Adeline et Clara, nous lui avons jeté du pain cet après-midi. En quoi cet oiseau vous intéresse-t-il tant ?

— Connaissez-vous la plume de Maât ?

— Le prétexte d’un oiseau pour me parler d’une plume… Vous vous essoufflez, monsieur Doffre.

Il éclata de rire.

— Oh diable ! J’espère que non !

Cathy sentait le sang battre dans ses veines.

— Je ne connais pas la plume de Maât. Et je ne sais pas si j’en ai trop envie. On ne pourrait pas discuter plutôt de scrap-booking ou de macramé ?

— Pardon ?

— Non, rien. Juste une plaisanterie. Allons-y pour la plume de Maât…

Arthur ne souriait plus.

— Maât était une déesse égyptienne. Elle personnifiait ce qui devait être accompli pour que l’univers continue d’exister. La Maât assurait le fonctionnement de l’Égypte ancienne, ainsi que sa longévité, en éliminant le chaos. Dans le chapitre cent vingt-cinq du Livre des morts, on trouve la déclaration d’innocence, qui expose toutes les actions négatives, non conformes à la Maât, relevant de l’Isfet, le Mal…

Il racontait avec un ton, un rythme empreints de fascination. Le sang des flammes se répandait dans ses iris.

— Le chapitre cent vingt-cinq, lâcha Cathy à voix haute… Le Bourreau 125… Cette histoire de plume me rappelle quelque chose, maintenant que vous le dites.

Le vieil homme s’approcha, ses longs sourcils gris ombrageant ses cavités oculaires.

— Cent vingt-cinq, aussi, pour les cent vingt-cinq grammes de chair qu’il faisait prélever par les femmes sur leurs maris.

— C’est effrayant.

Arthur garda le silence un temps, avant de poursuivre :

— Revenons à notre sujet. La plume de Maât servait à peser le cœur du défunt. L’équilibre laissait au Juste l’accès au royaume des dieux. Un cœur trop léger prouvait un manque d’actions dans la vie terrestre, ce qui était punissable. Trop lourd, il signifiait une existence de péchés. Vol, maltraitance, blasphème ou mensonge. Oui, le mensonge…

Cathy se tamponna le front. Ses joues la brûlaient.

— Excusez-moi mais… il fait incroyablement chaud.

Elle regarda vers le foyer.

— Pourquoi me raconter ça ? demanda-t-elle d’une voix troublée.

Elle sentait qu’il l’observait.

— Comme le Bourreau, j’aimerais moi aussi posséder une plume de Maât.

— Et… Et pourquoi ?

— Parce que j’ai l’impression… non, je n’ai pas l’impression, je suis certain qu’Adeline me cache quelque chose, en dehors de son asthme… Et j’ai horreur de côtoyer des personnes qui me mentent.

— Son asthme ?

— Ses disparitions impromptues, aux toilettes ou dans la salle de bains. Le fait qu’elle ne boive pas d’alcool. L’une de ses valises en hauteur, dans ma chambre, bourrée d’inhalateurs je suppose… Vous savez, les petits jeux de chacun se repèrent très vite. Il suffit d’être observateur.

— J’ai passé la journée avec elle à discuter et… je n’ai rien vu. Vous vous trompez sûrement…

— Je ne me trompe pas.

Des crépitements, au cœur de l’âtre.

— Dans ce cas, Adeline a peut-être ses raisons pour ne rien dire, des raisons qui ne concernent quelle. Chacun a ses jardins secrets. Mais apparemment, tout ceci vous obsède.

Il soutint son regard.

— Tout me concerne, ici.

Cathy voulut se lever pour couper court à la conversation, mais elle fut interrompue dans son mouvement par l’arrivée d’Adeline.

— Tenez, quand on parle du loup, chuchota Doffre en claquant des doigts. Mon abricot, sers-nous un verre, si tu le veux bien ! Vodka, Cathy ?

— Pourquoi pas ? Ça égaiera un peu.

Adeline versa deux doses d’alcool. Arthur la déshabillait du regard.

— Allergique à la vodka ? la nargua-t-il.

— Non, désolée, mais je ne supporte pas trop, s’excusa Adeline. Je préfère le jus d’orange.

Il lui effleura le dos.

— La plus belle des flammes… Ce kimono te va à ravir… Tu aimes le rouge, n’est-ce pas ?

— Tu as bien choisi. Cet ensemble est… parfait.

Ils trinquèrent.

— Dis-moi Cathy, cette mélodie en boucle dans le labo, c’est quoi ?

Cathy vida son verre, cul sec. Adeline, asthmatique…

— Cathy ?

— Oui, excuse-moi, répliqua-t-elle en faisant la grimace. La Jeune Fille et la mort, de Schubert. A force, je me suis mise à détester ce quatuor. Le pire, c’est que David a oublié ses écouteurs. Je crains qu’on y ait droit tous les soirs.

— C’est vrai que là, ça frôle l’obsession !

— La musique de l’écrivain, intervint Arthur. Il trouve son rythme d’écriture et ses idées au son des instruments. Pareil à ces tueurs qui se repaissent du mode de vie de leurs victimes, avant de passer à l’acte.

— Géniale la comparaison, rétorqua Cathy.

Adeline vint s’asseoir près d’elle.

— Tiens, c’est marrant, cette histoire de musique… Quand j’étais gamine, je laissais en permanence un radiocassette sur mon bureau, dans ma chambre. Et quand je faisais mes devoirs, j’avais une chanson pour chaque matière. Je ne pouvais pas terminer mes exercices de maths sans écouter Heidi. Pour le français, c’était Le Manège enchanté, avec Pollux. Et pour l’histoire, je rembobinais, direction Capitaine Flam. C’est fou, parce que ça ne marchait jamais dans un ordre différent. C’était une espèce de rituel. Je n’avais plus pensé à ça depuis longtemps.

— Peut-être parce que tu n’as jamais pris le temps d’y songer, souligna Arthur. Nous sommes aussi là pour ça. Faire ressurgir ce qu’on croyait mort. La nature et ses espaces vierges possèdent cette force cachée de délier les souvenirs. De bien terribles souvenirs, parfois.

— De bien terribles souvenirs, oui… répéta-t-elle.

Elle secoua imperceptiblement la tête, avant de reprendre :

— Tiens, au fait, avec Cathy on compte faire un aller-retour jusqu’au village, demain après-midi. Elle m’a dit que…

Un craquement effroyable la coupa net. La charpente grinça sauvagement. Le chalet trembla, du sol au plafond.

— C’était quoi ce truc !

Recroquevillée, la tête rentrée entre les épaules, Cathy scrutait le plafond avec de grands yeux ronds.

— Le chêne rouge… murmura Doffre.

— Le chêne rouge ?

— Je crains que votre sortie soit compromise, répliqua Arthur en désignant une fenêtre.

Cathy s’approcha de la vitre, pas très rassurée.

— Mince ! Il commence à neiger…

Lorsqu’elle se retourna, elle piégea le regard de Doffre balayant sa silhouette. Gênée, elle détourna les yeux vers l’arbre. Ce tronc torturé, vieux de trois cents ans…

— Cet arbre, Arthur… Quelle… quelle est son histoire ? questionna-t-elle. La date, gravée là-haut, octobre 1703, vous disiez que…

— Allons nous coucher, Adeline, veux-tu ? l’interrompit Arthur.

Adeline écarquilla les yeux.

— Mais on ne va pas laisser Cathy passer la soirée toute seule !

— Ne discute pas, s’il te plaît ! Allez, suis-moi !

Adeline enfonça deux grosses bûches au cœur de l’âtre et s’excusa auprès de Cathy, avant de disparaître, l’air désolée.

Cathy les regarda fondre dans l’obscurité du couloir, elle devant, lui derrière. Culotté, quand même, le Doffre. Pourquoi un tel empressement ? L’appel du lit ? Qu’allait-il lui faire subir…