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— Mais non ! Regarde-le ! Eh, au fait ! Tu n’as pas remarqué ?

— Quoi donc ?

Cathy désigna discrètement Clara de la tête.

— Ta fille !

David prit un air dubitatif, la main sous le menton.

— Je vois pas… Le coquard, qui a presque disparu ?

— Mais non ! Regarde, elle n’a plus sa tétine !

— Oh… C’est vrai ! Viens-là mon poussin !

Un petit missile blond s’écrasa dans ses bras.

— Comment tu as réussi à la convaincre ? demanda David, serré contre sa fille.

— Je crois que c’est grâce à Grin’ch ! Il a croqué la tétine, tout à l’heure. Et depuis, elle n’en veut plus ! Merci mon grincheux !

Le porcelet approuva d’un couinement complice.

— Tu vois, il a compris !

David embrassa Clara dans le cou, la reposa et se rapprocha de sa femme.

— Tu devrais faire attention à ce qu’elle ne s’y attache pas trop.

— Comment ça ?

— Rappelle-toi. Arthur avait dit qu’il… ne serait avec nous que quelques jours… Ce porcelet… Il appartient bien à quelqu’un ! On va forcément venir le reprendre.

— Ou alors, ces… entomologistes vont le laisser tranquillement grandir pour…

Elle frissonna sous son blouson.

— En tout cas, il fait un bien fou à notre puce. Tu as vu comment elle s’amuse avec lui ? C’en est presque magique. Depuis qu’ils jouent ensemble, elle est toute gaie. Et puis, ils sont tellement mignons tous les deux, avec leur œil au beurre noir du même côté… Ne t’inquiète pas. Si quelqu’un veut le récupérer, je saurai le convaincre de nous le laisser !

— Quoi ?

— Avec l’argent que tu vas gagner, on pourra sans aucun doute le négocier et le ramener chez nous. Et quand il sera trop grand, on le mettra chez mon oncle. Il sera bien là-bas. Et Clara pourra aller le voir tous les jours.

— Mais on ne peut pas ! Il n’est pas à nous !

— Chut !

Adeline apparut, vêtue façon trappeur. Blouson fourré en peau retournée, bottes molletonnées, chapka grise. Un mannequin sibérien. Doffre avait drôlement bien choisi sa poupée. David détourna le regard, Cathy veillait au grain.

— Voilà, je suis prête, dit-elle en agitant ses clés de voiture. Mais qu’est-ce qu’il fait là, lui ? Pas mal le déguisement… Bon, Cathy, j’y vais, tu me rejoins ? À plus tard David.

Elle alla faire chauffer le moteur du 4x4.

— Vous vous reparlez ? demanda David.

— Pas vraiment, non. Mais elle va au village. Il faut à tout prix que je téléphone à maman…

Elle se mit à chuchoter.

— T’as vu la tête qu’elle a ? Une folle nuit avec Arthur, tu crois ?

Ils entendirent le vieil homme qui arrivait du couloir. Elle embrassa David, prit Clara dans ses bras et s’éloigna.

— J’espère qu’on va te manquer, ajouta-t-elle avec un clin d’œil.

— Attends ma puce ! Je ne veux pas que vous partiez seules ! Je viens avec vous !

Elle se retourna vers lui.

— Il faut que quelqu’un reste avec Arthur. Tu sais, on ne fait que l’aller-retour. A deux heures, on sera revenues ! Tu pourrais peut-être préparer à manger, tiens ! Et autre chose que des pâtes et du jambon !

— Mais…

— Il ne t’est jamais venu à l’esprit que ta femme savait se débrouiller toute seule ?

— Faites bien attention…

David s’avança sur le perron, remuant les deux pattes avant de Grin’ch.

— « Au revoir ! Au revoir ! » cria-t-il en imitant la voix de Porcinet.

II referma la porte derrière lui. Arthur lui bloquait le passage.

— Mais qu’est-ce que c’est que cet accoutrement ? Qu’est-ce que vous faites avec cette pauvre bête ?

Doffre s’avança vers le cochon que David venait de reposer, se baissa péniblement et lui arracha son bonnet.

— Très bien ! On va profiter de leur absence pour faire ce que nous avons à faire… Une journée en avance, certes, mais ce sera moins pénible… pour nous tous.

David fixa le crâne lisse du vieil homme puis répondit froidement :

— Hors de question. Je ne peux pas. Je ne toucherai pas à un poil de Grin’ch.

Doffre se plaqua dans son fauteuil, la tête renversée.

— David, David, David… Où est passée cette main froide qui ouvre les corps ? On fait dans le sentimental, à présent ?

— J’aime mon épouse et j’aime ma fille. Jamais je ne ferai sciemment quelque chose qui puisse les attrister…

— Mais nous n’avons pas le choix ! Il faut le tuer !

David reprit Grin’ch dans ses bras et se dirigea vers le laboratoire sans la moindre attention pour son interlocuteur.

— Nous remplirons notre devoir ! s’exclama Doffre en claquant le poing sur le bras de son fauteuil. Jusqu’à nouvel ordre, je contrôle ce qui se passe et doit se passer ici ! Et il n’est pas question qu’il en soit autrement !

David se retourna, furieux.

— Vous pouvez peut-être décider du destin d’un cochon, mais…

Soudain, ses muscles se tétanisèrent.

Même le réflexe de la respiration lui échappa.

Dehors, Cathy hurlait son prénom.

De toutes ses forces…

18.

David largua le porcelet et traversa le salon aussi vite qu’il le put. A l’extérieur, à une centaine de mètres, dans l’éclat d’un rayon de soleil, le 4x4, de travers. Les portières ouvertes. Adeline, Cathy, courbées dans la neige. David se mit à courir de toutes ses forces. Visages figés par l’effroi. Clara, plus en retrait, indifférente au drame.

— Elle… Elle est vivante ! cria Adeline. Elle s’est effondrée là ! Devant la voiture !

Après avoir repris ses esprits, David porta la jeune femme inanimée dans ses bras et ils rejoignirent le chalet.

— Non, surtout pas à proximité du feu ! s’exclama Arthur. Dans ma chambre ! Quelqu’un, des couvertures ! Et ôtez-lui ses chaussures et ses chaussettes, immédiatement !

Une fois la jeune femme installée sur le lit, Doffre reprit :

— Ses doigts et ses orteils ! Il faut les réchauffer tout de suite ! Couvrez-les de vos mains, sans masser surtout ! Vous, Cathy, déshabillez-la ! Vite ! Faites vite !

Son front perlait, il voulait agir, à tout prix. Il dictait, les autres exécutaient. Le corps à la chevelure cristallisée, aux lèvres craquelées, restait inerte.

Pupilles réactives. Rythme cardiaque lent, mais régulier. Pas de gelures profondes. Extrémités qui rosissent. Elle vivrait.

Cathy sentit ses larmes couler. Le stress. Envie puissante d’avaler un comprimé de Lexomil. Le séjour virait au cauchemar.

Elle jeta un œil dans le couloir pour s’assurer que Clara était bien occupée à jouer avec Grin’ch, avant de s’approcher à nouveau du corps.

— Qu’est-ce qui a pu lui arriver ? demanda-t-elle d’une voix vacillante.

David était livide. La réalité dépassait la fiction. Cette inconnue brune, comme jaillie des pages qu’il venait de terminer à l’instant ! Ici, en plein hiver, dans un endroit aussi fréquenté que le désert de Namibie ! Il avait peine à garder le contrôle de son esprit.

— Elle a dû se perdre, supposa-t-il d’un ton peu affirmé. Une randonneuse imprudente… Ou bien sa voiture est tombée en panne… Pas de téléphone… Alors… alors elle a pisté les traces de pneus… Oui, c’est ça… Elle a suivi les traces dans la neige…

— Je le pense aussi, approuva Arthur en posant sa paume sur le front tiède. Et elle s’est laissé surprendre par la distance. Seigneur ! Elle est tellement maigre ! Elle aurait pu mourir gelée.

— Une panne de voiture… Oui, c’est sûrement ça, reprit Cathy.

Adeline ramassa les vêtements trempés. Blouson, pull, sous-pull et tee-shirt, lacérés. Quatre déchirures, parallèles, d’une finesse et d’une netteté que seule une lame incroyablement aiguisée avait pu provoquer.

— Une panne de voiture ? Et comment elle aurait pu se faire ça ? C’est un miracle qu’elle soit encore en vie ! Sa poitrine a à peine été effleurée ! Elle a dû se faire attaquer par une bête énorme !