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Le nombre tatoué à l’encre noire sur le crâne du quatrième enfant.

Livide, il fixa Arthur, ne notant pas la moindre réaction sur son visage de rides, puis empoigna fermement le Weatherby.

Le fusil dans une main, la bouteille de Chivas dans l’autre, il se dirigea vers la porte.

— Allons-y, il faut crever l’abcès… répéta-t-il.

25.

— Je suis bien contente de ne pas être allée à l’enterrement, tout compte fait. La grand-mère Marmelade, je la détestais… Elle m’a toujours dit que j’étais une… bâtarde. Que ma mère avait été… mise enceinte avec un autre homme que mon père. C’était une méchante femme. Elle a dû mourir seule, comme un Ratte. Si un jour je retourne à Pforzheim, ce sera uniquement pour cracher sur sa tombe.

Emma se parlait à elle-même, assise en tailleur devant la cheminée. Parfois ses doigts effleuraient sa bouche, comme pour y déposer une cigarette invisible.

Elle tournait le dos à Cathy, qui ne l’écoutait pas. Quelques mots seulement, par-ci, par-là, venaient frapper ses oreilles. Marmelade… enceinte… méchante femme…

Le regard absent, la jeune maman manipulait la tétine croquée par Grin’ch. L’objet de plastique allait puis venait entre ses phalanges nerveuses. Elle l’écrasait, le malaxait, le fixait sans le voir. Elle le serra très fort dans son poing, imaginant déjà Grin’ch dans le petit enclos qu’elle construirait sur le côté de la terrasse, à la maison, dès que les beaux jours reviendraient. Elle était sûre que Siméon et Toupie l’adopteraient illico.

Oui, Grin’ch repartirait avec eux. Et ce salaud de Doffre pourrait aller se faire foutre.

« À mon tour de jouer avec toi, vieux con », songea-t-elle en serrant les dents.

Elle resta longtemps à ruminer ainsi son amertume. Lorsqu’elle s’échappa de ses pensées, bien plus tard, elle s’aperçut qu’Emma et Clara n’étaient plus là.

Panique.

La première image qui lui traversa l’esprit fut celle de sa fille pendue, la poitrine éventrée, boyaux débordants, dans le charnier puant. Elle se précipita dans le couloir, beuglant à tue-tête le prénom de son enfant.

La porte de la chambre d’Emma était ouverte… Et Clara, assise sur le lit, observait calmement la jeune allemande occupée à ajuster le drap qui lui servait de rideau et qui dissimulait l’horrible spectacle. Par terre, un des scalpels du laboratoire avec lequel elle venait de découper le tissu.

« Tu es en train de virer complètement barge », pensa Cathy.

— Ma puce ! Viens vite me voir !

La pièce avait été entièrement réorganisée. Le lit se trouvait à l’opposé de sa place initiale, la commode au niveau de la porte.

— Vous pouvez la laisser, elle ne me dérange pas, dit Emma en ramassant l’instrument tranchant pour le poser sur le rebord de la fenêtre. C’est une gentille petite gamine.

— Je préfère la savoir avec moi. Les enfants ont parfois des réactions imprévisibles.

— Pas plus que certains adultes… Tant que vous êtes là, vous pouvez m’aider ? J’ai besoin que vous tenez le drap, le temps que je redécoupe.

Sa lèvre n’avait pas dégonflé. Les « s » sortaient de sa bouche comme des « f », lourds et pâteux.

— C’est si gentiment demandé, répliqua sèchement Cathy.

Elle maintint le tissu comme le lui indiquait Emma.

— Oui, un peu plus à droite, là, c’est très bien… Vous savez… Pour l’histoire, avec David…

— Je ne veux pas en parler.

— C’est lui qui a ouvert la porte et qui est entré dans ma chambre. J’ignore ce qu’il vous a raconté, mais quand je me suis réveillée, il me Streicheln… euh… caressait. Je crois que… qu’il ne s’attendait pas à… mon réveil…

Cathy vit rouge.

— Ce que vous dites est complètement absurde ! David n’aurait jamais fait une chose pareille ! À quoi jouez-vous ?

— Je ne joue pas, je rapporte la vérité, c’est tout. Ce n’est pas moi qui a rentré en pleine nuit dans sa chambre…

Elle se redressa et recula vers la porte.

— Vous avez deux minutes ? Histoire que je vais chercher des aiguilles dans le laboratorium.

— Dépêchez-vous, alors !

— Vous savez, nous deux, je pense que nous sommes roulées sur de mauvaises routes. Je suis prête à vous pardonner ce que vous m’avez fait à la Lippe. Parce que je comprends votre… sensation. C’était la réaction normale d’une femme qui aime son mari.

Cathy n’eut pas le temps de répondre. La porte qui claque. Puis le bruit de la clé dans la serrure. Elle fonça, les deux mains en avant, hurlant de toutes ses forces.

— Noooon !

Ses poings s’abattirent sur la porte verrouillée. Clara, effrayée, et comme par instinct, se mit à appeler Grin’ch. Sans s’arrêter.

— Griche ! Griche ! Griche ! Griche !

Dans le couloir, des bruits de pas, des chuchotements, puis le bruit monotone du fauteuil roulant d’Arthur, sortant de sa tanière.

Là, à dix centimètres, de l’autre côté. Il venait de s’arrêter.

— Arthur ! Je vous en prie ! Non ! S’il vous plaît ! Aucune réponse, juste les battements acharnés de son cœur.

Et le souffle du vieil homme.

— Arthur ! Ouvrez ! Ouvrez cette porte ! Puis le bruit du fauteuil, de nouveau, s’éloignant vers le salon.

Hors d’elle, Cathy cogna avec une rage folle sur le bois, se retourna, les cheveux dans la bouche. Elle ouvrit l’armoire. Vide. Rien à propulser !

Elle se précipita encore, le pied en avant. Les gonds ne bougèrent pas d’un millimètre.

Elle arracha les ersatz de rideaux. L’ignoble vision des carcasses. Puis ses martèlements, sur la vitre. Incassable. Plexiglas. Une serrure en interdisait l’ouverture.

Enfermée dans un chalet… Un chalet enfermé dans une forêt… Une forêt enfermée dans l’hiver… Un piège gigogne…

Pas d’échappatoire.

Clara, à présent, sanglotait. Sa petite bouille ronde demandait : « Qu’est-ce qui se passe, maman ? »

Cathy la serra fort contre elle. Puis elle s’assit dans un coin, son enfant sur les genoux, et se mit à lui caresser la tête.

Grin’ch allait mourir… Sous leurs yeux…

26.

— Il n’y a pas… à dire, cet endroit… est quand même… magnifique, souffla Adeline en attardant un œil émerveillé sur les montagnes qui s’étiraient au loin.

— Dommage qu’on soit obligé de s’y promener avec un fusil à rhinocéros dans une main et une bouteille de whisky dans l’autre, répliqua David. Et dommage que les traces de pas aient été recouvertes ! Ça va, votre souffle ?

— On fait avec…

Mais non, ça n’allait pas. Il fallait pratiquement s’arrêter tous les cinquante mètres. La neige leur montait presque jusqu’aux genoux, alourdissant chaque enjambée, mobilisant à chaque pas toute leur attention pour ne pas poser le pied dans un trou. Une chose était certaine : pour Adeline, rejoindre la B500, ce serait comme traverser le Pacifique à la nage.

David avança sans plus parler. Le froid piquait, il avait la gorge sèche. Depuis leur départ, il ne cessait de penser aux numéros… Il avait beau retourner l’énigme dans tous les sens, chercher la faille, essayer de déjouer le tour de magie, il n’y comprenait rien.

Parce que ces nombres étaient arrivés dans l’ordre chronologique, rapportés chaque fois par une personne différente.

D’abord celui sur le chêne, que Cathy avait découvert dès leur arrivée, correspondant au premier massacre. Puis celui derrière la photographie de l’entomologiste, découvert par Adeline. Ensuite Emma qui, à moitié morte, avait débarqué avec le numéro de son compteur kilométrique – sans aucun doute le cas le plus troublant. Et, aujourd’hui, le numéro de série d’un fusil, relevé par lui, David. Quatrième numéro, quatrième tuerie.