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Aux yeux des flics, Bourne consultait pour soigner sa phobie.

Mais en réalité, Doffre et Bourne ne s’étaient pas rencontrés pour un quelconque problème psychologique.

David y était presque, il le sentait.

L’influence… L’arum, la tache verte abdominale, la scie électrique…

Et si Doffre s’était servi de Tony Bourne ? S’il l’avait guidé dans ses actes, lui avait indiqué la manière de procéder, de progresser dans ses crimes ? Et si ces deux-là avaient travaillé ensemble, dans un but commun : le meurtre ?

Arthur Doffre avait-il fabriqué le Bourreau ? Et Arthur Doffre s’en était-il débarrassé par la suite, le forçant à se suicider grâce à l’influence qu’il exerçait sur lui ? Parce que, immobilisé sur son lit d’hôpital, il se sentait lui-même déjà mort ?

Ça se tenait. Ça se tenait drôlement.

L’intelligence de l’un, au service de la démence de l’autre.

Le vice à l’état pur, cloué dans un fauteuil roulant.

Comprendre l’influence et percevoir autrement.

Professeur Doffre… Élève Bourne.

Professeur Doffre… Élève Emma.

Le professeur vieillit, mais pas l’élève.

Doffre, replié derrière sa profession. La psychologie… Un vivier où puiser des esprits malades, malléables. Puis jouer de leurs faiblesses, les travailler à sa guise… Et frapper, frapper par la seule force des paroles.

Combien de personnes psychologiquement fragiles Doffre avait-il manipulées ? Combien de meurtriers avait-il fabriqués ?

Combien de meurtriers…

Emma était de ceux-là. Une obsédée amoureuse, de la pire espèce. Furor amoris.

Et bientôt, elle tuerait, dans un seul but : assouvir les fantasmes de Doffre.

David eut envie de hurler. Hurler à se déchirer le larynx.

Enfermé, avec sa fille, sa femme détruite, dans un chalet où personne ne pouvait les entendre crier.

À la merci du pire esprit que l’humanité puisse engendrer. Et de son esclave malade.

Entre les bras du Mal…

40.

Complètement nue, Emma longea le corridor sur la pointe des pieds. Son David avait besoin de sommeil, et en aucun cas elle ne voulait le réveiller. Une fois dans la salle de bains, elle entreprit de laver énergiquement toutes les parties de son corps. Au milieu de la nuit, Arthur s’était mis à la caresser avec insistance, alors qu’elle lui tournait le dos, somnolente. Après toutes ces années, le vieil homme était devenu pour elle bien plus qu’un simple médecin. Il l’avait soutenue, suivie, conseillée… Elle ne parvenait pas à le voir autrement que comme une personne proche et aimante, prête à tous les sacrifices pour l’aider, elle, Emma Schild.

Aussi n’avait-elle osé s’éloigner lorsqu’il avait allumé la lumière, glissé les doigts sur ses seins, et qu’elle avait senti son truc se durcir sous les draps. Puis, très vite, il lui avait agrippé les cheveux pour qu’elle se retourne et avait poussé sa tête vers le bas, vers… sa chose, sans jamais cesser de gémir, tandis que ses ongles lui lacéraient le dos, et qu’il fixait la malle ouverte, déplacée au centre de la pièce. Elle ne comprenait pas bien qu’il puisse s’extasier devant un tel contenu. Et pourquoi l’avoir remplie aux trois quarts de parpaings ? C’était complètement débile. Arthur avait parfois des comportements bizarres.

Elle fit couler de l’eau dans sa bouche et la recracha aussi fort qu’elle le put. Elle aimait Arthur, mais pas comme ça. S’il recommençait, elle… elle…

Non, elle ne lui dirait rien, comme elle n’avait rien dit cette nuit. Comment oserait-elle ? Elle lui devait tout, et… et il lui faisait si peur, parfois.

Elle s’habilla, vaporisa un peu de Loulou sur le haut de sa poitrine, puis se regarda dans le miroir. Ce matin, avec les habits de Cathy Miller, son pantalon côtelé noir, son sous-pull beige et son pull à col roulé mauve, elle se sentait belle. Encore une merveilleuse idée d’Arthur. Pourquoi n’y avait-elle pas pensé d’elle-même ? David apprécierait, à coup sûr, même si ces vêtements étaient beaucoup trop larges.

Elle fit rouler l’alliance de Cathy entre le pouce et l’index et l’enfila à son annulaire. « Trop grande ! Évidemment ! Tu le fais exprès, salope ! » maugréa-t-elle en songeant à la femme Miller. Pas bien grave. Elle l’enfonça autour de son majeur et la contempla sous tous les angles.

Une fois dans le salon, elle s’accroupit devant la cheminée et remua avec un tisonnier les dernières braises avant de chausser les après-ski de Cathy. Elle irait chercher du bois, puis préparerait un solide petit déjeuner avec tout ce que David aimait. Son bol de café brûlant, son pain beurré, sa confiture de myrtilles. Elle se rendait compte à quel point leurs goûts en commun étaient nombreux. Décidément, le destin faisait vraiment bien les choses.

Arthur lui avait dit que si David se comportait bien, elle pourrait le laisser prendre une douche chaude. Elle n’oserait pas aller le troubler dans son intimité, bien sûr, elle n’était pas de ces filles-là ! Mais s’il lui demandait gentiment de le rejoindre…

Elle pouffa, mit son blouson et jeta un œil par la fenêtre. Les rouges naissants annonçaient une journée glaciale mais magnifique. Peut-être pourrait-elle proposer à son amour une randonnée, pendant qu’Arthur s’occuperait de Clara ? Longer le torrent, en direction des montagnes, découvrir ensemble ces endroits féeriques… Fixer sur pellicule leurs premiers souvenirs de vacances. Elle était persuadée que, plus tard, ils riraient aux larmes des circonstances de leur rencontre. Il n’y avait pas beaucoup d’amoureux qui pouvaient se vanter d’avoir vécu une aventure aussi originale ! Elle avait quand même failli y rester, dans cette marche forcée ! Et s’infliger soi-même ces griffures, tout cela parce que Arthur voulait que les Miller ne soupçonnent rien !

Elle l’avait franchement mérité, son David, à présent !

Elle se répéta que les êtres faits pour se rencontrer finissent nécessairement par se rencontrer. Aux pôles, au pied d’un volcan, ou ici, en pleine Forêt-Noire. Elle n’était pas sur le chemin de David par hasard.

Après avoir enfilé ses gants et son bonnet, elle déverrouilla la porte d’entrée, qu’elle ouvrit puis ferma une dizaine de fois, réajustant chaque geste au millimètre jusqu’à ce que l’harmonie globale du mouvement lui convienne, et se laissa submerger par le baiser vivifiant de la forêt. Elle inspira profondément, les bras écartés, un sourire radieux sur les lèvres.

— Merci, Arthur ! s’exclama-t-elle en sautillant.

Soudain, devant son regard, un éclair noir déchira l’azur à une vitesse ahurissante.

Elle poussa un cri avant de sombrer, les deux mains en avant.

Son nez se brisa dans une gerbe de sang.

41.

Armée de son bâton, haletante, Adeline chevaucha le corps inanimé et se rua à l’intérieur du chalet. Personne dans le salon.

Son regard se porta vers le dessus de la cheminée. Plus de fusil.

La peur au ventre, elle serra son gourdin de ses deux mains et s’élança dans le couloir. Agir vite, très vite ! Emma, avant de s’effondrer, avait eu le temps de crier, donc de donner l’alarme.

« Les Miller. Seigneur les Miller ! Faites qu’ils soient encore en vie ! » se répétait-elle.

Tapis rouge, obscurité. Portes fermées, sauf celle d’Arthur. Elle s’y précipita mais s’arrêta net à l’entrée, pétrifiée. Le vieil homme avait rampé jusqu’à la fenêtre et saisissait déjà le Weatherby.

En un instant, malgré sa position allongée, il bascula sur le côté et pointa le canon dans sa direction, calant la crosse contre son torse.