— L’enfant ! Où est l’enfant ?
Arthur se dirigea vers elle et la gifla avec une incroyable violence. Emma se retrouva à terre, les mains sur le visage. Son nez pissait le sang.
— Je… n’ai pas eu le choix… Je n’arrivais pas… à les rattraper. … Alors… j’ai… j’ai tiré… Plusieurs fois… La mère portait sa fille… La balle les a transpercées… toutes les deux… Je… Je suis désolée… Arthur…
Elle pleurait, recroquevillée comme un chien. Hors de lui, Arthur la tira par les cheveux, lui saisit la main et la glissa dans son entrejambe.
— Caresse ! ordonna-t-il, tandis qu’elle s’agenouillait. Caresse ! Sale traînée !
Emma obtempéra, effondrée, terrorisée. Elle fixait son David, partagée entre la colère et un sentiment de tendresse infinie. Arthur se mit à lui palper le crâne, maladivement, comme s’il l’épouillait. Elle sentait son souffle tiède au-dessus d’elle, tandis que la chose gonflait, entre ses cuisses immobiles.
— Il faut qu’il paie ! s’écria-t-il. On va devoir lui faire mal ! Dis-moi que tu vas lui faire mal ! Dis-le-moi !
— Je… Je ne sais pas… bafouilla Emma. Arthur… Qu’est-ce qu’on a fait ?
Il lui attrapa le menton, puis lui écrasa les joues, la forçant à le regarder.
— Qui décide de ce qui est bien ou mal ici ? Qui ?
Un filet rouge vint mourir sur les lèvres d’Emma. L’os de son nez était complètement décalé, lui donnant l’air d’un personnage jailli du pinceau de Picasso.
— C’est… C’est toi… Tu décides de tout, Arthur…
— Il a désobéi ! Et tu sais ce qu’on fait aux enfants qui désobéissent ?
— On les enferme dans les caves, et on les punit ! On les punit pour qu’ils ne recommencent plus !
Elle cracha sur le sol et se redressa.
— Il m’a désobéi ! Il est machiavélique ! Je vais lui faire du mal ! C’est la seule façon !
— Bien. Maintenant tu vas rapporter le contenu de ma malle ici, sur la table. Fais ça ! Vite ! Tu me dois tout. Tu me dois ton enfance, ta jeunesse, ta vie. Alors fais ça pour moi ! On va le punir, tous les deux !
Emma réagit au quart de tour. Elle se dirigea avec résolution vers la chambre. David avait voulu fuir ! L’abandonner, alors qu’il prétendait l’aimer ! Il avait menti, pendant tout ce temps ! Les lettres, les déclarations ! Mensonges ! Mensonges !
Des flammes dévastatrices envahirent l’intérieur de son corps. Elle ne sentait même plus la douleur de son nez broyé.
Punir.
Quelques secondes plus tard, elle déposait sur la table basse ce qu’Arthur lui avait demandé.
— Et maintenant, tu vas l’attacher à l’arbre avec la corde ! De la neuf millimètres ! Tu sais pourquoi, de la neuf millimètres ?
— Non…
— Le meilleur des liens. Souple et solide, disponible partout en grande surface. Qui aurait pensé à ça, hein, qui ? Ce sens infini du détail, c’est pour ça qu’il ne s’est jamais fait attraper.
Il tendit son index.
— Mais avant, tu vas le déshabiller. Déshabille-le !
Emma se laissait guider par les paroles d’Arthur. Le déshabiller, pour l’humilier. Arthur avait raison. Comme ça, David comprendrait la leçon !
La cheville était sérieusement amochée. Elle avait gonflé, le sang avait coagulé à l’endroit de la morsure. Maintenant, il ne pourrait plus jamais s’enfuir. Emma se sentit soulagée. Il serait à elle, pour la vie.
Arthur lui indiqua la manière exacte de nouer les liens. Poignets croisés par-devant, six tours de corde. Puis elle redressa le corps et le ligota à l’arbre.
— Tu n’aurais pas dû, répétait-elle inlassablement. Tu n’aurais pas dû… Elles sont mortes, et c’est de ta faute. Uniquement de ta faute.
Arthur l’appela à lui et lui glissa deux pilules dans la main. Elle les avala, sans broncher. Il lui saisit à nouveau les cheveux, et la tira vers l’arrière.
— Tu me fais mal… fit-elle en retenant son cri.
Il la lâcha, l’œil sur la table basse. Le contenu de la malle. La petite pochette en cuir… Et…
David remua la tête. Arthur claqua des doigts et s’adressa à Emma :
— Tu restes dans la chambre jusqu’à ce que je t’appelle. Je dois lui parler. Savoir s’il t’aime vraiment. Si nous ne nous sommes pas trompés…
Emma posa la main sur sa poitrine.
— J’ai… J’ai le cœur qui commence à battre très vite ! Arthur !
— C’est parce que tu es très énervée. C’est très bien ainsi… Et maintenant, va dans la chambre !
Elle s’éloigna. Arthur s’approcha de David et lui murmura à l’oreille :
— Vingt-sept ans que j’attends ce moment. Vingt-sept longues années à me tourmenter… dans ce corps démoli… Tu ne peux pas imaginer ma souffrance… Ce bras manquant, il me fait encore si mal, parfois. Mes pieds me grattent en permanence. Mes doigts se raidissent, bouffés par l’arthrite. Mais aujourd’hui, tout va changer… Je vais enfin atteindre le nirvana. … Cette exaltation suprême de tous les sens. Exécuter la huitième œuvre. Boucler la boucle. Grâce à toi, mon enfant… Et à elle…
44.
Il était encore en vie.
Il était encore en vie et la déchirure qui grandissait dans son ventre décuplait l’infernale douleur.
Elles ne pouvaient pas être mortes. Pas elles.
Ses chéries.
David releva le front. Ses cheveux noirs, ses iris brillants contrastaient avec la maigreur blanche de sa poitrine. Nu, serré entre les cordes, il se sentait anéanti, vidé de sa substance.
— Noooon ! gémit-il d’une voix qui se brisa dans des vagues de sanglots.
Et, tandis que sa tête trop lourde tombait, que les larmes ruisselaient sur ses joues, que sa cheville le brûlait de douleur, son regard atterrit sur la table basse, ramenée juste devant lui.
Il faillit retomber inconscient.
Sous son crâne, toutes les victimes du Bourreau se mirent à hurler. Il vit leur sang se répandre, entendit leurs plaintes, leurs longs cris étouffés.
Ces horribles crimes, il les revécut un à un, comme s’ils avaient été enfermés en lui, depuis tout ce temps.
Leur souffrance devint la sienne.
Ses jambes se dérobèrent sous lui. Seules les cordes solidement enroulées autour de son torse l’empêchèrent de s’effondrer.
Il se dressait là, en face de lui.
Le Monstre, jailli d’entre les morts. L’âme du Mal.
Doffre, le Bourreau 125. Une seule et même personne.
— Noooon ! répéta David.
Le Bourreau 125 s’empara de la pochette de cuir posée au bord de la table et l’ouvrit délicatement. Avec une minutie extrême, il disposa les instruments tranchants devant la balance de Roberval, tous dans la même direction et parfaitement parallèles. Un scalpel, un bistouri, une paire de ciseaux, une tenaille et des pinces de manucure, de tailles variées. Sur la gauche, le cuivre de la plume de Maât brillait d’une lumière froide.
— Oh ! Mon Dieu ! Qu’est-ce que vous avez fait… Qu’est-ce que vous avez fait…
David répétait cette même phrase inlassablement. Il ne parvenait plus à réfléchir. Plus rien n’existait, plus rien ne s’ordonnait.
C’était inconcevable.
Le Bourreau se toucha le sexe et caressa le vase couleur chair.
— Il faut que ça dure, fit-il dans une grimace. Il faut que la jouissance se prolonge. Faire venir, puis laisser repartir. Appeler et repousser l’excitation, sans cesse, suivre le mouvement infini des marées.
Il rejeta la tête vers l’arrière et inspira profondément, avant de retrouver un visage plus détendu.
— C’est tellement difficile, ajouta-t-il. Une souffrance qui devient plaisir, un plaisir qui retourne à la souffrance la plus originelle. C’est pire qu’une drogue. Dix fois pire… Et dix fois meilleur.
David était incapable de prononcer un mot. Les images des maris mutilés tournoyaient dans sa tête, auxquelles se mêlaient les visages de sa femme et de sa fille. Il soufflait péniblement et essayait de remuer ses liens.