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Je me sentais suffisamment en forme pour faire un peu d’esprit et je lui répondis, tout aussi discrètement :

— Je vous ai entendu… comment dire… très dix-cinq dedans ?

Ça le fit rire. C’est un spectacle assez effrayant que de voir rire un Antimancos. Ils ont une bouche et des dents absolument disproportionnées par rapport à leur visage triangulaire. Il riait à gorge déployée. En vérité, c’était la première fois qu’un des Antimanco riait ainsi et le pilote qui n’était pas de quart surgit brusquement pour nous demander si quelque chose n’allait pas.

Le capitaine lui chuchota quelques mots à l’oreille, et le pilote, à son tour, chuchota à l’oreille de l’ingénieur qui était accouru. Et les chuchotements se poursuivirent jusqu’aux oreilles des hommes d’équipage jusqu’à ce que tout le monde se retrouve tout à l’avant du vaisseau en train de rire.

A l’instant où je prenais congé, le capitaine Stabb me prit la main.

— Officier Gris, vous me plaisez ! Par tous les Dieux, ça, oui, officier Gris, vous me plaisez !

Tout cela fit que, quand je retrouvai Heller pour le déjeuner, j’étais vraiment d’excellente humeur.

Il était dans le salon du pont supérieur, installé devant un plateau sur lequel étaient disposés des pains sucrés et de l’eau pétillante et il me fit signe de prendre un siège.

Il avait réglé les écrans sur le panorama tribord. Nous étions immobiles sous les rayons du soleil, à huit cents kilomètres au-dessus de notre base, à un peu moins de deux cents kilomètres à l’intérieur de la Ceinture de Van Allen. Et là, juste en dessous, c’était la Turquie !

Le vaisseau présentait son flanc à la planète. Les spatiaux sont fous. Peu leur importe qu’on soit à l’envers ou à l’endroit. Je trouvais plutôt déconcertant d’être assis sur un siège à la verticale avec, devant moi, un plateau tout aussi vertical. J’ai toujours l’impression que je vais tomber d’une seconde à l’autre. Bien sûr, les synthétiseurs gravifiques compensent tout, néanmoins je faisais particulièrement attention à la façon dont je tenais ma chope. C’est en de pareils moments que je me sens heureux de ne pas être un spatial !

Malgré tout, je me sentais bien et j’appréciais l’eau pétillante avec beaucoup de plaisir. Quand j’eus fini mon repas, la vie me parut agréable. Nous étions presque arrivés, nous n’avions pas explosé dans l’espace et les compensateurs de gravité avaient tenu le coup.

Je remarquai qu’Heller avait sorti tous les imprimés d’ordinateurs que je lui avais donnés à Répulsos, ainsi que plusieurs livres et des cartes. J’aperçus également la notice d’effacement qui indiquait que Lombar Hisst avait récupéré toutes les informations culturelles et autres concernant nos banques de données sur la Terre.

— J’ai réussi à identifier toutes ces mers par leur nom local, me dit-il, mais vous feriez mieux de vérifier.

C’était une journée ensoleillée, presque sans le moindre nuage. On était au milieu du mois d’août dans cette région de la Terre, une saison plutôt sèche, et les seules traces de brume que j’apercevais étaient dues à la poussière.

J’était heureux d’avoir appris qu’il ne connaissait pas tout.

— Cette mer, là, tout en bas, dis-je, juste au-dessous de la Turquie occidentale, celle qui est si bleue, c’est la Méditerranée. Et au-dessus, c’est la mer Noire. Mais, comme vous pouvez le voir, elle n’a rien de noir. A gauche, celle avec toutes ces petites îles, c’est la mer Egée. Et celle que vous voyez au nord-ouest, complètement enfermée, c’est la mer de Marmara. La ville que vous voyez tout en haut est Istanbul, que l’on appelait autrefois Constantinople et, il y a plus longtemps encore, Byzance.

— Eh ! Vous en connaissez un bout sur cet endroit !

J’étais flatté. Oui, c’est vrai que je connaissais assez bien la région. A dire vrai, il connaissait très bien son métier : la technologie et le vol spatial, mais il ne possédait pas le dix millième de ce que je savais dans mon rayon : espionnage et opérations clandestines. Ça, il l’apprendrait à ses dépens, et avant peu.

Mais je poursuivis, imperturbable :

— Juste à gauche, au centre de la Turquie, il y a un grand lac. Vous le voyez ? C’est le lac Tuz. Maintenant, si vous regardez un peu plus à l’ouest et légèrement au sud, vous allez découvrir un autre lac. Le lac Aksehir. Et d’autres au sud-ouest. Vu ?

Il avait bien vu, mais il me demanda :

— Vous pouvez me montrer le Caucase ?

Oh, mes Dieux ! Voilà qu’il repartait sur cette fable stupide !

— Tout là-bas, à l’est de la mer Noire, vous voyez cette bande de terre reliée à la Turquie ? C’est ça, le Caucase. Et à l’horizon, vous avez la mer Caspienne, qui constitue la frontière orientale du Caucase. Mais on ne peut pas y aller. C’est un pays qui appartient à la Russie communiste. La Géorgie et l’Arménie sont là, du côté russe. Mais le Caucase est hors des frontières. N’y pensez plus. J’essaie de vous montrer quelque chose.

— Très jolie planète, dit Heller de façon incongrue. Mais vous me dites que personne ne peut aller dans le Caucase ?

Bon, il fallait lui mettre ça dans la tête.

— Écoutez-moi bien : à partir du nord-est de la Turquie, et jusqu’à l’océan Pacifique, de l’autre côté de la planète, tout appartient à la Russie communiste ! Ils ne laissent entrer personne, ils ne laissent sortir personne. C’est une bande de dingues. Ils gouvernent avec une police secrète qu’on appelle le KGB.

— C’est comme l’Appareil ?

— Oui, comme l’Appareil ! Non ! Ce que je veux dire, c’est que vous ne pourrez pas y aller. Maintenant, est-ce que vous voulez m’écouter…

— C’est affreux. Toute une partie de cette planète est dirigée par une police secrète… Et pourtant, elle est tellement jolie. Mais pourquoi le reste de la planète accepte-t-il qu’ils gouvernent de cette façon démente ?

— Les Russes ont volé les secrets de la fission atomique. Il y a un risque de conflit thermonucléaire et il faut être très prudent car ils sont assez fous pour faire sauter la planète tout entière.

Il prenait des notes sur un bloc et – ce qui ne lui ressemblait guère – il récitait à haute voix : « Les Russes sont fous. Ils sont gouvernés par une police secrète semblable à l’Appareil. Ils pourraient faire sauter le monde avec des armes thermonucléaires. »

— Compris, dit-il.

Enfin, il m’accordait toute son attention.

— Maintenant, vous allez arrêter avec cette fixation sur le Caucase et m’écouter vraiment.

— Donc, le malheureux Prince Caucalsia a perdu sa deuxième patrie ! Les Russes la lui ont prise !

Je haussai le ton.

— Regardez à l’ouest du lac Tuz, tout droit à partir du haut du lac Akschir et à un tiers de cette distance. C’est Afyon. Notre base !

Bon, cette fois, j’espérais bien l’avoir arraché à cette idiotie : la Légende Populaire 894M ! Docilement, il tendit la main vers le panneau de contrôle et le paysage parut soudain monter vers nous. J’eus l’impression de tomber brutalement et je me retins à mon siège.

— Oh, oh ! s’exclama Heller. Ça alors ! On dirait tout à fait Répulsos !

Je dois avouer que je m’étais parfois demandé pour quelle raison cette base avait été choisie autrefois par l’Appareil. Mais je répondis :

— Non, non. Ce n’est qu’une coïncidence. Son nom est Afyonkarahisar.

— Qu’est-ce que ça veut dire en voltarien ?

Je n’avais pas l’intention de lui donner la traduction exacte : le château noir de l’opium. Je me contentai de lui dire :