Et il partit en courant.
Heller écrivit : Journalisme universitaire. Reçu avec mention très bien.
Deux filles qui erraient sans but s’arrêtèrent devant Heller, histoire de tuer le temps.
— C’est quoi ta matière principale ? demanda l’une d’elles.
— C’était le journalisme. Mais je viens de réussir l’examen avec brio. C’est quoi la tienne ?
— Critique avancée.
— A la revoyure ! lança Heller.
Bang-Bang ne tarda pas à revenir.
— J’ai récupéré la première série de charges et installé la deuxième, dit-il avant de se recoucher.
Ils me faisaient tourner en bourrique ! Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien fabriquer ? Pourquoi n’entendais-je aucune explosion ?
Heller ingurgita deux autres matières et inscrivit : Reçu avec mention dans son calepin. Bang-Bang, qui était reparti entre-temps, réapparut et fit une nouvelle sieste.
Heller avait abordé la chimie niveau bac. Mais ce coup-ci, il éprouvait de grosses difficultés. Ça se voyait. Il bâillait à s’en décrocher la mâchoire. Haha ! Tension nerveuse ! De toute évidence, c’était beaucoup trop ardu pour lui, car il posa le livre et s’empara d’un manuel de physique, niveau bac lui aussi. Il en lut une partie sans cesser de bâiller, reprit le livre de chimie et consulta tour à tour chaque bouquin.
— Hé ! lança-t-il aux livres, vous ne pourriez pas accorder vos violons sur au moins une chose ?
Fixation animiste caractérisée, cette habitude qu’il avait de parler à des objets. Pas étonnant qu’il fût incapable de comprendre des textes limpides.
Il vint à bout de tous ses livres de chimie, puis s’attaqua à nouveau à la physique, revenant sans cesse en arrière pour réingurgiter ce qu’il avait lu.
Et puis, brusquement – je n’en crus pas mes oreilles ! –, il– se mit à rire. Il a toujours été sacrilège. Des petits hoquets s’échappaient en cascade de sa bouche. Après un temps, il reprit sa lecture. Et rit plus fort encore. Son hilarité se transforma peu à peu en fou rire. Il roula sur le sol et se mit à marteler le gazon de ses poings !
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Bang-Bang en se redressant. Tu lis des bandes dessinées ou quoi ?
Heller se reprit – pas trop tôt ! – et dit :
— C’était un livre sur les superstitions primitives… Bon, il est presque midi. Va récupérer la dernière série de charges et allons manger un morceau.
Ah, je comprenais : ils allaient faire chanter l’université et lui demander une rançon.
Heller remballa toutes ses affaires. Bang-Bang revint et ils allèrent acheter des sandwiches et du pop-corn chez un marchand ambulant.
— L’opération se déroule comme prévu, déclara Heller. Pas un seul contretemps.
— Oui, nous disposons maintenant de positions stratégiques en territoire ennemi.
Ils passèrent un bon moment à reluquer les filles, puis Heller alla acheter deux journaux.
— C’est l’heure ! fit-il soudain sur un ton impérieux.
Et Bang-Bang partit comme une fusée. Heller réinstalla le poste de commandement. Lorsque le petit Sicilien revint, il s’allongea directement sur le drap-caméléon et s’endormit.
Je n’y comprenais rien. Apparemment, ils n’avaient fait sauter aucun bâtiment puisque je n’avais pas entendu la moindre explosion. C’était la première fois que je voyais quelqu’un suivre des cours d’une façon aussi étrange. Un étudiant, c’est censé écouter un prof dans une classe ou un amphithéâtre, prendre des notes, se ruer au cours suivant…
Heller en était à la moitié d’un ouvrage de trigonométrie lorsque Bang-Bang interrompit sa lecture.
— Je vais aller récupérer la dernière série de charges et installer la prochaine. Mais après, il faudra que tu prennes la relève, car l’armée m’attend.
Heller finit son livre et en admonesta la couverture :
— On ne peut pas dire que tu choisisses la simplicité.
Néanmoins, il inscrivit dans son calepin : Reçu avec brio.
Bang-Bang revint et laissa tomber le sac à dos qu’il avait trimballé à chacune de ses « missions ».
— Bon, eh bien, je fonce à l’abattoir. A toi de jouer maintenant.
Et il détala.
A l’évidence, Heller en avait assez d’étudier, car il rangea tous ses livres dans le deuxième sac. Il jeta un coup d’œil à sa montre et les chiffres voltariens lui apprirent qu’il était un peu plus de deux heures. Il déplia l’un des journaux qu’il venait d’acheter et le parcourut entièrement. Mais il ne trouva pas ce qu’il cherchait : « Grafferty ? Grafferty ? » ne cessait-il de marmonner.
Il ouvrit le deuxième journal. Il finit par trouver une photo floue qui montrait un pompier de dos descendant une échelle et portant une femme aux traits indistincts. La légende disait :
Hier soir, l’inspecteur de police Grafferty a sorti Johnny Matinee d’une pizzeria en flammes.
Heller l’animiste s’adressa au journal :
— Maintenant que j’ai réussi mon examen de journalisme avec mention très bien, je suis en mesure d’apprécier à sa juste valeur le beau métier de journaliste. C’est une sacrée responsabilité de tenir le public au courant de tout ce qui se passe.
Sa remarque m’amusa. Elle montrait bien à quel point il était superficiel. Il n’avait rien compris ! L’objectif des médias, c’est bien entendu de noyer le public dans les fausses nouvelles ! Sans les médias, un gouvernement – et les gens qui le dirigent dans l’ombre et tirent toutes les ficelles – ne pourrait pas semer la confusion dans l’esprit des gens et les presser comme des citrons. Dans les écoles de l’Appareil, on nous enseigne ces principes avec beaucoup de soin.
Mais mon amusement se mua bientôt en irritation. Toutes ces connaissances, vraies ou fausses, qu’il assimilait pouvaient me faire courir de gros dangers. Elles risquaient de le mettre accidentellement sur la voie et de le faire réfléchir.
S’il y avait un domaine qu’il ne devait surtout pas étudier, c’était bien l’espionnage. Je doutais que ce sujet fût enseigné dans les établissements scolaires américains, encore qu’il s’agissait d’une matière obligatoire dans les écoles maternelles russes afin que les enfants apprennent à espionner leurs parents – et comme les Américains copiaient souvent les Russes… Je croisai les doigts et priai pour que l’espionnage ne fût pas l’une de ces matières obligatoires. J’essayai de lire les listes de livres qui étaient éparpillées dans l’herbe.
Heller ressortit quelques livres et reprit ses études. A quatorze heures quarante-cinq, il remballa tout, souleva les deux sacs et partit au trot. Il entra dans un bâtiment, s’arrêta dans un couloir et surveilla une porte.
Ah ! J’allais enfin connaître le fin mot de l’histoire !
Les étudiants ne tardèrent pas à sortir, suivis du professeur qui s’éloigna à pas rapides dans le couloir.
Heller pénétra dans la classe vide et se dirigea droit vers l’estrade. Il plongea la main dans la corbeille à papiers.
Et en sortit un magnétophone à cassettes !
Il arrêta l’appareil et le mit dans l’un des sacs.
Ensuite il prit un petit appareil photo à développement instantané, recula de quelques pas et photographia les figures et les schémas sur le tableau noir.
Puis il rangea l’appareil et sortit.
Il courut jusqu’à un autre bâtiment et entra dans une classe vide.
Il monta sur l’estrade, prit un autre magnétophone dans son sac, vérifia qu’il contenait bien une cassette de cent vingt minutes, enclencha la touche d’enregistrement, plaça l’engin au fond de la corbeille à papiers, le recouvrit de feuilles froissées et quitta la classe à l’instant où deux étudiants y entraient.