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« Bon, je savais que tu n’avais pas envie de creuser des latrines, donc j’ai rejeté l’infanterie. Je ne voulais pas non plus qu’un abruti tire sur le cordon de mise à feu au moment où tu mettrais la tête dans la gueule d’un canon de 155 et j’ai donc éliminé l’artillerie. Dans la foulée, j’ai éliminé les tanks, vu que de nos jours ils sont tout juste bons à te faire griller vivant. Pareil pour la police militaire : je savais que tu la détestais autant que moi. J’ai rapidement épuisé la liste et, en fait, il n’y avait qu’une branche qui était susceptible de t’intéresser : G-2. J’espère que ça te convient.

— C’est quoi, G-2 ?

— Les renseignements. L’espionnage ! Je trouvais que ça cadrait bien avec mon job du moment – un marine infiltré dans l’armée de terre. Alors je me suis dit que ça te plairait aussi. »

Moi, ça ne me plaisait pas du tout. Je chancelai.

Bang-Bang extirpa des livres et des brochures de l’immense pile qu’il avait apportée. Sur leur couverture, il y avait des avertissements du genre : Personnel autorisé uniquement, Confidentiel, Top Secret.

— Tiens, regarde ce bouquin, dit Bang-Bang. Codes, chiffres et cryptographie. Comment communiquer par messages secrets. Et ceux-là : Comment entraîner un espion. Comment s’infiltrer derrière les lignes ennemies et empoisonner l’eau potable. Comment séduire la femme d’un général ennemi et obtenir d’elle qu’elle vous fournisse le plan de l’offensive prévue le lendemain… Rien que du tout bon ! Rien que du solide ! Et t’as vu combien y en a de ces bouquins ? Des dizaines et des dizaines ! Comment prendre un agent russe en filature. Comment choisir des cibles clés afin de détruire la production industrielle d’un pays. Rien que du solide, môme !

— Fais voir ceux-là, dit Heller.

Et il saisit un livre qui expliquait comment faire sauter des trains, puis un autre sur l’art de l’infiltration. Il se mit à rire.

— T’es content, môme ? demanda Heller.

— C’est fantastique !

— Je suis content que tu sois content. Je m’étais dit que j’avais été un peu égoïste. Vois-tu, ça rendait ce job un petit peu moins dégradant.

Bang-Bang coiffa sa casquette « USMC ». Puis il prit une autre casquette, sans inscription celle-là, qu’il mit sur la première pour dissimuler les initiales.

Ensuite il se mit à quatre pattes, alla se poster derrière l’arbre et, avec une prudence exagérée, sortit lentement la tête pour épier Heller. Il faisait le clown !

— Je suis un espion, dit-il. Un marine qui espionne l’armée ! Vu ?

Heller riait. Il riait à s’en faire éclater la rate. Mais je savais très bien qu’il ne riait pas pour la même raison que Bang-Bang.

Soudain, je compris ce qu’Izzy Epstein avait dû ressentir lorsque la catastrophe qu’il avait tant redoutée s’était brusquement abattue sur lui. Ces techniques d’espionnage terriennes étaient peut-être primitives, mais elles existaient. Ma tâche n’en serait que plus ardue.

Hâtivement, je rédigeai un autre message à l’intention du bureau new-yorkais : je réitérais à ces (bips) l’ordre de mettre la main sur Raht et Terb et leur promettais non seulement l’exécution mais aussi de longues séances de torture s’ils tardaient trop à les trouver. Il fallait absolument mettre fin aux pitreries d’Heller.

3

Vendredi, le scénario ne changea pas, à cette exception près qu’ils choisirent un autre poste de commandement et emportèrent des boissons gazeuses dans un seau à glace.

Quelle façon de faire ses études ! Toute la journée vautrés sur la pelouse à regarder passer les filles ! Bon, d’accord, c’était surtout Bang-Bang qui les reluquait. Heller s’était immédiatement plongé dans des manuels scolaires et universitaires de tous niveaux. Ah ! Quelle scène idyllique ! Quel spectacle bucolique ! A vomir !

Le lendemain, samedi, les choses changèrent cependant. Bang-Bang était parti je ne sais où, en marmonnant à propos de manœuvres, et Heller s’était présenté dans une salle pour passer un « examen d’orientation » qui devait déterminer quelles matières il avait besoin de revoir.

Je m’étais réveillé très tard, et, lorsque je fis défiler l’enregistrement à vitesse rapide, je pris bien soin de sauter toute la partie où il noircissait feuille après feuille d’une main ferme et rapide – il faut toujours qu’il frime. J’allai directement à l’entretien qu’il avait eu, peu après l’examen, avec l’un des assistants du doyen.

— Agnès, appela l’assistant par-dessus son épaule. Êtes-vous sûre que cette machine à noter a été envoyée en réparation ?

— Oui, monsieur Bosh. Elle n’a pas respecté son quota une seule fois de toute la matinée.

Mr Bosh, un jeune homme au regard perçant, tripota un instant la grande pile de copies qui encombrait son bureau avant de tourner la tête vers Heller.

— Il doit y avoir une erreur. Votre carnet de notes de l’année dernière dit que vous aviez 5 sur 20 de moyenne et voilà maintenant que vous avez 19 sur 20 de moyenne à l’examen que vous venez de passer. (Son regard se fit sévère.) Tout cela est très mystérieux, Wister. Vous pourriez m’expliquer ?

— Il arrive parfois que certains étudiants commettent l’erreur de sortir avec la fille de quelqu’un qui détient leur avenir universitaire entre ses mains.

Mr Bosh se redressa. Un large sourire éclaira son visage.

— Mais, oui. Bien sûr. J’aurais dû y songer. Ça arrive tout le temps !

Il se mit à rire doucement, rassembla les copies d’Heller et, sur la feuille du dessus, écrivit : A microfilmer et à classer dans son dossier d’étudiant.

— Eh bien, tout ce que je peux dire, Wister, c’est que votre calvaire est terminé. Vous n’avez aucune matière faible. Inutile, donc, de vous faire passer un examen de rattrapage. Nous indiquerons simplement que vous avez satisfait à toutes les conditions d’admission.

— Merci beaucoup.

Mr Bosh se pencha en avant et murmura :

— Dites-moi, Wister, juste entre vous et moi, vous l’avez fichue en cloque ?

— A votre avis, pourquoi ai-je été obligé de venir ici pour terminer mes études ? répliqua Heller.

Mr Bosh partit d’un éclat de rire tonitruant.

— Je le savais ! Je le savais ! Sensationnel !

Il serra la main d’Heller avec effusion et l’entrevue en resta là.

Quelque chose dans l’attitude de Bosh m’irritait profondément. Peut-être la façon dont il souriait à Heller… Le fait qu’il eût réussi l’examen n’avait rien d’extraordinaire : il avait passé plusieurs journées et plusieurs soirées – dans le hall du Gracious Palms – à potasser tous ces sujets et, pour lui, ça n’avait dû être qu’une espèce d’étude ethnologique de technologies primitives. Un ingénieur de combat voltarien archidiplômé réussissant à venir à bout de quelques sujets débiles et infantiles tels que la mécanique quantique et ses théories insensées, il n’y avait vraiment pas de quoi sauter au plafond. Cela me mit dans une colère noire ! Ma foi dans les habitants de la Terre s’en trouva fortement ébranlée – non pas que j’aie jamais eu la moindre foi en eux. Ils constituent un exemple parfait de racaille.

Je sortis dans le jardin et me mis à faire les cent pas. Deux des enfants cueillaient du raisin. Je les accusai d’en manger plus qu’ils n’en cueillaient, et quand ils se mirent à pleurer, je leur balançai quelques coups de pied. Je me sentis mieux.