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Ensuite, j’appelai le chauffeur de taxi et lui demandai sans mâcher mes mots quand il comptait me livrer Utanc. Il me répondit que tout se déroulait comme prévu. Mon moral remonta encore un peu. Il faut dire que ça me travaillait beaucoup plus que je ne voulais l’admettre de voir toutes ces filles superbes inviter ce (bip) d’Heller à venir les rejoindre dans sa suite chaque soir. Et pour tout arranger, je ne voyais jamais ce qu’il fabriquait avec elles. Mon imagination était déchaînée.

Cependant, l’arrivée imminente d’Utanc me donna le courage de retourner devant mon écran.

Heller ne faisait rien d’intéressant : il courait sur la piste d’un stade – et à une allure ridicule pour quelqu’un comme lui. Il s’arrêta, regarda un entraîneur mettre en rang une équipe de football et faire l’appel, trouva sans doute que cela ne présentait aucun intérêt et reprit son jogging. Comment les athlètes font-ils pour courir comme ça pendant deux heures d’affilée ? A quoi pensent-ils ?

Je ressortis et m’emparai du téléphone. Je voulais parler à l’entrepreneur qui construisait l’hôpital. Après quelques coups de fil un peu partout, je réussis finalement à le joindre. Il me dit qu’ils avaient presque fini de creuser le trou, que le tout-à-l’égout, les canalisations et les câbles d’électricité étaient prêts à être posés et que les travaux de fondation commenceraient dès le lendemain. (Bip) ! Tout allait bien. Et moi qui cherchais une bonne raison de m’en prendre à lui. Le seul reproche que je pus lui faire, c’était de s’être trouvé sur le chantier pendant que j’essayais de le joindre.

Quelques heures s’écoulèrent. Il n’était pas loin de minuit, ici en Turquie. J’éprouvais une espèce de fascination à observer Heller. J’attendais avec une impatience désespérée le jour où je le verrais se recroqueviller, en proie à une douleur atroce, et mourir lentement. Malheureusement, tant que je n’avais pas la plaque, il tenait ma vie entre ses mains insouciantes et cruelles.

Je me résolus donc, une fois de plus, à m’installer devant l’écran et parcourus rapidement l’enregistrement avant de suivre les nouvelles pérégrinations d’Heller.

Il était dans l’ascenseur. Je vis dans les glaces qu’il portait un complet bleu de facture classique. Par contre, son comportement, comme je n’allais pas tarder à le constater, n’avait rien de classique.

Lorsque la porte de l’ascenseur s’ouvrit, il se rua au-dehors et se précipita dans le bureau de Vantagio.

— Elle est là ! Elle est là ! cria-t-il. La voiture que je veux est arrivée !

Vantagio portait un smoking, sans doute parce que la ruée du samedi soir allait bientôt commencer.

— Eh bien, il était temps ! lança-t-il. Babe n’arrête pas de me bassiner avec ça tous les jours, et depuis que tu as couvert Grafferty de ridicule et de spaghetti, elle insiste pour que tu aies la meilleure voiture possible. Où est-elle ? Dehors ou dans le garage ?

— Dans le garage. Venez !

Mais Vantagio n’avait pas besoin de se faire tirer l’oreille. Il sortit rapidement du bureau avec Heller sur ses talons. Ils prirent l’ascenseur et descendirent au garage.

— Ç’a intérêt à être une petite merveille, dit Vantagio. J’aimerais en terminer avec cette histoire de bagnole et retrouver un peu de tranquillité. Ça fait déjà plus d’une semaine que Babe m’a ordonné de t’acheter ta voiture.

Mortie Massacurovitch attendait devant la porte de l’ascenseur. Heller le présenta à Vantagio.

— J’ai dû me taper deux tranches horaires aujourd’hui, dit Mortie. C’est pour ça que je n’ai pu venir que ce soir. Mais elle est là et elle t’attend. Regarde !

Et là, au milieu des piliers du garage et des limousines rutilantes dernier modèle, je vis le vieux taxi rouge quadragénaire, bosselé et éraflé de partout, avec sa vitre arrière fêlée.

Il évoquait une poubelle qu’une main malveillante aurait placée là pour profaner l’endroit.

— Où est la voiture ? demanda Vantagio.

— Là, fit Heller. C’est celle-là.

— Arrête de me faire marcher, môme. J’aime les blagues, mais là, c’est sérieux. Babe va m’arracher la tête si je ne te procure pas une caisse.

— Mais c’est une voiture fabuleuse ! s’écria Heller.

— Elle a été construite à une époque où on savait les construire ! renchérit Mortie.

— Tu veux dire que c’est pas une blague, môme ? s’exclama Vantagio, incrédule. Tu veux vraiment que je t’achète cette poubelle ?

— Hé ! protesta Mortie. La compagnie en demande un prix ridicule.

J’espère bien ! rugit le petit Italien. En fait, vous devriez refiler vingt-cinq balles à l’acheteur pour qu’il aille la balancer à la casse !

— N’exagérons rien, objecta Mortie. Je reconnais que ce taxi est loin de ressembler à une limousine. Mais je peux vous dire que j’ai eu un mal de chien à convaincre la compagnie de s’en séparer. C’est une espèce de souvenir. Un vestige du bon vieux temps. Le symbole d’une certaine tradition ! Bien entendu, il faudra retirer la peinture rouge et vous n’aurez pas le droit de le faire passer pour un véhicule de la compagnie des Really Red Cabs, pas plus que vous ne pourrez avoir sa licence – elle coûte cher et la compagnie n’en fera pas cadeau. Par contre, c’est une voiture parfaitement légale et le titre de propriété est en règle.

Vantagio s’était penché pour regarder l’intérieur. Il recula en se bouchant le nez.

— Mon Dieu ! lâcha-t-il.

— C’est juste le cuir, expliqua Mortie. Le skaï n’existait pas à l’époque, alors ils faisaient des sièges en vrai cuir. Bien entendu, il est un peu pourri et moisi, mais c’est du cuir véritable.

— Dites oui, fit Heller à Vantagio.

— Babe me tuerait si j’acceptais, gémit le petit Italien. Elle me ferait fouetter pendant deux ou trois heures avant de m’étrangler de ses propres mains.

— J’ai pour instructions de vous la vendre bon marché, intervint Mortie. Mille dollars, pas un cent de moins.

— Arrêtez de me torturer, tous les deux ! croassa Vantagio. J’ai une soirée éprouvante qui m’attend. On est samedi soir et les types de l’ONU commencent à être en rut, vu qu’ils vont reprendre les séances dans à peine deux semaines. Môme, est-ce que tu te rends compte que…

— Cinq cents ! lança Mortie. Mais je ne descendrai pas en dessous.

Vantagio voulut s’en aller, mais Heller le rattrapa par le bras et lui dit :

— Regardez, la carrosserie et les pare-chocs font un centimètre d’épaisseur. Et les vitres, Vantagio, regardez les vitres. Elles sont à l’épreuve des balles ! Vous voyez ces étoiles ici ? Eh bien, ce sont des impacts de balles. Ces vitres les ont arrêtées il y a à peine quelques jours.

— Deux cent cinquante, dit Mortie. Et c’est mon dernier prix.

— Môme, pour l’amour du Ciel, implora Vantagio. Laisse-moi aller en haut et téléphoner au concessionnaire MG pour qu’il t’envoie une voiture de sport rouge.

— Ce taxi est une véritable beauté ! répliqua Heller.

— Laisse-moi appeler le concessionnaire Mercedes-Benz.

— Non.

— Alfa Romeo ?

— Non.

— Maserati, alors ? Ça, c’est de la bonne voiture. De la très bonne voiture même. Je peux en faire construire une spécialement pour toi. Une décapotable avec une carrosserie rouge vif. Je la remplirai de filles.

— Non.

— Oh, che il diavolo lo porti. Tu es en train de signer mon arrêt de mort ! Jamais ne n’oserai mettre cet engin dans ce garage. C’est une véritable épave !

— C’est une voiture de collection ! aboya Mortie. C’est certainement pas une épave ! C’est une voiture de collection très cotée !