Ils avaient apporté un petit coffret d’ornements qu’ils tenaient à deux. En chœur et en anglais, ils dirent à Heller :
— Nous vous remercions d’avoir servi de médiateur à propos de Catina et d’avoir été à l’origine du traité que nous avons signé. Nos deux pays se sont unis pour vous offrir ce gage de notre reconnaissance. Jamais il n’a existé une telle paix.
Ils ouvrirent le coffret et révélèrent un pistolet automatique Llama calibre 0,45. Il était damasquiné et reposait sur un coussin de velours mauve. De chaque côté de la crosse – qui, elle, était entièrement en or –, on avait gravé les armoiries des deux pays. Elles étaient reliées par un cœur. Le graveur n’avait pas dû s’amuser. (Bip) ! Ce cadeau avait dû coûter une fortune ! Il y avait aussi des magasins de rechange et cinquante cartouches. Mais ce n’était pas tout. A côté de l’arme, je vis un holster de cuir noir. On y avait gravé le nom « Prince X » ainsi qu’une colombe blanche de la paix.
Mais mis à part le fait que ce revolver était en or au lieu d’être noir, ce n’était en réalité rien d’autre qu’une arme de gangster. Il ressemblait à un Colt .45 de l’armée.
Heller les remercia et ils s’éloignèrent avec un large sourire.
J’étais tellement écœuré que je ne pus trouver le sommeil lorsque je me couchai à l’aube. Incroyable ! Ils lui avaient fait cadeau d’une arme magnifique pour le remercier d’avoir usé d’un artifice minable et puéril ! Et en plus, il avait été malhonnête avec eux : il se promenait sous un faux nom. « Prince X » ! Je t’en ficherai, moi ! Il n’était qu’un simple ingénieur de combat de la Flotte, issu comme moi de la classe moyenne. J’avais même un grade de plus que lui ! Comment pouvait-on donner une arme aussi belle à un type comme lui ? Quel gaspillage !
Donc, comme je le disais, j’étais impatient de revoir Miss Simmons.
A neuf heures du matin, heure de New York, l’interférence cessa sur mon écran. Est-ce qu’Heller s’activait pour aller assister à son cours dominical ? Mais non ! Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il se faisait une idée plutôt perverse de l’observation de la nature. Jugez plutôt.
La première chose que je vis sur mon écran, ce fut le cou d’une fille. Une brune. Elle était à plat ventre sur le divan et l’un de ses bras balayait mollement le tapis. De toute évidence, elle était épuisée.
Heller lui massait le cou avec les pouces. Il y avait un pichet en argent sur une table voisine. La vision périphérique me révéla qu’Heller portait un peignoir blanc et qu’il était assis sur l’accoudoir du divan, surplombant la fille à demi nue.
— Ooooh ! gémit-elle. Je sens que je vais mourir !
— Relaxe, Myrtle, fit-il d’une voix douce, tout en continuant son massage. Dans un instant ça ira mieux.
Elle poussa un nouveau gémissement et dit :
— Dix-sept fois, c’est trop !
— Tu arrives à soulever la tête maintenant ? demanda Heller.
Elle fit une tentative et laissa échapper une longue plainte.
— J’ai l’impression d’avoir été violée par un éléphant.
— Tu m’en vois navré.
Brusquement, je compris ! Ce monstre avait abusé de cette malheureuse créature ! Et en plus, elle était jolie –elle s’était tournée sur le côté et j’avais aperçu son visage.
— Ça va mieux, mon lapin, annonça-t-elle. Mais plus jamais une nuit comme ça !
Haha ! Les filles ne l’aimaient pas tant que ça !
Elle se leva en chancelant, aperçut son peignoir et alla l’enfiler sans enthousiasme.
— Prends un bain et va te reposer, lui conseilla Heller. Ça ira mieux après.
— Espérons, soupira-t-elle. Je pourrai revenir plus tard ?
Mes Dieux ! Il avait opéré un transfert sur cette pauvre fille ! Il l’avait convertie au masochisme et en avait fait sa chose !
— J’ai un cours d’observation de la nature à une heure, dit Heller.
— Observation de la nature… Le moins qu’on puisse dire, c’est que j’ai eu ma dose pour aujourd’hui.
Et elle sortit en titubant, pieds nus, son peignoir ouvert flottant derrière elle. Pauvre fille meurtrie !
Heller commanda un petit déjeuner et, en attendant qu’on le lui apporte, passa un coup de fil. Pas étonnant que je ne sois pas au courant de ses plans. Il conduisait ses affaires durant les moments d’interférence. En cachette !
Un enfant décrocha.
— Je voudrais parler à Mike Mutazione, dit Heller.
— Papa, c’est pour toi ! cria l’enfant.
Mike vint au téléphone.
— Désolé de vous déranger un dimanche, fit Heller. Mais est-ce que vous avez reçu le taxi ?
— Affirmatif, môme. C’est une vraie petite merveille ! Je vais te la retaper en moins de deux.
— Super. Maintenant, écoutez, Mike. Je vais vous faire envoyer une petite fiole contenant un produit spécial, ainsi qu’un petit mot avec des instructions complètes. Je veux que vous mélangiez ce produit à la peinture que vous utiliserez pour la carrosserie et les inscriptions. C’est un produit qui se dissout dans n’importe quel type de peinture. Donc, lorsque vous en aurez terminé avec le moteur, les vitres, la carrosserie et les sièges, n’oubliez pas d’ajouter le produit à la peinture avant de repeindre la voiture.
— Il la rend plus brillante ?
— Quelque chose comme ça. Je vous fais envoyer la fiole tout de suite, comme ça vous l’aurez au moment d’attaquer la peinture.
— D’accord, môme. Pas de problème. La Cadillac avance bien. Le nouveau moteur va arriver un peu plus tard que prévu, mais il en est en route. Les nouveaux pistons aussi. Elle montera à 280 quand nous en aurons terminé avec elle. (Il rit et ajouta :) Tu seras obligé de garder le pied sur le frein pour l’empêcher de décoller vers la lune.
— Prenez tout votre temps. Par contre, le taxi, il me le faudrait avant-hier.
— Tu l’auras, môme. Tu l’auras. Tu veux venir à la messe avec nous ?
— Désolé, j’ai un cours d’observation de la nature, aujourd’hui. Mais merci quand même, Mike. ciao.
Aller à la messe ? … Si ça continuait comme ça, ces (bips) de Siciliens allaient bientôt le convertir au christianisme !
On lui apporta son petit déjeuner, dont la pièce de résistance était une énorme glace au chocolat. A peine le serveur eut-il quitté la pièce qu’une blonde superbe entra d’une démarche féline.
— Salut, Semantha, dit Heller. Tu veux partager mon petit déjeuner ?
Elle déclina son offre et s’assit dans un fauteuil, à côté du divan. Puis elle indiqua la porte et dit :
— Myrtle vient de passer, pas vrai ? Méfie-toi de Myrtle, mon joli.
Heller émit un petit rire.
— Non, je suis sérieuse, mon joli. Tu as intérêt à faire très attention. Myrtle, c’est la ruse personnifiée. Je la connais. Dis-moi, lorsqu’elle est entrée, est-ce qu’elle a fait ceci ?
Elle ouvrit négligemment son peignoir. Elle ne portait rien en dessous ! C’était ça l’idée que se faisait Heller de l’observation de la nature ?
— Et ensuite, est-ce qu’elle s’est assise de cette façon ?… (Elle étendit les jambes et les posa sur le divan, à droite d’Heller.) Et après, est-ce qu’elle t’a montré sa cuisse comme ceci ? (Elle fit glisser les pans de son peignoir.) Et est-ce qu’elle a fait courir ses doigts le long de sa cuisse en disant qu’elle avait un bleu et en te demandant de bien vouloir regarder ?
« Oh, tu devrais te méfier d’elle, mon joli.
Et après avoir fait tout ça, est-ce qu’elle s’est levée en faisant glisser son peignoir comme ceci ? (Le vêtement tomba par terre.)