« Et ensuite, est-ce qu’elle a dit qu’elle avait une petite douleur au sein gauche ? Et est-ce qu’elle l’a soulevé comme ceci en te demandant de regarder s’il n’y avait pas un bleu ?
« Et après, est-ce qu’elle s’est approchée tout près en te demandant de l’examiner en détail ? »
Heller était écroulé de rire.
— Attention, pouffa-t-il. Tu vas te mettre de la glace partout.
— Et ensuite, reprit Semantha, est-ce qu’elle s’est promenée dans la pièce en marchant comme ceci ?… Oh, tu ne te méfies pas assez d’elle ! Et est-ce qu’elle a ramassé son peignoir comme ceci ? Et fait semblant de découvrir qu’elle était nue, en poussant un petit cri de surprise, comme ceci ?… Et après, est-ce qu’elle s’est dirigée vers ta chambre à coucher en traînant son peignoir derrière elle, en t’invitant du regard comme ceci ?… Oh, elle a plus d’un tour dans son sac !
— Le lit n’est pas fait, lança Heller.
Il suivait à présent le manège de Semantha dans les glaces murales de la chambre à coucher.
— Ensuite, continua-t-elle, est-ce qu’elle a palpé le lit comme ceci ? Et est-ce qu’elle t’a demandé si elle pouvait l’essayer pour voir s’il était plus moelleux que le sien ?…
Semantha s’était allongée au-dessus des couvertures. Elle était étendue sur le dos, jambes écartées.
— Et après, est-ce qu’elle a caressé son corps comme ceci ? Est-ce qu’elle l’a fait, hein, dis, mon joli ?… Ah, si on ne la retient pas, elle est capable de tout !… Et ensuite, est-ce qu’elle a tendu les bras vers toi en remuant les hanches comme ceci et en disant qu’elle se sentait un peu vide et qu’elle avait besoin…
— Semantha, sors de ce lit et viens ici, ordonna Heller.
— Oh, toi alors ! roucoula-t-elle. Tu veux dire que je vais rester debout ? Et que tu vas me…
L’interférence revint. Bof… De toute façon, je n’avais pas besoin d’en voir davantage. A l’évidence, Heller était un de ces détraqués qui aimaient les positions bizarres.
Pourquoi de (bip) de chauffeur de taxi tardait-il tant à me livrer Utanc ? Bouillonnant de colère, je sortis pour aller l’appeler. Il n’avait pas idée du calvaire qu’il me faisait endurer. Je composai son numéro je ne sais combien de fois mais il n’était pas chez lui. Puis j’arpentai longuement le jardin avant d’aller dîner.
C’était scandaleux cette façon qu’avait eue Heller de se préparer à son cours d’observation de la nature ! J’étais outré ! Je ne comprenais pas comment il arrivait à passer de l’enfer du vice à la beauté enchanteresse du monde sans être rongé par le remords. Il n’était pas fait pour fréquenter des gens comme la charmante Miss Simmons et sa classe d’adolescents bien élevés.
Par bonheur, je savais que je pouvais compter sur Miss Simmons. Elle n’allait pas le rater ! C’était une femme de caractère.
5
Apparemment, le premier cours d’observation de la nature avait lieu dans le parc des Nations unies, entre la 42e Rue et la 48e Rue, au bord de l’East River – à quelques blocs de distance du Gracious Palms.
C’était un bel après-midi de septembre. Les arbres et les pelouses étaient verts. Le ciel et l’eau de la rivière étaient bleus. La formidable masse blanche du Secrétariat Building se dressait haut dans le ciel derrière le General Assembly Building et le Conférence Building.
Quelques étudiants étaient déjà arrivés et s’étaient rassemblés devant la Statue de la Paix qui était le lieu de rendez-vous. La plupart portaient des vêtements quelconques et des jeans. Certains avaient des lunettes sur le nez, d’autres pas. Certains étaient gros, d’autres minces. Heller les observa avec curiosité. Ils ne se parlaient pas : à l’évidence, ils ne se connaissaient pas.
J’avais vu dans les glaces de l’ascenseur qu’Heller portait un jean en velours sur mesure, sa casquette de baseball et ses pointes. Avec sa mise soignée et ses vêtements coûteux – exception faite de sa casquette et de ses chaussures, bien entendu – il devait détonner un peu par rapport au reste du groupe. De plus, il était plus grand que tout le monde. Et il portait une élégante musette en toile de jean, alors que les autres avaient juste un cartable ou un fourre-tout. Oui, il était sûr de se faire remarquer –surtout par les filles.
Les autres étudiants arrivèrent un à un d’un pas nonchalant. Ils devaient être une trentaine à présent.
Et puis, brusquement, au loin, je vis Miss Simmons ! Elle marchait d’un pas ferme et décidé. Elle portait des souliers de marche et, malgré la chaleur, un tailleur de gros tweed. Dans sa main droite, elle tenait un bâton de marche qui ressemblait plutôt à une longue matraque. Ses cheveux bruns étaient relevés en chignon et elle était coiffée d’un chapeau de chasseur.
Elle s’arrêta devant le groupe d’étudiants et remonta ses lunettes à monture d’écaille pour mieux les voir. Elle les détailla l’un après l’autre. Mais lorsqu’elle posa le regard sur Heller, elle laissa retomber ses lunettes. Ah, c’était bon signe ! De toute façon, je lui faisais entièrement confiance : s’il y avait une personne capable de mettre fin aux agissements d’Heller, c’était bien elle ! Les premières paroles qu’elle prononça me mirent du baume au cœur.
— Tiens, tiens, vous êtes là, Wister, dit-elle devant tout le monde. Comment va le jeune Einstein, aujourd’hui ? Vous ne souffrez pas trop des chevilles ? J’ai entendu dire que vous avez à nouveau fait jouer le PISTON hier pour échapper aux examens de rattrapage. Mais ne vous en faites pas, vous n’êtes pas encore sorti de l’auberge, Wister. La guerre que vous préconisez avec tant de férocité ne fait que commencer !
Elle remonta ses lunettes pour mieux voir la classe et commença son cours.
— Bonjour, jeunes espoirs de demain. Je commence toujours notre itinéraire d’observation de la nature ici, dans le parc des Nations unies. L’Organisation des Nations unies a été fondée en 1945 dans l’espoir d’empêcher l’escalade de la GUERRE et, en particulier, de la guerre atomique. Mais cet espoir a été enseveli dans les grands mausolées blancs que vous voyez là-bas.
« Autrefois, cette partie de Manhattan était un quartier d’abattoirs. Il semblerait que la tradition ait été perpétuée.
« L’ONU, cette tombe dans laquelle sont enterrés tous les espoirs de l’homme, a de l’argent, de l’autorité et des POUVOIRS ! Mais au lieu de s’en servir honnêtement, que font les HOMMES cupides et égoïstes qui siègent dans cette sépulture ?… Ils passent leur temps à monter des combines pour se soustraire à leurs devoirs – des devoirs qu’ils s’étaient solennellement engagés à remplir sur tout ce qu’il y a de plus sacré !
« Si on laissait faire cette bande de lâches et de crapules, ils feraient sauter le monde entier à coups de bombes thermonucléaires !… Wister, je vous prie d’écouter ! »
Elle laissa retomber ses lunettes et lui lança un regard mauvais. Puis elle les remonta et reprit sa harangue.
— Bref, chers élèves, nous commençons ce cours avec un organisme qui aurait pu être, j’ai nommé les Nations unies. Toutes les choses vivantes que vous aurez l’occasion d’observer tout au long de ce cours auront bientôt disparu pour toujours. Elles auront été détruites par l’oisiveté malveillante, l’indécision, les machinations et la lâcheté des misérables qui siègent à l’ONU… Wister ! Qu’est-ce que vous regardez ?
— Cette pelouse ne tient pas trop mal le coup si on considère le nombre de gens qui passent dessus chaque jour. Si on ne l’arrosait pas avec de l’eau chlorée, elle serait en meilleur état.