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— J’aimerais que vous soyez plus attentif, Wister, fit Miss Simmons d’une voix sévère. C’est un cours d’observation de la nature, pas un cours sur l’utilisation des gaz toxiques ! (Elle se tourna à nouveau vers la classe et dit :) J’espère que vous prenez note des informations vitales que je vous donne. Est-ce que vous voyez ce groupe d’hommes à l’attitude méprisante, là-bas dans le parc ? Ce sont des gens de l’ONU. Regardez bien leur air suffisant et le rictus de satisfaction qui déforme leur visage.

Heller intervint serviablement :

— Sur leurs casquettes bleu et or et sur leurs badges, c’est écrit : Légion américaine, Poste 89, Des Moines, Iowa. L’Iowa est-il un des pays représentés par l’ONU ?

Miss Simmons réagit comme il convenait : elle l’ignora et poursuivit son cours.

Donc, retenez bien, retenez avec horreur et indignation l’attitude totalement irresponsable qui règne en ces lieux. Si seulement ces hommes voulaient bien s’acquitter de leurs devoirs… Wister, qu’est-ce que vous regardez encore ?

— Ces feuilles, répondit Heller. Tout bien considéré, ces arbres ne tiennent pas trop mal le coup dans toutes ces vapeurs de mazout qui émanent du fleuve. Mais le sol manque sans doute de minéraux.

— Prêtez attention au cours ! lança sèchement Miss Simmons. Donc, comme je le disais, si l’Organisation des Nations unies s’acquittait vraiment de ses devoirs, elle pourrait mettre fin pour toujours au complexe lemminguien d’autodestruction dont semble souffrir l’ensemble de la race humaine.

— Qu’est-ce que ça veut dire « lemminguien » ? demanda une étudiante.

— C’est un adjectif que j’ai inventé. Ça vient du nom « lemming ». Les lemmings sont d’horribles rongeurs qui, chaque année, se jettent par hordes entières dans la mer. Suicide collectif, en d’autres termes. Donc, s’ils le voulaient, les fantoches de l’ONU pourraient se dresser comme un seul homme, sonner le clairon et, d’une voix vibrante, proclamer : « MORT AUX BELLICISTES CAPITALISTES ! » Wister, POUR L’AMOUR DU CIEL, qu’est-ce que vous regardez encore ?

Trois goélands gisaient au milieu de l’allée d’asphalte qui longeait la berge. Leurs pattes étaient emprisonnées dans une grosse flaque visqueuse de mazout noir. Ils étaient cloués au sol. Deux étaient morts. Le troisième remuait faiblement pour tenter de se libérer. Ses plumes étaient couvertes de mazout. •

— Ces oiseaux, répondit Heller. Ils sont prisonniers d’une flaque de mazout.

— Je suppose que comme ça, ça vous sera plus facile de les attraper pour les faire sauter avec une bombe atomique ! (Elle se tourna vers la classe et dit :) Ne faites pas attention à ses clowneries ! Il y a toujours un étudiant qui essaie de dissiper les autres…

Un hélicoptère passa au ras de l’eau et couvrit le discours de Miss Simmons.

Heller sortit une paire de gants de sa musette et les enfila. Il alla jusqu’à la berge et vérifia si les deux premiers oiseaux étaient vraiment morts. Puis il se dirigea vers le troisième. Le goéland essaya de se défendre en donnant de faibles coups de bec.

Heller s’était accroupi et avait sorti une petite bombe de sa musette. Par tous les Dieux ! Il était une fois de plus à la limite d’une violation du Code. Sur l’étiquette, il y avait une inscription en voltarien : Dissolvant 364, Base 14 d’Approvisionnement de la Flotte. Je pris note de cette transgression potentielle. Quelqu’un pourrait remarquer l’étiquette !

Il prit son chiffon rouge d’ingénieur et en recouvrit les yeux et les cavités respiratoires du goéland. Ensuite il saisit la bombe et vaporisa son plumage. Bien entendu, le mazout disparut.

Il dégagea les pattes de l’oiseau et les essuya soigneusement avant de les vaporiser. Puis il l’examina attentivement, trouva deux petites taches de mazout qu’il n’avait pas vues et les fit disparaître. Sa propreté maladive m’exaspérait !

Il sortit une bouteille d’eau, l’ouvrit et versa un peu d’eau dans la capsule. L’oiseau, qui n’avait plus le chiffon sur la tête, se mit à donner des coups de bec. Puis il parut se raviser et but un peu d’eau. Cela dut lui faire du bien, car il plongea le bec à plusieurs reprises dans la capsule.

— Tu étais déshydraté, expliqua Heller. A cause du soleil. Tiens, bois encore.

Quel imbécile ! Il s’adressait en voltarien à un oiseau terrien !

Il prit une moitié de sandwich, en détacha un petit morceau et le déposa sur l’herbe. L’oiseau déploya ses ailes et je parie qu’il devait être drôlement surpris. Au moment de s’envoler, il aperçut le bout de pain et décida d’abord de déjeuner.

— Tu es un brave petit oiseau, dit Heller. Ne t’approche plus de ces nappes noires. C’est du mazout. Du pétrole. Tu comprends ?

L’oiseau laissa échapper une espèce de pépiement et poursuivit son repas. Bizarre. Pourquoi ce pépiement, puisqu’il ne comprenait pas le voltarien ?

Heller regarda autour de lui. Bien entendu, la classe n’était plus là. Il écouta attentivement pour essayer de la repérer. Rien. Il explora rapidement les alentours. Rien.

Il se mit à renifler. Pourquoi diable reniflait-il ?

Il jeta un coup d’œil en arrière. Le goéland prenait son envol. Il passa à côté d’Heller, décrivit un grand cercle et s’élança au-dessus de la rivière avant de disparaître au loin.

Heller renifla à nouveau et se mit à courir. Quelques instants plus tard, il était dans le hall d’entrée du building de l’Assemblée générale.

L’endroit parut beaucoup l’intéresser. La lumière du jour filtrait à travers les murs diaphanes. Il alla examiner un mur, sans doute pour découvrir la cause de ce phénomène.

Ensuite il se dirigea vers la salle de l’Assemblée et entra.

Miss Simmons était là avec les étudiants et poursuivit sa leçon.

— … et c’est ici même que les délégués pourraient se dresser comme un seul homme et, d’une voix puissante et majestueuse, interdire pour toujours les armes nucléaires. Mais hélas, ils ne le font pas. Les hommes qui siègent ici sont réduits au silence par leurs propres peurs. Ils se tapissent derrière…

Heller examinait un bloc de marbre.

Miss Simmons sortit et la classe lui emboîta le pas. Elle continuait son discours, ignorant le guide qui semblait s’être attaché au groupe. Ils pénétrèrent dans le building des conférences, gagnèrent le balcon qui surplombait la salle du Conseil de sécurité et regardèrent les deux cents et quelques sièges – vides, bien entendu, puisque les sessions ne reprendraient pas avant deux semaines.

— … Et voici la tanière des quelques hommes tout-puissants – représentant une quinzaine de pays – qui opposeraient leur veto à toute condamnation sensée votée par l’Assemblée générale, en admettant que celle-ci se décide vraiment à agir. Les cinq membres permanents –les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Russie et la Chine – ont chacun le droit de rejeter, individuellement, les doléances angoissées de tous les peuples de la Terre ! Ils s’opposent sans relâche à tous ceux qui voudraient prohiber les armes nucléaires et désarmer le monde ! Rongés par la cupidité, la soif de pouvoir, la mégalomanie et la paranoïa, ces quelques pays, qui se sont élus maîtres de la destinée du monde, nous précipitent à pas de géant vers la catastrophe finale.

Heller s’était plongé dans la contemplation d’une tenture bleu et or et d’un tableau mural. Mais en entendant les dernières paroles prononcées par Miss Simmons, il demanda d’une voix tranchante :

— Qui empêche toute solution ?

Elle claironna littéralement la réponse.

— Les imposteurs russes qui ont trahi la révolution et qui se sont bombardés dictateurs du prolétariat ! Qui a demandé cela ? C’était une très bonne question.