Heller tendit la main vers sa musette.
— Arrête ça, fiston. Place tes mains de façon à ce qu’on puisse les voir. Ce fusil tire du calibre douze et la détente est ultra-sensible. On lui prendra son pognon plus tard, Joe. Bonté divine, regarde-moi ces jeunes diables !
Il avait prononcé cette dernière phrase d’une voix paternelle.
— Il n’y a que les fous furieux qui se livrent à des actes comme ceux-là ! cria Heller.
— Comment ça, des fous furieux ? contre-attaqua l’homme au revolver. Pete, le gars qui tient le fusil, a été leur prof. C’est un psychologue de première. Et chacun de ces gamins que tu vois là-bas a eu 18 sur 20 en psycho. Alors ne viens pas me dire qu’ils sont fous. D’ailleurs, tu devrais voir leur (bip). Elle est aussi dure qu’un gourdin ! Ils se débrouillent bien, ces petits, hein, Pete ?
— Bon sang, regarde-les, s’esclaffa l’homme au fusil.
Je vis soudain qu’Heller reculait. Lentement, très lentement, centimètre par centimètre. Apparemment, il allait utiliser la solution standard : prendre la fuite. Il était plus malin que je croyais.
Les six jeunes gens étaient de plus en plus excités et poussaient des cris hystériques. Ils avaient entraîné Miss Simmons jusqu’à la partie moins accidentée du terrain. L’un des deux Hispano-Américains bondit sur elle et lui arracha son chapeau.
L’autre passa à côté d’elle en courant et donna un coup dans son chignon. Ses cheveux tombèrent sur ses épaules.
— Ouaaaah ! cria le Noir. Est-ce qu’elle est pas à croquer !
— Tuer une bande de voyous ne fait pas partie de mon travail ! dit Heller. (Puis il cria :) Je vous en prie, arrêtez et partez pendant qu’il en est encore temps !
— Les seuls qui risquent de se faire buter, c’est toi et cette (bipasse), répliqua Pete. (Puis il cria à l’adresse du groupe :) Qu’est-ce que vous attendez pour la déloquer, bon sang ! J’veux voir d’la viande ! Aaaah, quel pied ! Ça vaut tous les programmes télé du dimanche !
Deux hommes foncèrent sur Miss Simmons, attrapèrent chacun un côté de la veste de son tailleur et la lui arrachèrent. Ils s’éloignèrent en dansant et jetèrent leur prise.
Deux autres passèrent en courant de part et d’autre de la jeune femme, qui faisait des moulinets avec ses bras, et déchirèrent son chemisier.
Heller continuait de reculer, centimètre par centimètre.
— Blackie ! hurla Joe. Mets-toi derrière elle et enlève-lui son soutien-gorge !
— Aaaaah ! fit Pete d’une voix extasiée.
— Pedrito ! cria Joe. La jupe ! La jupe, bon sang ! Arrache-lui sa jupe !
Heller reculait lentement, lentement, lentement, comme dans un film qui débiterait image par image.
— Allez, chauffez-la ! Chauffez-la ! hurla Joe. Attrapez-la par-derrière et chauffez-la !
— Allongez-la par terre ! Allongez-la ! cria Pete.
Miss Simmons voulut donner un coup de pied à l’un des hommes. Il l’attrapa par la chaussure et tira tellement fort qu’elle fut arrachée du pied ! Il y eut un craquement.
— Ma cheville ! hurla Miss Simmons, le visage tordu de douleur.
— Oh, merde, j’adore quand elles gueulent ! gloussa Pete.
Imperceptiblement, Heller poursuivait sa manœuvre de recul. L’angle formé par les deux arbres était en train de se refermer. Il était quasiment sorti du champ de tir du fusil. D’ici peu, il pourrait s’enfuir. Malin, très malin.
— Couchez-la ! cria Joe. Couchez-la sur le dos !
— Déloquez-la complètement comme je vous l’ai appris ! hurla Pete.
— Ouaaah ! soupira Joe. T’as vu comment le gamin est en train de la peloter.
La voix de Miss Simmons s’éleva au-dessus des arbres.
— Ne me touchez pas ! Ne me touchez pas !
L’un des Hispano-Américains regardait la scène avec avidité.
— J’ai la cheville cassée ! hurla-t-elle.
Le cri de Miss Simmons retentit dans tout le vallon. Joe se passa la langue sur les lèvres.
— Mettez-vous au boulot ! ordonna Pete. Faites qu’elle en redemande !
Un jeune Blanc aux yeux exorbités se jeta sur elle.
— Attrapez ses jambes ! cria Pete.
Miss Simmons poussa un hurlement terrifiant et Joe sursauta.
— Whitey d’abord ! rugit Pete. Les autres ont la (bipouille) ! Laissez Whitey passer en premier !
Brusquement, Heller se jeta à terre !
Le fusil fit feu avec un fracas assourdissant.
Heller roulait à toute vitesse sur lui-même – vers la gauche.
Un coup de revolver claqua.
L’homme au fusil essayait de contourner l’arbre pour avoir Heller en point de mire. Il recula.
Il y eut un deuxième coup de revolver. La balle arracha une motte de terre tout près de la tête d’Heller.
Heller continuait de rouler sur lui-même.
L’arbre entra soudain dans son champ de vision. L’homme au fusil s’avança.
Les deux mains d’Heller jaillirent dans les airs et tirèrent violemment sur le fusil.
L’homme poussa un hurlement et tomba en arrière. Il avait la main cassée.
Un autre coup de revolver. Un morceau d’écorce gicla de l’arbre.
Brusquement, l’homme au revolver se trouva dans la ligne de visée du fusil.
Le fusil cracha sa charge avec un soubresaut.
Le sang jaillit de la poitrine de l’homme au revolver qui fut projeté en arrière sous l’impact.
L’homme au fusil essayait de se relever.
La crosse du fusil décrivit un arc de cercle. Il y eut un choc et un craquement horribles. Le visage de l’homme au fusil n’était plus qu’une bouillie sanglante de chair et d’os brisés.
Heller se rua sur le sentier.
Les six hommes qui entouraient la jeune femme s’étaient déployés en éventail et attendaient, ramassés, sur leurs gardes.
L’un des jeunes Blancs hurla : – Il est tout seul ! Tuez-le !
Le Noir et l’un des Hispano-Américains se ruèrent en avant.
Un cran d’arrêt étincela.
Les quatre autres se détachèrent sur les côtés pour encercler Heller.
Le pied d’Heller vint frapper la main qui tenait le cran d’arrêt. Le couteau s’envola. L’homme hurla de douleur.
Vision brève d’un autre homme, encadré par deux de ses acolytes. Il tient un revolver.
Le pied d’Heller l’atteint avec la force d’un marteau-pilon. Le bras qui tenait l’arme est réduit en miettes.
Un mouvement rapide. Un autre couteau ! Mais déjà le pied d’Heller est entré en action. Le couteau s’envole !
Heller pivote sur une jambe. Son autre jambe est tendue et balaye l’air comme une faux. Les pointes sous sa semelle déchiquettent le visage de l’homme.
Mes Dieux ! C’était donc pour ça qu’il portait des pointes !
La lame d’un couteau brilla. Elle s’abattit sur le bras d’Heller et mordit dans la chair.
Le pied d’Heller s’éleva puis redescendit, ouvrant entièrement la poitrine et le ventre de l’homme au couteau.
Des bras saisirent Heller par-derrière. Il rejeta la tête en arrière, leva les bras et se dégagea de la prise. Puis il fit volte-face.
Son pied gauche se planta dans la cuisse de l’autre et descendit, lui lacérant la jambe. A peine eut-il posé le pied par terre qu’il envoya l’autre jambe. L’homme eut la gorge déchirée.
Trois types se précipitèrent sur lui.
Une tête crépue. Une nouvelle fois, il lança un pied. Les pointes s’enfoncèrent dans le visage de l’homme avec un craquement sinistre.