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Je m’arrêtai au quartier des officiers pour me procurer un trench-coat.

J’empruntai la sortie qui indiquait « baraquements des ouvriers du site archéologique » et appelai un « taxi ». J’entassai mes bagages à l’intérieur et le chauffeur, qui bien entendu appartenait à l’Appareil, me conduisit directement au bureau du commandant de la base.

Il est installé dans une cabane en pisé, à proximité du Centre International de Formation Agricole. Les Turcs croient que le commandant de la base est le responsable des lieux. Ce qui lui permet de justifier l’activité intense qui règne au Centre, car les paysans ne cessent d’affluer pour recevoir une formation spéciale : comment cultiver encore plus d’opium à moindres frais.

Les Turcs sont en réalité d’origine mongole. Le mot Turc est une corruption du terme « T’u-Kin », qui est chinois. Selon le calendrier de la Terre, ils ont envahi l’Asie Mineure aux environs du Xe siècle. Mais leur appartenance n’a rien de chinois et ils ont été à leur tour envahis tant de fois qu’on compte des centaines de types raciaux. Il est donc très facile de récupérer, dans les cent dix planètes de la Confédération Voltarienne, des milliers de gens qui peuvent aisément se faire passer pour des Turcs.

C’était le cas pour le commandant de la base. Son nom véritable était Faht, et il se faisait appeler Faht Bey – les Turcs ayant l’habitude d’ajouter « Bey » après leur nom pour une raison qui m’échappe. A ce poste sans problème, il était devenu très gras. Sa femme était d’ailleurs aussi replète que lui. Il possédait une énorme et vieille Chevrolet, à son image, et son appartement était meublé dans un style occidental cossu. Il avait été condamné pour génocide sur Flisten et il tremblait dès qu’on faisait allusion à un possible changement d’affectation.

A l’évidence, à la seule annonce de mon arrivée, dont il n’avait pas été prévenu, il avait perdu une bonne dizaines de livres.

Il était sur le seuil pour m’accueillir. Il s’épongeait le visage avec un grand mouchoir de soie et il se plia en deux tout en m’ouvrant toute grande la porte.

Ah, qui dira la joie que l’on éprouve à être un officier du quartier général ! Les gens crèvent de trouille devant vous !

Sa femme apparut, portant un plateau avec du thé et du café, et faillit tout renverser. Quant à Faht Bey, il essuyait avec son mouchoir un fauteuil qui m’était destiné – ce qui ne faisait que le rendre plus huileux d’aspect.

— Officier Gris, lança-t-il d’une voix chevrotante et suraiguë, je veux dire Sultan Bey (c’était mon nom turc), je suis ravi de vous voir. J’espère que vous allez bien, que tout tourne rond, et que vous continuerez d’aller bien et que tout se passera bien !

(Ces derniers mots signifiaient en vérité : est-ce que je suis encore le commandant de cette base ou êtes-vous porteur d’ordres d’élimination à mon égard ?)

Je le mis à l’aise aussitôt en lui montrant les ordres.

— J’ai été nommé Inspecteur Superviseur Général de toutes les opérations concernant Blito-P3 – je veux dire la Terre ! Si j’ai le moindre soupçon que vous ne faites pas correctement votre travail, que vous ne coopérez pas totalement et ne m’obéissez pas aveuglément, je vous ferai éliminer !

Il s’effondra si lourdement dans son fauteuil hyper-rembourré qu’il faillit s’écraser. Il inspecta mes ordres. D’ordinaire, il était plutôt pâle. A présent, il était gris. Il ouvrit la bouche mais aucun son ne franchit ses lèvres.

— Nous pouvons nous dispenser des formalités, poursuivis-je. Prenez votre téléphone. Vous avez trois appels à faire à Afyon. Vos contacts habituels, les patrons de café… Dites-leur que je viens de recevoir une information secrète : un jeune homme, d’environ un mètre quatre-vingt-dix, cheveux blonds, et se faisant passer pour un technicien de la station de contrôle des satellites, est en réalité un agent de la DEA, la Drug Enforcement Agency[3] des États-Unis. Dites-leur qu’il va mettre son nez partout et qu’il ne faut lui parler sous aucun prétexte.

Il fondit sur son téléphone comme une fusée.

Les autochtones se sont toujours montrés très amicaux à notre égard. Ils supervisent tout et coopèrent à cent pour cent. Ils croient – y compris le commandant militaire local – que nous appartenons à la Mafia. Et c’est ce qui nous ouvre toutes les portes.

Faht Bey donna rapidement ses coups de téléphone et me dévisagea comme un chien fidèle et docile.

— A présent, vous allez m’appeler deux gorilles du coin, leur donner la description de ce type et leur dire de le trouver et de lui filer une raclée.

Il essaya de protester.

— Mais la DÊA s’est toujours montrée amicale avec nous ! Tous leurs agents en Turquie sont sur nos fiches de paie ! Et puis, Sultan Bey, nous ne tenons pas à nous retrouver avec des cadavres dans les ruelles d’Ayfon ! La police risquerait d’en entendre parler et d’être obligée de simuler une enquête. Elle n’aimerait pas ça !

Oui, je comprenais maintenant pourquoi ils avaient besoin d’un Inspecteur Superviseur !

Mais Faht Bey continuait d’une voix tremblotante :

— Si vous voulez qu’on tue quelqu’un, pourquoi ne pas procéder de la manière habituelle et le conduire au site archéologique ?…

Je dus me mettre à crier pour qu’il comprenne.

— Je n’ai pas dit le tuer ! Je veux seulement qu’on lui donne une bonne correction ! Il faut qu’il comprenne qu’on ne l’aime pas trop dans le coin !

Là c’était différent. Tout s’éclairait pour lui.

— Ah, mais il n’est pas vraiment de la DEA !

— Mais non, imbécile ! C’est un agent de la Couronne ! S’il a vent de quoi que ce soit, c’est ta tête qui tombe !

Ça, c’était vraiment différent ! Et pire. Mais il appela.

Quand il eut fini, il but nerveusement et le café et le thé que son épouse avait préparés à mon intention. Quel bonheur de savoir que je pouvais l’épouvanter à ce point ! Tout se passait, tellement mieux que sur Voltar !

— A présent, dites-moi : est-ce que mes appartements sont prêts ?

Là, il paniqua encore plus. Avant de lâcher :

— Cette fille, cette danseuse que vous aviez, elle s’est donnée à tout le monde et elle a refilé la (bipouille) à quatre gardes avant de ficher le camp en emportant une partie de vos affaires.

Ma foi, les femmes ont toujours été infidèles. Et il faut dire qu’en vérité il n’existe plus de danseuses authentiques en Turquie. Elles ont toutes émigré un peu partout et il ne reste guère que des prostituées qui ne sont pas de vraies danseuses du ventre.

— Appelez-moi votre contact dans le quartier de Sirkeci, à Istanbul, qu’il en envoie une par l’avion du matin.

La femme de Faht Bey revint avec un nouveau plateau de thé et de café. A présent que les affaires les plus importantes étaient réglées, je pouvais me détendre et boire quelque chose. Le café était épais comme du sirop et tellement sucré qu’il était presque solide.

Quand il eut raccroché, je demandai :

— Est-ce que Raht et Terb sont là ?

Il secoua la tête.

— Raht est là, oui. Terb est à New York.

Je sortis les ordres scellés de Lombar, destinés à Raht.

— Remettez cela à Raht. Qu’il prenne l’avion du matin pour les États-Unis. Donnez-lui beaucoup d’argent pour ses frais car il va en Virginie pour monter quelque chose.

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3

L’équivalent de la Brigade des Stupéfiants (N.d.T.).