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— Je ne sais pas si je vais réussir à lui avoir une place. Les lignes turques…

— Il aura une place, dis-je.

Il hocha à nouveau la tête. Oui, bien sûr, Raht aurait une place réservée.

— Maintenant, ajoutai-je, à propos d’argent, voici un ordre de mission.

Je le lançai sur le bureau. C’était un ordre parfaitement régulier. Je l’avais tapé moi-même sur la machine du remorqueur. Il disait :

A TOUS

L’Inspecteur Superviseur Général a droit à toutes les avances de fonds qu’il requerra, et ce à n’importe quel moment et sans ces (biperies) de formalités telles que signatures et reçus. La façon dont il les dépensera ne regarde que lui. Point final !

Bureau des Finances.
APPAREIL DE COORDINATION DE L’INFORMATION VOLTAR

J’avais même une signature et une estampille d’identoplaque impossibles à déchiffrer. Cet ordre ne serait jamais classé sur Voltar. Voltar ignorait l’existence de ces fonds sur Blito-P3. Malin, non ?

Ça fit cependant tiquer un peu Faht Bey. Mais il prit l’ordre, le mit dans ses dossiers et, en me voyant tendre la main, il se rendit dans la pièce du fond, là où se trouvait son coffre.

— Dix mille livres turques plus dix mille dollars US ! Ça sera suffisant pour commencer !

Il revint avec l’argent. Je pris les liasses et les fourrai dans la poche de mon trench-coat.

— Maintenant, ouvrez le tiroir de votre bureau et prenez le Colt.45 automatique que vous y rangez. Donnez-le-moi !

— Mais c’est mon arme !

— Vous n’aurez qu’à en piquer un autre à un gorille de la Mafia. C’est bien comme ça que vous vous êtes procuré celui-ci, non ? Vous ne voulez quand même pas que je viole l’article a-36-544 M, Section B, du Code Spatial, n’est-ce-pas ? Dévoiler son identité à des étrangers ?…

Il s’exécuta. Il ajouta même deux chargeurs pleins. Je vérifiai l’arme. J’avais repéré ce revolver un an auparavant pendant que je fouillais son bureau à la recherche d’éléments de chantage. C’était un Colt militaire américain 1911 A1. Mais à l’époque, je n’avais pas les pouvoirs dont je disposais maintenant. Qu’il l’ait pris à la Mafia, j’avais dit ça au pif. Mais je remarquai quand même qu’il y avait trois encoches sur le canon.

Je voulais le rassurer. Je n’avais pas vraiment intérêt à ce qu’il continue de paniquer. J’armai le .45, le fit pivoter d’une main experte et pressai la détente. Bien entendu, il n’y avait pas de projectile dans la chambre de tir. Et je visais son ventre, pas sa tête.

Il n’y eut qu’un cliquetis.

— Pan dans le mille ! m’exclamai-je en riant.

Mais lui ne riait pas.

— Timyjo Faht, ajoutai-je en me servant de son nom flistenien et en m’exprimant dans un mélange d’anglais et de voltarien, vous et moi, nous allons très bien nous entendre. Pour autant que vous ferez ce que je vous demande et que vous vous casserez le (bip) pour veiller à mon confort tout en gardant votre nez bien propre. Vous savez, il n’y a rien d’illégal que vous ne sachiez faire que je ne sache faire encore mieux que vous. Donc, tout ce que je demande, c’est du respect.

Il parlait l’anglais, lui aussi. Et il travaillait avec la Mafia. Donc, il me comprenait.

Je fis tourner le Colt entre mes doigts avant de le glisser dans mon trench-coat. J’avais vu un acteur de la Terre du nom d’Humphrey Bogart faire ça dans un vieux film.

Ensuite, je gagnai le « taxi » qui m’attendait. Je montai et lançai en américain :

— A la maison, James, et mets toute la gomme !

Oui, en vérité, j’étais chez moi. Ce pays me plaisait. De tous les endroits que je connaissais dans l’univers, c’est là qu’on appréciait mon genre. J’étais leur type de héros. Et j’aimais ça.

7

Je m’enfonçai dans la nuit moite. L’air était comme du velours doux et noir sur mon visage. A droite comme à gauche, les tournesols brillaient dans le faisceau des phares. Au-delà, adroitement cachés au regard du touriste, s’étendaient les champs immenses de Papaver somniferum, les mortels pavots à opium qui expliquaient le choix de l’Appareil.

C’est une histoire intéressante, qui lève le voile sur la façon dont l’Appareil fonctionne et, cette nuit-là, quand nous nous retrouvâmes bloqués sur la route par un convoi de chariots, je la repassai en mémoire.

Longtemps auparavant, une équipe de l’Appareil, chargée de recueillir des informations techniques et culturelles et composée d’un sous-officier et de trois sociographes, avait été interrompue dans ses travaux quand avait éclaté sur Terre ce que les Terriens appellent la Première Guerre mondiale. Ils n’avaient pas réussi à rallier à temps le vaisseau de rapatriement, avaient manqué le rendez-vous et avaient réussi à passer plusieurs frontières en profitant de la situation trouble créée par le conflit. A partir de la Russie, déchirée par la révolution, ils étaient descendus jusqu’au sud, ils avaient franchi le Caucase et, après avoir traversé l’Arménie, ils étaient arrivés en Turquie.

Ils s’étaient cachés sur les pentes du Bujuk Agri, un pic de 5 200 mètres d’altitude que l’on appelle aussi le mont Ararat. C’est là que l’équipe avait installé une balise d’appel dans l’espoir que le signal répété et la montagne attireraient l’attention d’un vaisseau de secours de l’Appareil.

Mais la guerre était arrivée à son terme et aucun vaisseau ne s’était manifesté. Affamés et glacés, les membres de l’équipe s’étaient alors dirigés vers l’ouest en se jurant de ne plus s’arrêter jusqu’à ce qu’ils rencontrent un climat plus doux. Leur voyage avait dû être difficile car le haut plateau de la Turquie orientale n’a rien d’un paradis. Mais ils étaient arrivés à bon port, aidés en cela par le fait que la Turquie, qui s’était rangée du mauvais côté dans la guerre, était plongée dans le chaos de la défaite et soumise aux vainqueurs.

Finalement, ils étaient arrivés à Afyon. Là, le climat était plus chaud. Et en face d’eux, ils avaient le spectaculaire roc noir avec la forteresse d’Afyonkarahisar. Ils avaient installé la balise dans les ruines et s’étaient débrouillés pour survivre dans la région, ravagée par la guerre. Ils avaient même appris à parler le turc. Les déserteurs étaient nombreux dans le pays.

Sur la Terre, c’était l’année 1920. Une énorme force expéditionnaire grecque se dirigeait sur Afyon avec l’intention de s’emparer d’une grande partie de la Turquie. Un général turc, Ismet Pasha, avait réussi non seulement à contenir l’armée grecque, mais à battre par deux fois les envihasseurs sur le site même d’Afyonkarahisar.

Pris dans cette situation, le sous-officier de l’Appareil et ses sociographes avaient choisi leur côté, pris des armes et des uniformes aux morts et combattu comme soldats turcs dans la bataille d’Afyon.

Durant le mois suivant, au sein de l’Appareil, quelqu’un – qui cherchait sans doute une excuse pour prendre un congé – s’aperçut qu’une équipe de recherches culturelles et techniques était portée manquante. Il ne s’agissait pas d’une expédition très importante – c’était la vingt-neuvième envoyée sur Blito-P3 au cours des trois ou quatre mille dernières années. Le Calendrier ne prévoyait pas l’invasion de cette planète avant cent quatre-vingts ans. Néanmoins, l’officier de l’Appareil qui avait constaté cette disparition obtint un ordre de mission ainsi qu’un vaisseau-éclaireur. Il eut la surprise de découvrir la balise qui continuait d’émettre depuis les hauteurs d’Afyonkarahisar et l’équipe de l’Appareil fut finalement récupérée après sept ans ou presque.