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Je sortis donc deux billets que je pensai être d’une livre et les lui tendis.

Il les examina. Je sursautai ! Je lui avais donné deux billets de mille livres ! Environ quinze dollars !

— Ouais, super ! (Il parlait le turc et l’anglais avec tous les tics contemporains.) Qui c’est que vous voulez que je liquide, Officier Gris ?

Nous éclatâmes de rire tous les deux. La Mafia est partout et nous adorons parler l’argot des truands. Oui, je me sentais vraiment chez moi.

Du coup, je sortis deux autres billets de mille livres, je remontai le col de mon trench-coat et je lui dis, en tordant la bouche :

— Écoute, mec. Y a une nana, une pétasse, une greluche, quoi, qui va arriver de la ville par l’avion du matin. Tu te pointes à l’aéroport, tu l’embarques, tu me la vires aux charcuteurs du coin pour voir si elle peut pas nous refiler la (bipouille) et si le toubib la trouve O.K., amène-la par ici. Sinon, tu l’emmènes en balade !

— Patron, dit-il en levant le pouce, c’est une affaire qui roule !

Ça nous a fait hurler de rire tous les deux. Je lui ai filé les deux autres billets et il s’est cassé, super-heureux.

Ouais, c’était quelque chose de se retrouver ici. C’était exactement le genre de vie qui me branchait.

Je me suis tourné vers la maison pour appeler quelqu’un. Il n’était pas question que je porte moi-même mes bagages.

8

J’avais à peine ouvert la bouche que je l’ai refermée. J’avais une bien meilleure idée. Dans ce pays, dès qu’il fait noir, tout le monde se met au lit. Ils dormaient tous, sans doute. Il y avait en principe treize personnes à mon service, en comptant les trois jeunes garçons. En réalité, il y avait deux familles turques qui avaient toujours vécu ici, depuis que le sous-officier avait restauré la demeure, peut-être même depuis les Hittites qui l’avaient bâtie à l’origine, pour ce que j’en savais. Ils étaient plus loyaux envers nous qu’envers leur gouvernement et ils n’auraient jamais rien dit, même s’ils avaient remarqué quelque chose de vraiment étrange. Ils étaient bien trop stupides pour ça : de la racaille, c’est tout.

Ils étaient installés dans les anciens quartiers des esclaves, à droite de l’entrée. Le bâtiment était dissimulé au regard par quelques arbres et une haie. Le vieux gardien, qui avait plus de quatre-vingt-dix ans – ce qui est un âge très avancé sur Terre –, avait fini par mourir et personne n’avait su lui trouver de successeur, ils étaient tous incapables de décider lequel de leurs parents méritait cet emploi.

Le ghazi actuel, le majordome, était un vieux paysan endurci que nous avions surnommé Karagoz, d’après un personnage comique du théâtre turc. Mais c’était en réalité Melahat, une veuve, qui commandait ici. Son nom signifiait « beauté », ce qui n’avait aucun rapport avec elle vu qu’elle était petite, grosse, et qu’elle louchait. Mais elle faisait marcher tout le monde à la baguette.

J’avais formé le plan de trouver quelque chose qui clochait. Je pris donc une lampe dans mon sac – je l’avais volée à bord du vaisseau. A pas secrets et silencieux, je me glissai sur les cailloux du sol de la cour, tel un fantôme, et je disparus entre les arbres, sans même que mon trench-coat bruisse.

Masquant le faisceau de ma lampe de deux doigts, j’inspectai la pelouse : elle avait été tondue. Je regardai la haie : elle venait d’être taillée. Je me tournai vers les fontaines et les bassins : tout était propre et fonctionnait parfaitement.

Déçu, mais n’abandonnant pas tout espoir, je m’introduisis dans la bâtisse principale. L’architecture romaine avait été organisée avec une cour à ciel ouvert au centre. Au milieu, une fontaine entretenait la fraîcheur. Sur le sol de marbre, il n’y avait pas la moindre trace de poussière. Les chambres alentour étaient impeccables. Certes, elles étaient plutôt vides : lors de mon dernier séjour, je n’avais guère été en fonds. Le dépouillement tout romain des lieux avait reçu une généreuse touche turque avec l’appoint de tapis immenses et de draperies que j’avais peu à peu vendus aux touristes de passage. Toutes ces bricoles, ça ne m’intéresse guère. Les domestiques les avaient remplacés çà et là par des tapis de gazon, mais ils étaient nets et bien entretenus. Non, vraiment, je ne parvenais pas à trouver la moindre faille. (Bip de bip !) Ça me gâchait complètement mon plaisir !

Ma chambre était tout au fond de la demeure, creusée dans la montagne pour des raisons essentielles. J’étais sur le point de crocheter la serrure et d’y entrer lorsque je me souvins de ce que Faht Bey m’avait dit à propos de cette prostituée qui m’avait dérobé des vêtements ! Ça y est ! Voilà ce qu’il me fallait.

J’avais oublié d’ôter mes bottes à isolation et, aussi silencieusement que possible, je m’insinuai jusque dans les anciens quartiers des esclaves. Je savais qu’il y avait là deux vastes pièces principales qui ouvraient toutes deux sur la porte centrale.

Je pris le Colt.45 dans ma poche et rampai sur le côté du bâtiment tout en armant le revolver.

Brusquement, je brandis le faisceau de ma lampe à pleine puissance.

Je me tendis, prêt à bondir.

Et alors, d’un seul et unique élan, j’ouvris la porte d’un grand coup de pied, et tirai en l’air !

Si vous aviez pu voir la panique !

Ils étaient treize là-dedans et ils furent treize à se dresser en même temps, puis à tenter de replonger sous les couvertures, les lits, à se coller contre le plancher !

C’est à cette seconde précise que j’ai crié : « Jandarma » ! En turc, ça veut dire « police ». Et j’ai ajouté immédiatement, pour augmenter encore la pagaille :

— On ne bouge plus, bande d’(enbipés) ou je vous fais sauter le caisson !

Là, je peux le dire, mes larbins étaient dans un drôle d’état ! Avec la lampe, ils n’arrivaient pas à voir qui les agressait. Ils beuglaient, complètement terrifiés. J’entendais des mots et des phrases en turc : « Innocent ! », « J’ai rien fait ! »

Et puis, pour ajouter encore à mon plaisir, un contingent de gardes de l’Appareil, alertés par le coup de feu, arrivèrent à toute allure à bord d’un véhicule, sur la route qui reliait la propriété au site archéologique.

On se serait cru en plein chaos !

En moins d’une minute, tous les gardes – on les appelle « force de sécurité » et ils sont sur place afin de protéger « toute découverte archéologique de valeur » – sautaient à terre et couraient vers moi. Ils m’avaient repéré à la lumière de ma lampe.

Le faisceau de la torche du sous-officier m’éclaira en plein et il se redressa aussitôt :

— C’est Sultan Bey !

Le petit garçon du jardinier se mit aussitôt à vomir.

Les domestiques cessèrent de crier.

Je me mis à rire.

Quelqu’un avait eu la bonne idée d’allumer quelques lumières. Le vieux Karagoz pointa la tête hors d’une couverture et dit :

— Tout va bien. C’est Sultan Bey !

Les gardes se mirent à rire.

Et certains, parmi les domestiques, les imitèrent.

Mais Melahat, elle, ne riait pas. Elle était agenouillée sur le sol. Elle se lamentait contre le mur, en turc :

— Je savais bien que lorsqu’il reviendrait d’Amérique et qu’il apprendrait que cette traînée lui a volé ses vêtements, il serait furieux. Je le savais. Je le savais !

 Apparemment, ils croyaient tous que j’avais été aux États-Unis.

L’un des jeunes garçons, qui devait avoir huit ans à peine, rampa jusqu’à moi et tira sur le bas de mon trench-coat. Son nom me revint : Youssouf.