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Lorsque Heller revint sur Voltar, il rédigea son rapport et l’envoya en haut lieu.

Et l’Enfer se déchaîna !

Ma tâche, au niveau de la Section 451, était de falsifier les rapports concernant la Terre pour éviter que le gouvernement voltarien ne s’y intéresse de trop près, car l’Appareil avait installé une base secrète dans une région appelée Turquie. Malheureusement, le rapport d’Heller parvint directement au Grand Conseil sans passer entre mes mains.

Ce qu’Heller avait découvert était particulièrement inquiétant : la Terre se polluait à un rythme tel qu’elle serait détruite bien avant la date encore lointaine d’invasion. Résultat : le Grand Conseil allait devoir ordonner une offensive prématurée – projet ô combien impopulaire vu les dépenses qu’il entraînerait.

Mais ce projet déplut encore plus à mon supérieur direct, Lombar Hisst. Son poste de chef de l’Appareil ne le satisfaisait plus. Ce qu’il voulait, c’était renverser le gouvernement voltarien, et la base turque était la clé de son succès. S’il n’agissait pas très vite, tous ses plans s’effondreraient.

C’est pour cette raison que Lombar eut l’idée de la Mission Terre. Il réussit à convaincre le Grand Conseil que, plutôt que de lancer une invasion à grande échelle, mieux valait infiltrer un agent secret afin qu’il instille sur la planète certaines technologies capables d’endiguer la pollution. L’idée était simple et peu coûteuse. Elle séduisit le Grand Conseil et j’en avais conclu que le problème était réglé.

Je me trompais lourdement car, peu après, Hisst m’apprit la première mauvaise nouvelle : l’agent secret qu’il avait l’intention d’envoyer sur Terre n’était autre qu’Heller qui, en tant qu’officier de la Flotte Royale, représentait tout ce que nous autres, dans l’Appareil, nous méprisons : l’honnêteté, la propreté, la discipline. La seconde mauvaise nouvelle, c’était que je devrais accompagner Heller et saboter sa mission.

C’est à Répulsos, cette sombre forteresse encastrée dans les montagnes au-delà du Grand Désert, et que l’Appareil continue d’entretenir en grand secret depuis plus de mille ans, que nous avons préparé Heller à la Mission Terre. C’est là également qu’il a rencontré la comtesse Krak, à mon grand regret.

Je n’ai jamais compris pourquoi il s’est intéressé à elle. Bon, d’accord, elle est grande, très belle, et elle était née sur la même planète que lui, Manco. Mais c’était aussi une meurtrière condamnée à la réclusion à perpétuité dans les entrailles de Répulsos.

Ces deux-là m’ont rendu complètement dingue. Pendant que je m’évertuais à préparer Heller en vue de sa mission, il se comportait comme un collégien malade d’amour, comblant la comtesse de cadeaux. Ils passaient leur temps à roucouler en dégustant de l’eau pétillante et des gâteaux sucrés, et ils restaient des heures et des heures à se raconter cette fable idiote, la Légende Populaire 894M, selon laquelle le Prince Caucalsia se serait jadis enfui de Manco pour aller fonder une colonie sur une île de la planète Terre appelée Atlantide. C’était leur seul sujet de conversation. Ils étaient insupportables !

Ensuite, quand Heller se décida finalement à choisir un vaisseau pour aller jusqu’à la Terre, il rejeta purement et simplement notre transporteur qui pouvait couvrir les 22,5 années-lumière bien tranquillement en six semaines et il mit la main sur le Remorqueur 1 et ses terrifiants moteurs Y avait-Y aura ! Avec ce vaisseau, le voyage durerait à peine un peu plus de trois jours. Heller prétexta que cela lui donnerait plus de temps pour préparer la mission.

En tout cas, cela me permit d’achever mes propres préparatifs. En effet, quand nous aurions rallié la Terre, il serait impératif que je sois en mesure de suivre les faits et gestes d’Heller vu que je serais coincé à la base turque pendant qu’il se promènerait en toute liberté aux États-Unis. Je n’avais qu’une solution : faire implanter des mouchards à proximité de ses nerfs optiques et auditifs, puis, au moyen d’un émetteur-récepteur, contrôler tout ce qu’il voyait et entendait. Avec un appareil appelé le Relais 831, j’avais la possibilité de suivre Heller à plus de quinze mille kilomètres de distance.

Grâce à mon immense génie, je réussis à voler les mouchards et à les faire implanter dans le crâne d’Heller sans qu’il s’en doute. Ils fonctionnaient à merveille ! Je pouvais suivre sur un écran portatif tout ce qu’Heller voyait et entendait sans qu’il ait le moindre soupçon. Mais cela prouve simplement que je suis un professionnel et qu’il n’est qu’un pauvre amateur !

Lombar Hisst m’adjoignit Raht et Terb, deux agents de l’Appareil qui opéraient sur Terre, afin qu’ils m’aident à exécuter le plan qui précipiterait la perte d’Heller. Le stratagème imaginé par Lombar était le suivant : donner à Jettero Heller l’identité du fils de l’homme le plus puissant de Blito-P3, Delbert John Rockecenter. Étant donné que Rockecenter n’avait pas de descendant et qu’il était connu et redouté de tout le monde, Heller serait un homme fini dès l’instant où il se servirait de ce nom !

Le jour arriva enfin où le Remorqueur 1 fut chargé et prêt à décoller. Bien entendu, je m’étais attendu à un départ furtif, rapide, convenant à une mission secrète – le Grand Conseil avait été très explicite sur ce point.

C’est alors que je jetai un coup d’œil au-dehors par la porte du vaisseau.

Des hordes de gens affluaient dans le hangar ! Des équipes d’ouvriers dressaient des tréteaux et des plates-formes. Des camions déchargeaient des tonnes de nourriture et de boisson. Une cohorte de véhicules déversaient des centaines de musiciens et de danseuses !

Heller avait décidé de donner une fête d’adieu !

En revenant dans ma cabine, je trouvai un flacon portant l’étiquette « I.G. Barben » et j’avalai l’une de ces pilules terriennes appelées « speed » – une drogue puissante.

Tout à coup, tout devint merveilleux !

Je cessai de m’inquiéter de la présence de ces milliers de gens, des cinq orchestres et des ours danseurs. Je pris beaucoup de plaisir à regarder les feux d’artifice qui explosaient à 35 kilomètres d’altitude ainsi que les 250 chasseurs spatiaux qui évoluaient dans le ciel. Je me réjouis même d’entendre l’équipe vidéo annoncer joyeusement le départ de notre mission hyper-secrète à des milliards de téléspectateurs dans toute la Confédération.

Perdu dans mon rêve multicolore, je vis soudain une bagarre apparemment anodine dégénérer en combat général. Gâteaux et chopes se mirent à voler de tous côtés. Les vaisseaux, les aircars et les camions garés alentour firent retentir leurs sirènes, leurs sifflets et leurs gongs. À cette cacophonie se mêlaient les hurlements et les insultes de la foule, ainsi que les grognements des ours et… les voix des deux chorales de cinquante chanteurs qui avaient entonné à pleine voix Espace, nous voici !

J’avais même cessé de me faire du souci à propos de cet assassin que Lombar disait avoir attaché à mes basques et qui avait pour ordre de me tuer si jamais Heller parvenait à mener la Mission Terre à une conclusion heureuse. Non, tout se déroulait à merveille ! Et quelle fête d’adieu réussie !