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J’étais soulagé de m’être débarrassé de cette tâche fastidieuse. J’appelai ma gouvernante.

Elle entra bientôt, les yeux creusés par le manque de sommeil, apeurée à l’idée de ce que j’allais lui dire.

— Melahat Hanim, commençai-je (ce qui est une façon particulièrement courtoise de s’adresser à une femme en Turquie. Elles sont toujours flattées. Elles n’ont pas d’âme, en fait), Melahat Hanim, la jolie femme est-elle arrivée d’Istanbul ?

Elle noua les mains et secoua la tête en signe de dénégation.

— Alors, sors d’ici, fille de crotte de chameau, ajoutai-je.

Je me demandais comment je pourrais bien tuer le temps avant dix heures. C’est de la folie d’aller en ville de bon matin : il y a trop de charrettes sur les routes.

Puis, je me dis que je ferais peut-être bien de m’enquérir d’Heller. Je ne me souciais guère de ce qu’il pouvait faire à bord du vaisseau et je n’avais même pas pris la peine de brancher le Relais 831.

L’enregistreur ronronnait et l’écran était éteint. Je l’activai pour explorer la bande.

La nuit précédente, Heller avait simplement regagné le vaisseau à pied. En boitant.

Il s’était sûrement fait mal au pied dans la bagarre !

En visionnant (en accéléré), j’entendis brusquement un sifflement strident. Je revins aussitôt en vitesse de lecture normale.

Le sas du vaisseau était ouvert et là, au bas de l’échelle, je vis Faht Bey qui avait posé un résonateur de coque sur le blindage du vaisseau.

— Ah, vous voilà, dit-il en levant les yeux. Je suis l’officier Faht, le commandant de la base. Êtes-vous l’inspecteur de la Couronne ?

— Je suis ici sur les ordres du Grand Conseil, si c’est ce que vous voulez dire. Montez.

Faht Bey ne semblait pas décidé à escalader cette échelle vacillante jusqu’au sas du vaisseau à vingt-cinq mètres du sol.

— Je voulais seulement vous voir.

— Moi aussi, je veux vous voir, dit Heller en se penchant. Les vêtements qu’on m’a donnés à votre magasin d’habillement sont trop petits et les chaussures font trois pointures de moins.

Là, j’étais déçu. Il ne s’était pas blessé au pied. C’était simplement à cause de ses chaussures trop petites qu’il boitait. Bon, on ne peut pas tout avoir.

— Oui, c’est à ce propos que je voulais vous voir ! Les gens de la ville sont à la recherche de quelqu’un qui correspond à votre apparence. Ils disent qu’il a agressé à deux reprises deux personnages populaires dans une allée déserte et qu’il les a frappés avec un bout de tuyau. L’un a le cou brisé et l’autre une fracture du crâne et un bras cassé. Il a fallu les hospitaliser à Istanbul.

— Et comment savez-vous que la description qu’on donne correspond à moi ? (Mes Dieux, il était bien curieux !) C’est la première fois que vous me rencontrez.

— Gris m’a dit à quoi vous ressembliez, insista cet (enbipé) de Faht Bey. Ne le prenez pas mal. Je crois deviner que vous allez partir d’ici deux ou trois jours.

Qu’il soit (bipé) ! Il avait dû lire l’ordre que Lombar avait donné à Raht !

— Je dois invoquer mon autorité en ce qui concerne la sécurité de cette base et vous demander de ne pas quitter ce hangar aussi longtemps que vous séjournerez ici.

— Est-ce que je peux me promener dans le hangar au moins ?

— Absolument, pour autant que vous ne sortiez pas des tunnels qui donnent accès au monde extérieur.

Heller agita la main avec désinvolture.

— Merci pour le tuyau, officier Faht.

Et ça s’arrêtait là. Je remis la lecture en accéléré jusqu’à ce qu’un éclair m’indique que la porte du vaisseau venait de s’ouvrir.

Heller descendait l’échelle. Clac ! Clac ! Clac ! Il se laissa tomber au sol dans un fracas ahurissant. D’abord intrigué, je compris très vite qu’il avait chaussé ses bottes spatiales dont les barres de métal étaient relevées.

Un petit bloc-notes dans la main, il se mit à déambuler un peu partout, s’arrêtant parfois pour consulter sa montre et griffonner. Il parcourut ainsi tout le périmètre du hangar. Clac ! Clac ! Clac ! Je savais exactement ce qu’il était en train de faire. Il mesurait les lieux. Ces ingénieurs ! Tous dingues ! Il était peut-être en train de s’amuser à exercer son sens de l’orientation ou quelque chose de ce genre ?

Je remis l’enregistrement en accéléré. Mais Heller ne semblait pas avoir l’intention de faire autre chose. Il s’arrêtait devant les portes et les embranchements des tunnels en claquant des semelles et en prenant des notes.

De temps en temps, il rencontrait des membres de l’Appareil. Il salua le premier couple d’un « bonjour ! » joyeux, mais ils détournèrent la tête d’un air glacial et, après cela, il n’adressa plus la parole à personne. La rumeur que j’avais répandue faisait son effet !

Il pénétra dans quelques tunnels latéraux et s’intéressa aux dimensions des cellules de détention. Il était difficile de deviner qu’il s’agissait de cellules car elles n’avaient rien de commun avec celles de Répulsos. Il n’y avait même pas de fils électriques, uniquement des barres de fer scellées dans le roc. L’équipe qui avait été chargée du travail avait vu trop grand. Les cellules étaient prévues pour des centaines de personnes alors qu’il n’y avait jamais guère plus d’une dizaine de détenus. Elles étaient toutes vides, pour l’heure.

J’avançai un peu plus loin et constatai qu’il s’était arrêté. Je revins un peu en arrière pour voir ce qui l’intéressait autant.

Il était devant les portes du hangar. Elles sont particulièrement massives. Il y en a cinquante, disposées en courbe, à l’arrière du hangar, et elles sont situées de part et d’autre d’une espèce de corridor correspondant au hangar par de nombreuses issues.

Bien entendu, toutes les portes étaient verrouillées. Et les ouvertures qui ont été ménagées pour assurer la circulation de l’air et empêcher le pourrissement sont trop hautes pour permettre de voir à l’intérieur. J’étais convaincu qu’Heller ne devinerait jamais ce qu’il y avait derrière.

Lorsque les États-Unis avaient fait pression sur la Turquie pour mettre fin à la culture de l’opium, Lombar s’était littéralement déchaîné. Il en avait acheté de telles quantités qu’il aurait coulé de marché s’il les avait mises en circulation. Tout était encore là, bien empaqueté dans de grands sacs. Des tonnes et des tonnes d’opium.

Mais, à supposer que quiconque parvienne à jeter un coup d’œil à l’intérieur, il n’aurait rien vu de révélateur. Rien que des sacs. De gigantesques piles de sacs.

Heller examinait le sol. Qu’est-ce qu’il pouvait bien escompter y trouver ? La trace des pneus des camions ?

Il se pencha, ramassa un peu de poussière et, sans doute pour s’essuyer la main, je supposais, il la glissa dans sa poche.

L’air insouciant, il reprit sa marche cliquetante. Puis il s’arrêta une fois encore. Il reniflait tout en regardant la grande porte devant laquelle il se trouvait. Il ne risquait pas d’entrer là-dedans ! C’était le laboratoire où l’on fabriquait l’héroïne !

Il s’approcha et frappa à la porte. Qu’est-ce qu’il était stupide ! Il n’y avait personne à l’intérieur. Le labo ne servait que rarement. Mais Heller s’entêtait, frappant à coups redoublés.