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Finalement, il abandonna et prit encore quelques notes. Des chiffres. Sans importance.

Et il repartit. Clic clac ! Clic clac !

PLOP ! Il s’arrêta.

Il était devant un tunnel. Il s’y engagea, fit quelques pas, puis rebroussa chemin. Je ne pus m’empêcher de rire. Il avait pris le tunnel qui accédait à ma chambre ! Bien sûr, il ne pouvait supposer que la villa se trouvait immédiatement là, de l’autre côté. Il n’essaya même pas de faire fonctionner l’interrupteur qui ouvrait la porte. Apparemment, il ne l’avait même pas vu. S’il l’avait fait. Il se serait retrouvé à trois mètres de l’endroit où j’étais.

Vous parlez d’un espion !

— Tout cela ne lui avait pris qu’une heure.

Il dessina alors un croquis très net, très propre.

Apparemment, il ne pouvait le donner à personne pour montrer à quel point il était excellent – à moins qu’il n’ait compris que personne ne voulait lui parler – en tout cas, il se contenta de remonter à bord du vaisseau.

Voilà. C’était tout.

Je ne pus m’empêcher de rire à nouveau. S’il avait été un véritable espion, que n’aurait-il pas découvert ! Mais qu’est-ce qu’il avait rapporté de son exploration ? Une carte stupide qu’il aurait pu se procurer au bureau de la base.

Je rangeai le matériel. Il était dix heures et j’avais des choses importantes à faire – à savoir, rendre riche un certain Soltan Gris !

2

Trois voitures étaient affectées à la villa. Elles étaient plus ou moins en état de marche, selon les normes turques. Je sortis pour aller y jeter un coup d’oeil. Le pick-up Datsun contenait encore quelques restes des légumes qui avaient été rapportés du marché du matin. Le break Chevrolet était à sec. Ce qui me laissait la Renault française. En Turquie, on aime faire durer les véhicules et je pensais que cette Renault avait été récupérée à la fin de la Première Guerre mondiale.

Le pare-brise était fendu et la carrosserie portait les traces de plusieurs collisions directes. La batterie était à plat et il allait falloir démarrer à la manivelle. Je n’avais pas envie d’avoir le bras cassé par un retour. Je demandai à Karagoz de la tourner et démarrai en direction de la ville.

Je rêvais de pouvoir m’acheter bientôt une de ces longues limousines noires aux glaces blindées qu’ont les gangsters. Je savais même où en trouver une : un général turc avait été tué pendant le coup d’État militaire de 1963 et sa limousine était en vente à bas prix.

La Renault, néanmoins, avait ses avantages. Sa direction était tellement esquintée qu’elle zigzaguait et que les charrettes s’écartaient vite fait de la route. Elles sont généralement tirées par des ânes et surchargées, et elles créent sans cesse des encombrements à cause de leurs stupides conducteurs. Si vous serrez un peu au moment de doubler, vous avez toutes les chances de balancer le baudet et sa charrette dans le fossé. Très comique. Et ensuite, vous avez le plaisir de voir le conducteur brandir le poing dans votre rétroviseur.

Je venais juste de m’offrir ma cinquième quand je m’aperçus que je passais devant Afyonkarahisar, dont les deux cents mètres culminaient au-dessus de moi.

Brusquement, je serrai à gauche et m’arrêtai, bloquant la route à une colonne de charrettes qui arrivaient de la ville. Mais elles pouvaient très bien attendre. Je sortis la tête et contemplai le rocher.

Il était poudré de ciment, mais on pouvait quand même voir qu’il y avait des prises possibles dans la paroi si on prenait le risque de se casser quelques ongles. Pourtant, jamais je n’aurais tenté l’escalade. Jamais. Et dans le noir ? Ah, non !

Mais ce n’était pas vraiment le rocher qui m’intéressait. Un personnage, plutôt. Pas Heller – je savais depuis longtemps qu’il était complètement dingue – mais quelqu’un qui était soudain devenu vital pour la réussite de mes projets de fortune : Jimmy « l’étripeur » Travilnasty. Il avait dit qu’il avait vu Heller escalader l’Afyonkarahisar. A l’évidence, c’est impossible. Donc, Jimmy « l’étripeur » était un menteur pathologique. Très bien. Je ne perdrais pas ça de vue quand je lui ferais mon offre.

Le moteur avait calé et je dus donc sortir et prendre la manivelle. Les conducteurs de charrettes bloquées hurlaient en brandissant le poing. Je leur répondis de la même manière avant de remonter en voiture pour repartir vers la ville.

Mon but, c’était l’entreprise de construction Laich Bouh qui avait des filiales dans tout le pays. Elle était contractante de la plupart des chantiers gouvernementaux et donc forcément malhonnête. Je m’arrêtai en double file et entrai.

L’affaire fut rondement menée. Le directeur prit mon croquis et fit une estimation financière. Quand je lui dis que je voulais que les travaux soient achevés dans les six semaines, il augmenta son prix. Je sortis aussitôt et il me poursuivit jusque sur le trottoir. Il réussit à me faire rebrousser chemin après avoir diminué de moitié. Mais il me précisa qu’il devrait construire l’hôpital en torchis, qui était le matériau favori dans cette région.

Je lui rétorquai que j’exigeais quelque chose de toute première qualité. Et nous fîmes un compromis : moitié torchis, moitié autres matériaux plus résistants. Puis je doublai le prix en lui annonçant qu’il devrait me rétrocéder la moitié. Le contrat fut conclu, signé, et nous nous quittâmes bons amis.

A ma sortie de l’immeuble, je fus accueilli par deux conducteurs qui me foudroyèrent du regard. Je leur répondis de même et redémarrai. Objectif, la boutique G.I. Western pour messieurs et gentlemen. Évidemment, Istanbul aurait été préférable, mais je n’avais pas le temps et je savais que, pour rencontrer Jimmy « l’étripeur » je devais arborer une tenue appropriée. Il était absolument vital de l’impressionner.

Le choix de la boutique était vraiment restreint. Par bonheur, la loi exigeait que les Turcs ne ressemblent plus à des Turcs mais à des Américains ou à des Italiens et j’eus de la chance. Ils venaient de recevoir une livraison de Hong Kong : la dernière mode de Chicago.

Je me dégotai un complet gris, une chemise noire, une cravate blanche, des Oxford noir et blanc, ainsi qu’un chapeau Fedora gris. Tout ça me semblait aller. Je me changeai dans le fond de la boutique, trompai l’employé à la caisse en échangeant à la dernière seconde un billet de cinq cents livres contre un de cinq et m’arrangeai pour lui faire croire que c’était de sa faute avant de sortir.

Je m’admirai dans une vitrine. Pas mal. J’avais tout à fait l’air de sortir d’un film de gangsters.

Très vite, j’entrepris la tournée des hôtels pour débusquer Jimmy « l’étripeur » Tavilnasty. A Afyon, il n’y a pas beaucoup d’hôtels. Mais tous les employés de la réception secouaient la tête. Non, ils ne l’avaient pas vu.

Bon, il me restait une autre affaire à régler. Je gagnai le Pahalt General Merchandise Emporium. Sa clientèle est essentiellement paysanne et les tarifs qu’on y pratique sont certainement pahalt, ce qui en turc signifie « très élevé ». Dans un petit bureau, tout au fond, j’eus un entretien avec le propriétaire.

Je lui dis que je désirais qu’il ajoute un panneau dans son établissement pour annoncer qu’il achetait l’or. Il me répondit que les mines d’or se trouvaient plus au nord. Je lui dis que là n’était pas le problème. Aux prix qu’il pratiquait, les femmes devaient vendre leurs bijoux. Il reconnut que, oui, il y avait du vrai dans ce que je disais. Alors, je lui dis que tout l’or qu’il pourrait racheter aux paysans appauvris, aux prix de la Bourse de Londres, je le lui rachèterais avec dix pour cent de plus. Il me fit remarquer qu’il ne fallait pas s’attendre à en récolter beaucoup mais je le rassurai : quelle que soit la quantité, ce serait un secret entre nous, et il accepta de mettre le panneau.