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— Officier Gris, j’ignore pourquoi vous l’avez renvoyée à Istanbul. Notre agent là-bas a dit qu’elle était parfaite. Je l’ai vue moi-même. C’était une très jolie fille. Elle a quitté sa chambre à Istanbul et elle avait pris l’avion jusqu’ici. On peut dire qu’elle était drôlement en colère ! Mais j’ai pris la situation en main. Je suis allé en ville et je l’ai trouvée en pleine rue. Elle faisait un de ces scandales ! Je lui ai donné dix mille livres en votre nom – ça ne fait jamais que quatre-vingt-dix dollars américains – et je l’ai mise dans un bus pour qu’elle retourne à Istanbul.

— Je n’ai jamais donné l’ordre de la renvoyer !

— C’est pourtant ce qu’a dit votre ami le chauffeur de taxi.

Ça, pour être furax, je l’étais, croyez-moi ! Je sortis en trombe, et démarrai. Je rentrai dans un autre panneau de stationnement interdit, rien que pour leur apprendre qu’ils n’avaient pas intérêt à plaisanter avec moi. Puis je fonçai vers la villa avec l’espoir que le chauffeur de taxi s’y trouvait encore.

Mais la Renault me laissa tomber. Plus une goutte dans le réservoir. Je l’abandonnai au beau milieu de la route et terminai à pied, puisque je n’étais plus qu’à une centaine de mètres de chez moi. Je me demandai ce que j’allais bien pouvoir raconter au chauffeur de taxi. Il allait m’entendre !

Mais il n’était pas là.

J’allai engueuler Karagoz pour la Renault et l’envoyai avec le jardinier pour qu’ils la ramènent en la poussant. Je leur interdis d’utiliser une autre voiture tellement j’étais hors de moi.

Toujours pas de fille.

Et rien à faire.

Je barricadai la porte de ma chambre. Je ruminai sombrement pendant un moment. Et puis, parce qu’il me fallait encore de quoi m’énerver, je passai dans ma vraie chambre, de l’autre côté du placard, et j’allumai l’écran.

Heller ne pouvait aller nulle part, puisqu’il n’avait pas d’argent. Pour l’heure, je ne me souciais guère de lui. Dans deux jours, Raht me préviendrait. On se servirait du remorqueur pour emmener Heller jusqu’aux États-Unis, où il ne tarderait guère à être arrêté pour imposture et jeté en prison. Qu’il fasse ceci ou cela, désormais, peu m’importait. Mais j’avais peut-être une chance de le surprendre en défaut.

Il était là, sur l’écran. Il courait suivant le corridor à l’extérieur des entrepôts. Apparemment, il avait deux sacs, sur l’épaule gauche et l’épaule droite. Ils tressautaient à chacune de ses foulées. Lui et ses fichus exercices ! Il s’était lesté pour entretenir sa musculation à cause de la gravité plus faible de la planète. Ah, les athlètes !

Ce n’était pas le genre de situation où il pouvait nous créer des ennuis, aussi je me dis que je ferais aussi bien d’explorer la bande à partir du moment où je l’avais laissé.

Oh !… Mais il avait été particulièrement actif ! Après son ridicule relevé des lieux, il n’était resté que quelques instants dans le vaisseau. Tout d’abord, je ne compris pas ce qu’il avait fait.

Sur ses jambes, il avait des choses bizarres. Immédiatement après avoir redévalé l’échelle, il s’arrêta pour ajuster quelque chose sur ses chevilles. Il portait des sacs ainsi qu’un rouleau de corde et je ne parvenais pas très bien à distinguer ses chevilles à cause de tout cet attirail.

Il se rendit tout droit jusqu’à l’atelier de construction. Il y avait là un technicien qui bricolait sur un établi. Il vit aussitôt qui venait d’entrer dans son antre et détourna les yeux sans dire un mot.

— Je voudrais vous emprunter une foreuse à main pour prélever des échantillons de roche, déclara Heller d’un ton amical.

Le technicien secoua la tête.

— Je suis vraiment désolé, insista Heller. Il y a des séismes dans cette région et cette excavation est particulièrement vaste. On dirait qu’il y a des fissures dans la roche et je m’inquiète pour la sécurité de mon vaisseau. Il va sans doute séjourner ici de temps à autre et je ne veux pas courir le risque d’un effondrement. Alors, soyez assez aimable pour me confier une foreuse à main.

D’un geste presque rageur, le technicien sortit un outil de petite taille d’un tiroir et le tendit à Heller qui le remercia fort courtoisement avant de repartir.

Ces ingénieurs de combat ! Heller sangla solidement ses sacs et entreprit d’escalader la paroi intérieure du hangar !

Maintenant je savais ce qu’il partait aux chevilles. On appelle cela des « pointes » mais, en fait, il s’agit de forets qui vibrent pendant un temps très bref, lorsqu’ils sont appuyés sur la roche ou tout autre matériau. L’Appareil les utilise pour grimper sur les immeubles, mais les ingénieurs, eux, s’en servent pour de véritables escalades en montagne. Heller avait quatre « pointes » à chaque botte.

Une au bout, une au talon, une à l’extérieur et une autre à l’intérieur de la cheville : on peut très facilement se transpercer la cheville avec ces trucs !

Il grimpait tranquillement. Aïe ! Il en avait aussi aux poignets ! Est-ce qu’il avait été équipé comme ça quand il avait escaladé l’Afyonkarahisar ? Non, certainement pas. Je m’en serais aperçu au cours de sa bagarre et ç’aurait été une violation du Code Spatial.

S’il les portait à présent, c’est parce qu’il travaillait. Il s’arrêta à cinq mètres du sol du hangar et mit en marche le foret à main. Ce qui me vrilla les dents.

Il découpa une carotte de trois centimètres de diamètre sur dix de long, un tout petit fragment de roc.

Il la porta à hauteur de ses yeux pour l’examiner attentivement. Le grain de la roche était nettement visible et il l’étudia longuement. Pour moi, tout semblait parfait !

Il prit un petit marteau, cassa d’un coup léger l’extrémité du fragment de roche et le laissa tomber dans un sac. Ensuite, il sortit de son autre sac un bidon dont l’étiquette indiquait : « Colle à roc ». Les caractères étaient très grossiers.

Il déposa une grosse goutte de colle sur l’extrémité de la carotte et la remit en place dans le trou. Il tapota avec son marteau pour parfaire l’emboîtement et, l’instant d’après, nul n’aurait pu deviner qu’on avait prélevé un échantillon de roche à cet endroit.

Heller se déplaça d’un ou deux mètres sur sa gauche et répéta l’opération. Et il continua ainsi, de plus en plus rapidement, carotte après carotte !

Le problème, c’est que tout se passait bien tant qu’il était à cinq mètres du sol. Mais ensuite, il monta à quinze mètres de haut pour réitérer son opération et, chaque fois qu’il regardait vers le bas, j’éprouvais un horrible vertige !

Je fis avancer un peu la bande.

Heller était parvenu au plus haut de son escalade, juste au-dessous de l’illusion électronique qui donne à la base l’apparence d’une montagne. Et il disait quelque chose !

Je revins rapidement en arrière pour écouter.

— Mais pourquoi toutes les bases de l’Appareil sont-elles aussi puantes ? disait-il. Et puis, il n’y a pas que ça : pourquoi se croient-ils obligés de bloquer la circulation d’air ?

Ah, ah ! Je touchais au but.

Il commençait à se parler à lui-même. Un signe qui ne trompe pas !

Il alluma un petit chalumeau et le régla afin qu’il émette de la fumée. *

— Non, pas un brin d’air, dit-il après un instant. Par tous les Dieux, il faut que je trouve la commande de ce machin.

Je ne restai pas longtemps sur ce passage. Il regardait à cent mètres en contrebas. Je distinguai un ouvrier qui, de cette position, n’était guère plus gros qu’un petit caillou. J’en avais l’estomac retourné !

J’accélérai en me repérant au son. Je m’arrêtai, mais je n’entendis en fait qu’un fredonnement. Oui. C’était cette ballade idiote sur le Prince Caucalsia.