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— Je vois, fit Heller. Les cartographes ont fait le relevé de ce qu’ils appellent les indicateurs : quartz rose, chapeau ferrugineux, schiste serpentin, calamité. Mais ces montagnes… ces… Appalaches, ainsi que celles qui sont au nord-est, là, ce sont les plus anciens massifs montagneux de la planète et je pense qu’on pourrait y trouver tout ce qu’on veut en y regardant de plus près. Et là, au nord… dans cette… Nouvelle-Angleterre ? Il y avait des glaciers dans le passé. D’après la topographie, c’est évident. Il se peut alors que certains des glaciers aient brisé le sommet des pics et mis à nu des filons. Parce que le paysage a l’air d’avoir été drôlement secoué.

Je le laissai commenter avec verve ce qu’il avait sous les yeux. C’était vraiment un (embipé) d’ingénieur. Il était là, tranquillement assis, à dégoiser sur les cartes pendant qu’on bricolait sur son cher remorqueur ! Pour un agent de l’Appareil, il était d’une stupidité qui dépassait l’entendement. Un enfant, un demeuré pour tout ce qui concernait l’espionnage et les opérations clandestines. Pourquoi se passionnait-il à ce point pour ces cartes, d’ailleurs ?

La seule chose qu’il aurait sous les yeux dans les années à venir serait les murs d’un pénitencier.

Une heure passa. Derrière Heller, le chef du hangar me fit un signe.

— Bien, dis-je. En tant que manipulateur, je dois vous mettre en garde contre une chose. Code Spatial, article a-36-544 M Section B. Il vous est formellement interdit de révéler que vous êtes un extraterrestre. Ne donnez votre identité réelle sous aucun prétexte. Les sanctions que prendrait Voltar seraient cent fois plus sévères que celles que vous pourriez encourir sur cette planète. Vous le savez aussi bien que moi. Donc, pour votre propre bien, je dois vous demander votre parole, en tant qu’Officier Royal, que vous ne révélerez votre identité véritable en aucune circonstance.

— Soltan, vous voulez m’insulter ? Vous aussi, vous êtes tenu de respecter le Code. Vous n’êtes pas l’Empereur pour imposer la loi de Voltar en votre nom, que je sache. Mais puisque nous en sommes là, je dois vous dire que vous faites tout pour transgresser les règles du Code Spatial. En tant qu’officier royal et à titre personnel, je peux vous faire traîner devant le Grand Conseil qui vous pressurera à tel point que vous serez comme un chorder-beat. On pourra jouer sur vous rien qu’en vous pinçant.

— Mais je voulais seulement vous aider, dis-je d’un ton lamentable.

Au fond de moi, pourtant, j’exultais. Je savais maintenant qu’il se servirait de ce nom fatal que nous lui avions collé. Il avait même été suffisamment stupide pour laisser trafiquer son vaisseau dans son dos.

Je me levai et lui tendis la main.

— Au succès de cette mission. Je suis persuadé que vous vous révélerez un grand agent. Exactement ce qu’il nous fallait dans cette situation.

En sortant, je regardai à nouveau les avions de guerre : la gueule énorme de leur unique canon pouvait cracher un projectile capable d’anéantir la moitié d’une planète. Ils ne feraient qu’une bouchée du remorqueur. Avec un frisson, je me dirigeai précipitamment vers les quartiers des équipages pour aller trouver Stabb. Je voulais répandre une nouvelle rumeur : Heller avait reçu des instructions secrètes pour tous les liquider, y compris les pilotes-assassins. Ainsi, ils exécuteraient peut-être Heller avant notre départ et je n’aurais plus à monter dans ce (bip) de remorqueur ! S’il y a une chose que je n’apprécie pas, ce sont ces avions de guerre de malheur qui peuvent vous descendre quand ils veulent !

5

Je n’étais vraiment pas d’humeur à apprécier ce qui allait suivre.

Je prenais un peu de détente à l’ombre du temple avec un autre pichet de sira bien glacé quand Karagoz surgit, tout agité.

— Une visite pour vous ! Le chauffeur de taxi dit qu’il doit vous voir immédiatement.

Je me déployai comme un serpent. Je tenais enfin une occasion de cracher mon venin !

— Fais-le entrer dans l’atrium !

Il y avait une fontaine, tout près. Je pourrais peut-être lui tenir la tête sous l’eau jusqu’à ce qu’il se noie !

L’atrium, cette cour autour de laquelle toute demeure romaine était organisée, était généralement un lieu désert, tout à fait ce qu’il fallait pour une exécution. Mais, aujourd’hui, l’atmosphère était différente. Karagoz et le jardinier y avaient apporté de grandes plantes en pot, des tapis somptueux recouvraient le dallage, des sièges confortables avaient été disposés autour de la fontaine, et la fraîcheur et le bruit de l’eau composaient comme une musique. (Bip de bip !) Ce n’était pas l’ambiance qui convenait !

Le chauffeur de taxi était là. Il faisait tourner sa casquette au bout d’un doigt, souriant, jovial. (Bip ! Bip ! Et rebip !)

Bon, de toute façon, je lui ferais son affaire avant peu !

— Par tous les Enfers, qu’est-ce qui vous a pris de réexpédier une fille parfaitement saine à Istanbul ?

Sur le moment, il ne parut pas se souvenir. Puis :

— Oh, celle-là ! Sultan Bey, vous avez eu de la chance, on peut le dire ! Le docteur a découvert qu’elle avait à la fois la (bip) et une (biperie) mal guérie. Une véritable épidémie ambulante ! Et une vraie furie par-dessus le marché ! Vous m’aviez dit de l’envoyer balader, alors je l’ai expédiée à Istanbul pour se faire soigner.

Je savais qu’il mentait. J’étais sur le point de lui hurler à la face qu’il me restitue mon argent quand ce dingue eut le culot de s’asseoir ! Là, devant moi !

Il afficha tout à coup un air de conspirateur. Il regarda en direction de la porte et parut satisfait de constater que nous étions seuls.

— Officier Gris ! me souffla-t-il, je suis tombé sur une affaire en or !

Sur l’instant, je ne sais pourquoi, j’espérai qu’il avait bousillé sa voiture sur un camion. Mais il avait l’air bien trop heureux. Quand les gens ont l’air de vouloir vous chuchoter un secret, on a tendance à les écouter.

— Quand cette fille s’est mise à faire tout ce scandale, j’ai su que ça ne vous plairait pas. Je ne voulais surtout pas que vous soyez mêlé à cette histoire !

Là, c’était mieux. Il montrait du respect. Je me penchai pour mieux entendre ce qu’il disait.

— Il y a deux semaines, poursuivit-il à voix basse, j’ai entendu parler d’un type, quelque part dans l’Est, à Bolvadin, pour être plus précis. Je suis donc allé le trouver. J’avais un moment de libre et je ne vous ferai pas payer les frais d’essence parce que après tout on est des amis…

Oui, c’était vraiment mieux comme ça.

— Qu’est-ce que vous diriez d’une vraie danseuse ? Pas d’une prostituée d’Istanbul qui se contente de trémousser du ventre mais d’une vraie ?

Je me penchai un peu plus.

— Écoutez-moi bien, officier Gris. C’est fantastique. Les Russes, dans le Turkestan, de l’autre côté de la mer Caspienne, ont raflé les nomades pour les regrouper dans des fermes collectives. Ils nettoient comme ça tout le désert de Kara Kum !

« Ceux qui refusent sont abattus. C’est assez affreux. Mais, pour nous, il y a un côté avantageux. (Il se rapprocha encore.) Les femmes… (Il regarda prudemment autour de nous et baissa encore la voix.) Plutôt que de vivre comme ça… elles se vendent !

Là, il avait droit à toute mon attention !

— Ces filles, ce sont de vraies Turques. Les Turcs, vous le savez, à une époque habitaient une région qui allait de la Caspienne à la Sibérie. Ils parlent tous la même langue et c’est tout juste s’ils ont des accents régionaux. Voyez-vous, officier Gris, ils ont gardé leurs anciennes coutumes, et ces filles sont des nomades du désert, la crème des danseuses ! Et elles sont également très expertes dans… vous me comprenez…