A deux cents mètres du sol, Stabb activa le déclencheur de paralysie.
Un énorme éclair bleu jaillit du vaisseau pour former un cône qui ne brilla que l’espace d’une seconde. Quiconque l’apercevrait penserait qu’il s’agissait du reflet des phares d’une voiture ou d’un simple éclair d’orage à l’horizon.
Stabb posa le remorqueur bien au centre de la cible, derrière l’écran des arbres, sur le ventre. Le copilote ouvrit la porte du sas. L’ingénieur en second, en moins d’une seconde, fut sur le terrain, en tenue de combat. Il portait un détecteur thermique qu’il pointait vers le sol en un balayage régulier.
L’éclair bleu avait rendu inconscient tout être vivant dans le secteur. Le détecteur permettait de repérer les victimes. Opération de type standard. Indispensable pour éviter les surprises désagréables. Et humanitaire, en fait : inutile de tuer un éventuel témoin accidentel ou encore de le laisser s’enfuir en se demandant ce qui lui est arrivé pour entendre un peu plus tard : « Des pilotes venus de Voltar ont violé l’article a-36-544 M Section B du Code Spatial ! » Et puis, il est toujours difficile de se débarrasser de cadavres dans l’instant : ils attirent inévitablement les shérifs fouineurs et les ennuis.
Le détecteur thermique de l’ingénieur clignota en rouge ! Oui, quelque chose avait été touché par l’éclair paralysant !
Le premier pilote, éclateur au poing, se précipita dans la direction indiquée par le détecteur. Stabb restait rivé aux commandes du remorqueur, prêt à décoller en cas d’embuscade.
C’était une nuit d’août typique de Virginie, chaude et moite. Un mince croissant de lune révélait les silhouettes des arbres. Autour du vaisseau, le vent bruissait dans les hautes herbes.
Et puis, j’entendis un éclat de rire. Le premier pilote revenait en courant, tenant un opossum par la queue. Il le jeta sur le côté en disant :
— Tout est en ordre, maintenant !
— Paré ! lança l’ingénieur en second en posant son détecteur.
Stabb interrogeait la nuit du regard.
— Par tous les Enfers, où est-ce qu’ils sont ? (Il regarda sa montre.) Il faut que nous soyons de retour à la base avant que le soleil se lève ! Il ne nous reste que vingt-cinq minutes !
Soudain, des bruits de pas rapides se firent entendre. Quelqu’un approchait sur le chemin envahi par les herbes.
Raht apparut. Il était chargé de deux énormes valises.
Raht est le Terrien le plus banal d’aspect qu’on puisse imaginer. Mis à part la moustache raide qu’il affectionne, aucun de ses traits ne saurait rester en mémoire. L’espion parfait. Il est originaire de la planète Modon et ses congénères sont très heureux d’être débarrassés de lui.
Il lança les valises dans le sas, pantelant. C’est alors qu’il m’aperçut.
— Fichtre ! L’officier Gris en personne !
Raht s’était toujours exprimé sur un ton vaguement geignard.
— Qu’est-ce que tu trimballes dans ces valises ? lui demandai-je. Les ordres stipulaient des bagages coûteux remplis de vêtements.
Il poussa les deux valises un peu plus en avant.
— Les vêtements, ça coûte de l’argent. Vous n’avez pas la moindre idée du taux d’inflation ici. J’ai dû ajouter des cailloux pour que ces valises pèsent le poids, demandé !
Tu parles, me dis-je. Tu as gardé l’argent pour toi, oui. J’appuyai sur le bourdonneur et pris les valises pour les porter à Heller. Je ne tenais pas à ce qu’il voie les agents qui allaient désormais le suivre partout.
Heller avait déverrouillé les portes de la coursive. J’allai déposer les bagages dans le salon.
Il était là, à la table.
— Vous trouverez des vêtements là-dedans, lui dis-je. Habillez-vous en vitesse. N’emportez aucun de vos effets personnels. Il ne vous reste qu’une vingtaine de minutes, alors, ne traînez pas.
Je le laissai et refermai derrière moi.
Quand je retrouvai Raht, il haletait encore. Je l’entraînai jusqu’au salon de l’équipage. Il me brandit une liasse île documents sous le nez.
— Ça, c’est son diplôme militaire.
Je lus :
ACADÉMIE MILITAIRE DE SAINT-LEE
Compliments :
Delbert John Rockecenter, Jr
a terminé l’ÉCOLE SECONDAIRE.
Authentifié, signé, etc.
C’était un diplôme très impressionnant. Et très beau. Décoré avec des soldats de la Confédération Sudiste présentant les armes, des drapeaux, des canons.
— Et voici les autres papiers, ajouta Raht.
C’étaient d’autres attestations concernant les disciplines étudiées et les notes reçues pour chacune.
— Des faux très habiles, remarquai-je.
— Par tous les Démons, non. Les signatures sont parfaitement authentiques. L’école a été fermée définitivement l’an dernier et l’ex-doyen ferait n’importe quoi pour un peu de fric. Vous croyez que je tiens à être accusé de faux et usage de faux ?
Il arrivait toujours à se plaindre, même quand on le complimentait !
— Où est Terb ? demandai-je. Nous n’avons pas beaucoup de temps.
— Il a peut-être eu des ennuis. Le vieil employé de ce (bip) de Palais de Justice ne voulait pas revenir après les heures de bureau.
Le capitaine Stabb désigna sa montre.
— A partir de maintenant, il va falloir faire vite. Il faut qu’il fasse encore nuit à notre retour !
Mais Terb surgit à cet instant dans le sas. Tout comme Raht, c’est un Terrien d’aspect remarquablement ordinaire. Un peu replet, plutôt basané, mais dans une foule, personne ne le remarquerait. Lui, il vient de la planète Dolo, où tout le monde est content de ne plus le voir.
— Pas l’officier Gris ! s’exclama-t-il. Je rêve ! Nous ne pouvons être aussi importants que ça ! Raht, je me suis trompé quand je te disais que nous n’étions que de la crotte, voilà que l’off…
— Ça suffit ! lançai-je. Est-ce que le certificat de naissance est prêt ?
Terb acquiesça. Il sortit un déclencheur électrique d’une de ses poches.
— Le vieil employé veut voir notre homme pour s’assurer que le certificat est bien destiné à une personne vivante. Il ne tient pas à ce qu’on le prenne pour un type malhonnête. Donc, votre zozo se présentera, lui refilera un autre billet et le certificat sera signé. Et ensuite, dès que le vieux grimpera les marches du Palais de Justice, j’appuierai là-dessus, et toc ! Plus d’employé, plus de documents. J’ai mis la bombe en place aujourd’hui, un peu avant l’aube, dans les archives !
Je leur donnai alors l’activateur-récepteur.
— Ça, c’est un système spécial. Si vous restez à moins de quatre cents kilomètres de lui, vous pourrez suivre constamment ce qu’il fait.
— Mais on a mis des mouchards partout, dit Raht. Dans ses vêtements, dans les valises, et on a l’activateur sur nous. On ne peut pas le perdre !
— Ça, c’est mieux qu’un mouchard. C’est un implant qu’il a dans le coude et qui enregistre chaque fois qu’il manipule des explosifs ou touche une arme. On ne tient pas à ce que vous vous fassiez descendre.
C’était un gros mensonge mais ça fit de l’effet !
— Avec ça, continuai-je, on peut le suivre depuis un vaisseau. Et voici le Relais 831. Mettez-le toujours à côté de l’activateur-récepteur.
« Laissez le tout branché en permanence. Vous voyez, ça ressemble à un boîtier de connexion téléphonique. Ça peut se placer sous un lit aussi bien qu’à l’intérieur de n’importe quel bâtiment. »