Ils prirent le tout et promirent d’en faire bon usage.
Puis Raht me dit :
— De l’argent. Il nous faut de l’argent. Le taux d’inflation est terrible !
Je leur remis un ordre de virement sur la Chase-Arab New York Bank. Ils se montrèrent ravis. Je l’étais aussi : c’était l’argent du gouvernement.
— Maintenant, disparaissez avant qu’il ne vous voie.
Ils plongèrent dans le sas et s’enfoncèrent dans la nuit, en direction de la demeure que dessinait vaguement le clair de lune.
Stabb regardait à nouveau sa montre.
Heller apparut. Je faillis exploser de rire. En Virginie, on ne trouve pas de vêtements pour des individus de sa taille et il avait l’air complètement ridicule !
Raht avait fait du bon boulot. La veste était à hurler ! A carrés rouges et blancs, énormes. Le pantalon aussi ! A rayures bleues et blanches. Le chapeau était un panama vert pomme bien trop petit pour sa tête ! Les chaussures étaient en daim orange et devaient lui meurtrir les pieds ! Quant à la chemise, pour aller avec le tout, elle était d’un violet resplendissant !
Il était aussi discret qu’une fusée de secours !
Les vêtements avaient pourtant dû coûter cher, du genre que l’on achète quand on a beaucoup d’argent et pas de goût.
Merveilleux !
Heller portait les deux grosses valises.
— Vous ne trouvez pas que c’est un rien voyant ? ,
— C’est à la pointe de la mode !
Je lui expliquai rapidement où il devait aller chercher son certificat et lui remis les autres documents.
Puis je m’agenouillai dans le sas et braquai un viseur de nuit sur la route. Je voulais m’assurer que Raht et Terb étaient hors de vue et que le secteur était désert. Mais là-bas, quelque chose bougeait dans les broussailles.
— J’ai un peu faim, dit Heller derrière moi.
Il s’éloigna vers l’intérieur du vaisseau.
Stabb s’approcha.
— Il dit qu’il veut…
— Donnez-lui ce qu’il réclame.
Oui, quelque chose bougeait près d’une des anciennes cabanes d’esclaves.
Heller réapparut.
— Je vais avoir besoin d’un peu d’argent.
Ah, oui. Son argent. Les ordres stipulaient de lui remettre cinq mille dollars pour qu’il ait l’air à l’aise côté fric. Je lui en tendis deux mille. Trois mille, c’était un salaire honnête pour une nuit de travail.
Il bouclait des courroies sur une des valises.
— Il ne nous reste plus guère de temps, dit Stabb.
Je vis alors ce qui bougeait, là-bas, dans les broussailles. Un renard. Aux Diables !
Je me redressai et me tournai vers Heller. Je lui tendis la main mais il ne la prit pas. En fait, il me présentait une lettre.
— Rendez-moi un service, voulez-vous ? Expédiez ça. J’ai promis de le tenir au courant.
Je pris la lettre et la glissai dans ma poche. J’étais bien trop pressé de le voir disparaître pour prêter attention à ça.
— Eh bien, Jettero, bonne chance. A vous de jouer.
Il sauta au sol avec les deux grosses valises et s’éloigna en boitillant sous le clair de lune.
Bye-bye, Heller, me dis-je. J’espère que tu te feras un tas de copains dans ta cellule !
— On décolle ! lança Stabb.
Je me mis à l’écart. L’ingénieur en second bondit hors du sas avec une machine dans la main. Stabb fit monter le remorqueur à environ deux mètres du sol et le stabilisa pendant que l’ingénieur promenait la machine autour de lui pour redresser les herbes qui avaient été écrasées par le poids du vaisseau. Puis il lança son engin dans le sas et le copilote l’aida à remonter à bord. Ensemble, ils fermèrent les écoutilles.
— Est-ce que vous avez l’ordre d’empêcher notre vaisseau de quitter ce système solaire ? me demanda alors Stabb.
En vérité, oui. Cet ordre m’avait été signifié par le pilote-assassin. Mais je n’avais pas intérêt à révéler à Stabb que son vaisseau était réduit à l’impuissance.
— Pourquoi ? demandai-je.
— Il vient de prendre le chronoviseur qui se trouvait sur le tableau de bord. Et s’il y en a un autre, on ne peut pas l’avoir parce qu’il a bloqué toutes ses cabines et ses placards. Même avec un éclateur, on n’arriverait pas à les ouvrir ! Et sans chronoviseur, impossible de regagner l’espace. Mais je me suis dit que ça devait être sur votre ordre, puisque vous avez précisé de lui donner ce qu’il réclamait.
Et alors ? Peu importait après tout. Se faire descendre dans ce (bip) de remorqueur ?
Stabb, sans rien ajouter, nous fit grimper à la verticale.
A présent, il s’agissait de regagner la base et de nous y poser avant que le jour se lève.
Stabb poussa les moteurs auxiliaires au maximum.
Je jubilais.
J’étais débarrassé d’Heller !
Je brûlais de me retrouver devant mon écran pour voir tout ce qui allait lui arriver. Pauvre (enbipé) ! Après tous les ennuis qu’il m’avait causés !
Quatorzième partie
1
Moins de deux heures plus tard, j’étais assis dans la chambre secrète de ma villa, à environ 105 degrés de longitude d’Heller, épiant ses moindres déplacements.
J’étais dans l’extase ! Sur l’écran, l’image était d’une netteté incroyable ! Et le son parfait : j’entendais même les criquets ! Le Relais 831 fonctionnait magnifiquement !
J’avais dû revenir en arrière jusqu’à l’instant où il avait quitté le vaisseau.
Il était là, avec ses deux grosses valises, crapahutant dans la nuit de Virginie. Devant lui, il y avait une ferme qui se précisait. Ses fenêtres allumées éclairaient une cour.
N’importe quel espion, même mal entraîné, aurait décrit une large boucle pour l’éviter. Mais pas Heller !
Il y eut un grognement.
Puis un grondement sauvage !
Un énorme chien lui barrait le chemin !
Je réalisai en pouffant de rire qu’Heller n’avait sans doute jamais vu de chien. La créature la plus proche du chien est le hondo de Flisten qui, domestiqué, est dressé à dévorer des familles entières.
Le chien retroussait les babines sur ses crocs ! Il s’aplatissait. Je savais qu’il allait bondir d’une seconde à l’autre. Eh bien, adieu Heller ! Toute cette affaire allait donc se terminer dans une nuit chaude de Virginie, par les crocs acérés d’un chien !
L’animal courut pour prendre son élan, jaillit dans les airs, la gueule ouverte, ses crocs prêts à se refermer sur la gorge d’Heller !
Heller laissa tomber ses deux valises.
Il lança les mains en un éclair, saisit le chien par sa peau flasque, de part et d’autre de la gueule, puis, pivotant sur un talon et profitant de l’élan du chien, il le projeta à plus de cinq mètres derrière lui !
La bête traversa les airs et, avec un bruit mat, heurta un arbre, glapit et resta au tapis.
Je m’attendais à ce qu’Heller s’enfuie en courant. Le bruit avait dû réveiller toute la maisonnée.
Mais il alla jusqu’au chien et se pencha pour l’examiner. Il prit l’énorme molosse dans ses bras, retourna jusqu’à ses valises et réussit à en saisir les poignées. Puis il se dirigea droit sur la maison !
La porte du devant s’ouvrit. Un fermier était sur le seuil, avec une carabine à la main !
Heller ne s’arrêta qu’en atteignant le porche. Il posa ses valises.
— J’ai peur que vot’ chien se soit payé un arbre, dit-il avec un accent virginien particulièrement épais.
Le fermier ouvrit la porte en grand et Heller entra et alla déposer le chien sur la carpette.