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— On dirait qu’y saigne pas. Y va sûrement se requinquer, ajouta Heller.

Le paysan se pencha sur le chien qui tenta faiblement de se redresser. Son maître lui tapota la tête et il se détendit en agitant vaguement la queue.

— Non, dit-il. Pas de bobo. T’es du coin, gamin ?

— Ouais. J’ crois bien que j’ vais y aller, maint’nant.

— Bon Dieu, non. Pas après c’ que t’as fait ! Ça c’était bien d’un gamin du pays ! Martha, tu veux nous apporter un peu de café ?

— Non, non, dit Heller. J’ vous remercie, mais j’ai un rendez-vous en ville. Un copain m’attend au Palais de Justice. Je vous remercie encore, mais vraiment faut qu’ j’y aille. Je suis déjà à la bourre.

— Dis donc, gamin, ça fait plus de quatre bornes. Et tu boites, j’ai vu. Ça serait pas chic de ma part de pas te conduire en ville. Bouge pas, j’ vais chercher mon camion !

Le chien s’était mis sur le ventre et fixait Heller avec un regard étrange.

Le fermier alla démarrer son camion et se gara devant le seuil. Heller souleva ses deux valises, les jeta sur la plate-forme et monta. Et le camion démarra en pétaradant.

(Bip de bip ! Trois fois bip !) Ça ne s’était pas passé aussi bien que prévu. Il s’en était tiré à cause de son accent de Virginie. Maudite (bip) de comtesse Krak ! Elle aurait dû se mêler de ses affaires et rester avec ses monstres !

Heller descendit devant le Palais de Justice et le fermier lui dit :

— Tu passes nous voir quand tu veux, gamin. Quand tu retourneras chez toi, hein ?

— Sûr. Et merci.

Sur ce, le fermier redémarra.

Heller leva les yeux vers le Palais de Justice. Il n’y avait que deux fenêtres éclairées, au second étage. La porte principale était ouverte et, en boitillant, Heller grimpa les marches et poussa le battant.

Une espèce de vieux bonhomme décati, en habit noir, était penché sur un bureau, au-delà du comptoir d’accueil. Plusieurs tiroirs d’archives étaient ouverts. Le panneau posé sur son bureau annonçait :

Naissances et décès.

Prenez la file d’attente

J’espérais pour lui que ce vieux (bip) avait réglé ses affaires et pris la file d’attente parce qu’il serait mort avant cinq minutes.

Heller marcha jusqu’au comptoir et posa les deux valises.

Le vieux leva sa tête à moitié chauve.

— C’est toi l’ gars ?

— Il paraît, fit Heller.

— Je m’ demandais si ça arriverait un jour, dit alors le vieux, de façon cryptique.

Puis il s’approcha pour venir inspecter Heller de près.

— Ainsi, c’est toi Delbert John Rockecenter Junior ?

— Il paraît, répéta Heller.

— Ça fera deux cents dollars, dit le vieux en brandissant le certificat sans le lâcher.

Ah, me dis-je. Ces pourris d’Américains, tous pareils. Il a grimpé de cent dollars.

Heller porta la main à sa poche. Il était évident que l’argent ne lui était pas familier : il prit quelques billets en hésitant.

Le vieux tendit alors la main, préleva lui-même deux coupures de cent dans la liasse et les fourra dans sa poche.

Heller prit le certificat sur lequel il y avait son nom, son signalement, sa date et son lieu de naissance. Le tout scellé, attesté et portant signature du vieil employé. Heller n’avait que dix-sept ans d’après la date de naissance ! Il mit le certificat dans sa poche.

— J’ vous suis très reconnaissant.

Puis il souleva une nouvelle fois ses deux grosses valises, et redescendit les marches pour gagner la rue.

Je mis le son au minimum car je savais ce qui allait suivre.

Dans un grondement énorme et un jaillissement de flammes, toutes les fenêtres du haut de l’immeuble explosèrent !

Procédure standard !

Adieu, vieux filou de mes (bips) !

Il faut toujours saluer les morts avec une petite oraison funèbre. Ça porte chance.

Les flammes jaillissaient en gerbes de l’une des fenêtres. Quand Terb place une bombe, il ne mégote pas. Il a même tendance à exagérer. Et le plus fort, c’est qu’il utilise toujours des explosifs qu’il se procure sur place, évitant ainsi, bien sûr, de violer le Code. Un maître !

Hé, attendez ! Qu’est-ce que fabriquait Heller, par tous les Dieux ? L’explosion, sur cette colline déserte, allait attirer du monde. Même en Virginie, il y avait des pompiers. En fait, ils sont tellement fiers de leurs voitures de pompiers qu’ils font des rallyes de pompiers dans toute la région !

N’importe quel agent convenable entraîné aurait compris ce qu’il devait faire. Courir. Et vite !

Pas Heller ! Il lâcha ses valises et se précipita vers la porte principale. Il regrimpa les escaliers et fonça en direction du comptoir des Naissances et Décès. Tout était en feu ! Il y avait de la fumée partout !

Même le comptoir avait été soufflé ! Heller se baissa et se fraya un chemin à travers la fournaise, tâtant le sol devant lui.

Il trouva une main, une manche et tira. Un corps apparut.

Il y avait un tapis. Heller le prit et, en quelques gestes rapides, y enveloppa le vieux.

Il battit en retraite en tirant l’autre.

Parvenu en haut des marches, il jeta le fardeau sur son épaule et redescendit quatre à quatre.

Lorsqu’il se retrouva à ciel ouvert, il gagna en courant un carré de pelouse, sur le côté.

Bien, me dis-je. Ce n’est pas si grave que cela. Quand une bombe explose, ils arrêtent tous ceux qui se trouvent sur les lieux. C’est bien pour cette raison qu’il faut toujours s’éclipser très vite. Et Heller, ce crétin, demeurait là.

Il sortit le vieux du tapis et tapota les endroits où le tissu de ses habits fumait encore.

L’autre (bip) ouvrit les yeux.

— Du Diable…, qu’est-ce qui s’est passé ?

— Ça gaze ? fit Heller.

Le vieux chnoque se palpa.

— Quelques égratignures, mais on dirait bien qu’y a rien d’cassé. C’est ce (bip) de poêle, voilà ce que c’est. J’leur ai dit de l’ boucler c’ printemps ! Ça d’vait sauter. L’ brûleur a dû s’éteindre et ça s’est rempli d’gaz et…

Le vieux avait les yeux fixés sur le building. Heller leva les yeux. Les fenêtres avaient toutes explosé ainsi qu’une partie du toit et les flammes commençaient à monter en grondant dans le ciel.

Le vieux commençait enfin à réaliser ce qui était arrivé. Il se tourna vers Heller en écarquillant les yeux.

— Bon Dieu, mon gars ! T’as drôlement risqué ta peau en m’ coltinant dehors ! (Il secoua la tête comme pour s’éclaircir les idées et fixa Heller un peu plus intensément.) Tu m’as sauvé la vie, môme !

Heller l’examinait et essayait de lui faire plier les doigts.

De l’autre côté de la ville, des cloches s’étaient mises à sonner. Le service des pompiers volontaires devait se mettre en branle.

— Est-ce que vous voulez que j’appelle quelqu’un ? demanda Heller. Ou une ambulance ?…

— Écoute, mon gars. Merde, tu frais mieux de te tirer d’ici ! Va y avoir des pompiers et des journalistes partout dans ce bon dieu de coin d’ici une minute. Ça va aller, fiston. J’oublierai pas, t’ sais. Mais avec le nom que tu portes, t’as intérêt à t’ casser, et vite !

— Heureux, d’vous avoir donné un coup de main, dit Heller.

Il partit en courant.

— Hé ! Si j’ peux t’aider un d’ces jours, cria le vieux, t’as qu’à demander Stonewall Biggs !

Heller dévalait la colline avec ses valises. Autour de lui, le sol était illuminé par les flammes.