Il comptait aller à la pêche ?
Le vendeur s’activait comme un beau diable, à présent.
— Regarde, on a des tenues complètes. Voyons voir ta pointure. Dis, est-ce qu’on peut dire que c’est nous qui t’avons équipé ?
Oui, c’est ça, me dis-je. Une bonne campagne publicitaire dès ce matin, et ce sera parfait !
Après avoir rejeté pas mal de choses, Heller opta finalement pour trois paires de chaussures, six maillots de corps blancs à manches longues, douze paires de chaussettes de base-ball à rayures rouges, deux survêtements blancs, une douzaine de caleçons longs, deux tenues sans emblème, blanches, avec des rayures rouges, un anorak, rouge également, avec des badges de capitaine, ainsi qu’une ceinture noire et un casque. Rouge, bien sûr.
A ce moment, Heller vit les casquettes. Des casquettes de base-ball rouges qui n’étaient pas aussi mignonnes, aussi chic que celle qu’il portait si souvent, mais assez semblables. La visière était plus longue et ne se replierait pas sous un casque de course, mais Heller était en extase. Il émit une sorte de roucoulement et farfouilla dans la pile jusqu’à ce qu’il trouve une casquette à sa taille. Il la coiffa et se regarda dans le miroir.
Je tressaillis. Devant moi, j’avais le visage de Jettero Heller, le champion des coureurs de l’Académie ! J’avais si vite oublié ces yeux bleus au regard amusé, ces grands cheveux blonds et ce sourire désinvolte ! Tout à coup, c’était comme si je me retrouvais sur Voltar !
— Ces initiales, demanda-t-il au vendeur, ça veut dire quoi déjà ?
— Jackson High.
Je ne l’avais pas vu tout de suite, à cause sans doute de la façon dont les caractères, blancs, étaient entrelacés sur la casquette. J.H. ! C’était pour ça qu’il souriait de toutes ses dents !
Il éclata de rire.
— J’en prends six !
Avec des gestes cérémonieux, il offrit au vendeur sa chemise mauve, ses chaussures en daim orange et son panama.
Ensemble, ils mirent tous ses achats dans un grand sac de sport. Heller régla les trois cents dollars et prit la carte que l’autre lui donnait.
Il était à deux pas de la porte quand le vendeur lança :
— Eh ! Tu as oublié de me dire ton nom !
— Vous entendrez parler de moi ! cria Heller en réponse. Et il s’éclipsa.
Bien. Il y avait donc encore de l’espoir. S’il avait donné le nom qu’il était supposé porter sur Terre, ce (bip) de vendeur se serait répandu dans toute la ville avec un haut-parleur. J’étais reconnaissant à Heller de se montrer modeste ! Mais il n’était vraiment pas malin. Le voilà qui descendait la rue avec sa casquette de base-ball sur la tête, marquée à ses initiales, et son maillot de base-ball à manches longues. Et il avait gardé son pantalon à rayures bleues et blanches et sa veste à carreaux rouges. Il était plus voyant que jamais ! Pire encore : ses chaussures de base-ball faisaient plus de tintamarre que ses anciennes chaussures magnétiques !
Tout ça, c’était de la faute à Lombar : il avait donné l’ordre de ne surtout pas former Heller comme un espion. Dans une pareille situation, n’importe quel espion, même moyen, aurait tout fait pour demeurer discret. Un agent convenable aurait simplement étudié la population et se serait habillé comme la moyenne. Mais Heller ne ressemblait à personne dans cette tranquille petite ville sudiste ! Mes Dieux ! pensai-je en le regardant.
Il consulta sa montre. Il était presque neuf heures. Mais il s’arrêta encore une fois. Devant une confiserie ! Je grommelai. J’avais affaire à un crétin, pas à un agent spécial. Les agents spéciaux, voyez-vous, ne sucent pas de bonbons ! Ils fument la cigarette !
Plusieurs gamins d’environ douze ans se querellaient avec une vendeuse à propos du prix des boules de gomme qui, semblait-il, avait augmenté. Deux d’entre eux portaient une casquette de base-ball, comme c’est souvent le cas chez les enfants américains. Je réalisai soudain qu’avec la sienne Heller allait paraître plus jeune aux yeux des gens !
Heller parcourut le comptoir sur toute sa longueur. Il cherchait apparemment une friandise bien précise. Il la trouva : des bonbons enveloppés dans du papier transparent, avec des spirales rouges et blanches, comme ceux qu’on voit parfois en publicité dans les magazines.
Les gamins achetèrent chacun leurs dix cents de sucreries et Heller mit aussitôt la vieille dame à contribution en lui en achetant cinq kilos ! Il ne se contenta pas des seuls bonbons rouges et blancs, mais en choisit bien d’autres. Il voulait qu’ils soient tous mélangés, ce qui posait le problème de les mettre dans des sacs différents et puis de trouver un sac suffisamment grand pour contenir tous les autres. Bref, il gâcha la journée de la vieille.
Lourdement chargé, il se retrouva sur le trottoir. Une voiture de flics était garée au coin. N’importe quel agent digne de ce nom, bien sûr, serait immédiatement parti dans la direction opposée. Mais pas lui. Il passa juste à côté de la voiture !
Je vis, à la limite de son champ visuel, le regard du flic qui le suivait.
Bien, il était temps d’aller avaler un petit verre de sira bien frais pour me remonter. Et de dire une petite prière. S’il existait des Enfers spécialement réservés aux manipulateurs de l’Appareil, je savais dans lequel j’allais me retrouver : il y aurait plein d’agents idiots et inexpérimentés ! Et le sira, pas plus que la prière, n’eut d’effet sur mon moral.
Si quoi que ce soit arrivait à Heller avant que je me procure cette plaque, j’étais cuit !
Quinzième partie
1
Dans la chambre, Mary Schmeck dormait toujours d’un sommeil agité. Heller jeta ses achats sur le lit, souleva ses deux valises, les posa sur un grand bureau, côte à côte, et défit les sangles.
Il allait examiner leur contenu ! La plaque était peut-être sur le dessus !
Espoir ridicule. Il n’y avait pas le moindre caillou à l’intérieur mais tout un attirail de petits tubes, de boîtes et de circuits. Qu’est-ce que c’était que tous ces machins ?
Il prit une petite boîte à outils et deux fioles. Il posa les deux caméras Nikon démodées sur la table, examina l’étiquette, déposa quelques gouttes de liquide sur le bord. Le label noir et or Nikon se détacha ! Il répéta l’opération sur l’autre caméra.
Il sortit ensuite deux étuis et les ouvrit. Les chrono-viseurs ! Les deux ! Oui, le remorqueur n’avait pas la moindre chance de quitter cette planète ! Je savais que l’Appareil ne pourrait jamais s’en procurer d’autres auprès de la Flotte !
Il prit dans la deuxième fiole ce qui devait être probablement de la colle, en enduisit les deux étiquettes et, l’instant d’après, chaque viseur portait le label noir et or de Nikon.
L’un et l’autre ressemblaient tout à fait à une caméra 8 mm !
Il les remit en place dans leurs étuis, puis déposa les étuis dans la valise avant d’y ajouter également les deux caméras.
Ensuite il sortit les bonbons qu’il avait fabriqués sur le vaisseau. Le papier dans lequel il les avait enveloppés était à peine différent. Il devait bien en avoir un kilo et demi ! Il déversa le tout dans les sacs de bonbons qu’il venait d’acheter et les mit dans la deuxième valise. En vrac.
Il ajouta au hasard les bobines de fil et les lignes cassées, ainsi que les leurres et les plombs qu’il dispersa un peu partout.
Quel méli-mélo !
Et moi qui avais toujours cru que les types de la Flotte étaient des modèles d’ordre !