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Mais pas question de tout ça pour moi ! Non, non, non ! J’avais l’intention de prouver que ma mère se trompait quand elle répétait : « Soltan, tu n’apprendras jamais rien ! » Au moins, je venais d’apprendre quelque chose que je ne risquais pas d’oublier ! Les amphétamines m’avaient fait vivre le moment le plus atroce de mon existence !

Finalement, je me retrouvai à court d’insultes et de jurons (ce qui est vraiment un comble pour quelqu’un qui travaille pour l’Appareil) et je réussis à me lever pour aller jeter le flacon dans le désintégrateur. Mais je m’arrêtai net. Parce qu’une pensée me venait : s’il y avait quelqu’un que je haïssais vraiment très fort, plus fort encore qu’Heller et sa satanée chérie de tueuse, la comtesse Krak, ou même Bawtch, le chef de mon bureau, j’avais la solution : lui faire prendre une de ces pilules de speed ! Je rangeai donc le flacon parmi mes affaires personnelles. Et puis, une fois encore, je changeai d’idée. Non, il était impossible de haïr quelqu’un à ce point. Je jetai le flacon dans le désintégrateur.

Je m’étendis à nouveau et c’est alors que je découvris les papiers que Bawtch m’avait laissés. J’en avais assez de ces parois d’acier autour de moi et je me dis que travailler un peu me distrairait.

J’étais plongé dans des choses mornes concernant la Terre (Blito-P3), des rapports sur la production de pavot avec des schémas basés sur les prévisions de pluie, des prévisions concernant des préviseurs, un portier des Nations unies qui se montrait trop gourmand pour installer des mouchards dans la voiture d’un diplomate, un dépassement de budget pour l’assassinat d’un cheikh arabe… ce genre de broutilles… Quand je tombai sur quelque chose de fascinant : Bawtch avait commis une erreur ! Incroyable ! Merveilleux ! Splendide ! Lui qui s’était toujours vanté d’être plus que parfait ! Là, je le tenais ! Le rapport que j’avais sous les yeux émanait de l’Inquisiteur-en-Chef de Répulsos. Il concernait Gunsalmo Silva, l’Américain braillard que j’avais vu sortir du Blixo, sur Voltar.

Il avait été interrogé à fond. Il était natif de Caltagirone, en Sicile, une île située près de l’Italie. Il avait tué un policier à Rome à l’âge de quatorze ans et avait dû émigrer en toute hâte aux États-Unis. A New York City, il avait été arrêté pour vol de voitures et il était sorti de prison avec tous ses diplômes. Ainsi nanti, il avait décroché un travail honnête de tueur auprès de la famille Corleone, dans la Mafia du New Jersey, et avait réussi à se hisser au niveau de garde du corps de Don « Saint Joe » Corleone lui-même.

Lorsque « Saint Joe » avait été liquidé, Gunsalmo était reparti pour la Sicile. Mais, en arrivant, il avait trouvé que ça craignait trop et il avait décarré pour la Turquie avec l’espoir de passer de l’opium. Et, comme notre base de Turquie avait reçu l’ordre de kidnapper un Mafioso de haut rang, quel qu’il fût – histoire de glaner des nouvelles fraîches sur la Mafia –, Gunsalmo s’était retrouvé sur le Blixo.

Ceux qui l’avaient interrogé lui avaient tiré jusqu’à la dernière goutte d’information, mais il n’avait révélé que les noms et adresses de deux chefs de familles de la Mafia, dont l’une régnait sur le jeu à Atlantic City, ainsi que les noms de quatre sénateurs des États-Unis qui touchaient des pots-de-vin de la Mafia et d’un juge de la Cour Suprême qu’on faisait chanter. Qu’est-ce qu’il y avait de vraiment neuf  là-dedans ?

L’Inquisiteur-en-Chef – un officier de l’Appareil du nom de Drihl, un type très consciencieux – avait ajouté une note :

Une recrue peu informée et plutôt inutile qui n’était qu’un simple tueur et qui n’était pas dans le secret de la politique et de la haute finance. Je suggère, si les informations recherchées doivent avoir une importance au niveau opérationnel, que l’ordre soit donné de capturer sur Blito-P3 un individu mieux informé.

Mais ce n’était pas là que Bawtch avait commis son erreur. C’était à la fin, à l’emplacement réservé aux visas, là où je devais apposer mon estampille.

C’était un formulaire « sauf contrordre » qui disait :

Sauf contrordre, le nommé Gunsalmo Silva sera soumis à un traitement d’hypnoblocage concernant son séjour à Répulsos avant d’être dirigé sur l’Hypno-Collège d’Espionnage et d’Infiltration de l’Appareil, où il sera entraîné puis hypnobloqué sur sa capture avant d’être renvoyé sur sa planète en suspension mémorielle et mis à disposition du Commandant de la Base de Blito-P3.

Il y avait une seconde ligne :

Si ledit sujet doit être classé (un euphémisme administratif pour exécuté) l’officier responsable apposera ici son visa :

L’emplacement était laissé en blanc !

Et ce négligent de Bawtch n’avait même pas marqué « urgent », ne me l’avait pas donné à viser, alors qu’il savait très bien que si le formulaire n’était pas visé dans les deux jours, la solution « sauf contrordre » entrerait en effet. Une omission criminelle de sa part ! Laisser en blanc un espace destiné à recevoir un visa, c’était la pire faute que l’on pût imaginer pour un bureaucrate !

Je feuilletai en hâte la demi-douzaine de documents qui suivaient. Oui, c’était évident : le vieux Bawtch cafouillait complètement. J’avais toujours su que son sale caractère lui jouerait un tour un de ces jours. J’avais entre les mains sept formulaires qui – sauf contrordre – prescrivaient l’hypnoblocage de plusieurs individus et leur transfert. Et chacun d’eux comportait une ligne « sujet classé » avec un espace blanc ! Ce vieil imbécile les avait laissés passer ! Lui et ses satanées œillères. Il avait de la chance que je ne sois plus sur Voltar. Je lui aurais balancé la liasse sur son bureau et je l’aurais apostrophé :

— Je savais bien que ça n’allait plus chez vous, Bawtch. Jetez donc un coup d’œil sur tous ces espaces que vous avez laissés en blanc et sur lesquels j’aurais dû mettre mon estampille !

Bon, d’accord, peut-être n’aurais-je pas exprimé la chose ainsi. Mais cet incident me redonna le moral. Incroyable ! Le vieux Bawtch qui oubliait de me faire viser des papiers comme ceux-là ! Incroyable !

Puis une pensée me vint. Le paquet avec les affaires de Prahd ! Celui qui contenait son manteau, son double d’identoplaque et la fausse lettre annonçant son suicide. J’avais fait tellement vite cette nuit-là que j’avais complètement oublié de confier ça à un courrier pour qu’il le poste une semaine après notre départ. Le paquet devait être encore près de mon bureau.

Mais on ne saurait penser à tout, hein ? D’ailleurs, ce n’était qu’un détail sans aucune importance.

Je m’attaquai au reste des paperasses et j’eus très vite fini. Je fus déçu d’avoir mis si peu de temps. Je n’avais pas envie de dormir. En fait, je m’en sentais incapable. Je n’avais rien d’autre à faire qu’à ruminer, bouclé dans une minuscule cellule d’acier qui m’emportait à travers l’espace, et je n’avais vraiment pas envie non plus de ruminer.

Je vis alors qu’un nouveau cercle était apparu sur l’horloge murale :

Temps de Blito-P3, Istanbul, Turquie

Je fis un rapide calcul. Par tous les Dieux ! Il me restait encore plus de vingt-deux heures à me morfondre dans ce (bip) de cagibi !

Si nous avions été à bord d’un transporteur à distorsion, avec six semaines de voyage devant nous, je me serais d’ores et déjà lancé dans quelques parties de dés, ou bien je me serais plongé dans des bouquins sur la chasse. J’aurais même pu me passer ce que j’avais manqué sur l’écran du visionneur. Heller et son remorqueur ! Pas le temps de se distraire ! Ce machin allait tellement vite qu’on partait et qu’on arrivait presque en même temps.