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Tout à coup, un écran bleu se dessina sur la paroi. Un carillon tinta et je lus :

Suite à une possible erreur de calcul de l’officier royal qui a déterminé le parcours, nous devions atteindre notre destination peu avant midi heure locale.

Par conséquent, le commandant en titre de ce vaisseau est dans l’obligation d’appliquer des mesures de prudence basées sur une solide expérience dont les officiers royaux ne bénéficient pas afin de prévoir une arrivée à notre base dans la soirée.

Cela implique que nous allons devoir traîner et continuer en distorsion durant les derniers millions de kilomètres afin d’arriver à l’heure prévue, après la tombée de la nuit.

Notre arrivée sera retardée de douze heures deux très exactement.

Stabb,
le capitaine en titre.

J’éclatai ! Cet (enbipé de bip de mon bip) d’Heller ! Commettre une faute aussi grossière !

J’avais encore non pas vingt-deux mais trente-quatre heures à en baver dans ce (bip) de réduit !

J’allais lui dire ce que je pensais de lui !

Je me levai. Un arc électrique jaillit du coin de la table et me lacéra la main. Je posai les pieds sur le sol. Un autre arc crépita et me fouetta un orteil. Je m’agrippai à une main courante et un éclair bleu faillit me griller les doigts ! Ce (bip) de remorqueur n’était plus qu’une énorme pile !

Quelqu’un m’avait laissé des gants et des bottes isolants et je les enfilai prestement,

J’appuyai sur le bouton de communication qui me mettait en liaison avec l’arrière.

— J’arrive ! criai-je. Je veux vous voir !

La voix d’Heller me répondit :

— Venez. Les portes ne sont pas verrouillées !

Il était temps de le remettre à sa place !

On en était là par sa faute : on se traînait dans l’espace comme de pauvres crétins, uniquement à cause de sa faute stupide ! Il avait forcé ce vaisseau au maximum de sa vitesse au risque de le faire exploser. Et pour rien !

4

Peut-être était-ce à cause des derniers effets du speed ou bien à cause des étincelles qui jaillissaient de tous les côtés, mais il me fallut un certain temps pour retrouver mon chemin dans le « cercle de boîtes ». Même avec mes gants isolants, je me brûlais les mains sur deux rambardes d’argent et, plus douloureux encore, j’approchai le visage trop près de l’embrasure d’une porte et je me fis griller le nez.

Heller était dans le salon supérieur, celui avec les grandes baies noires.

A la seconde où j’entrai, je criai :

— Vous n’aviez pas à aller aussi vite !

Il ne se retourna même pas. Il était à demi allongé dans un fauteuil. Il portait une combinaison isolante bleue, avec capuchon et gants assortis.

Il était nonchalamment installé devant un jeu appelé « Bataille ». En face de lui, il avait un écran de vision indépendant et son adversaire était un ordinateur.

Si vous voulez mon opinion, « Bataille » est un jeu stupide. Il se joue en fait sur un « échiquier » tridimensionnel. Les positions des pièces correspondent à des coordonnées spatiales. Chaque joueur dispose de quatorze pièces dont chacune a ses propres mouvements. Le thème de départ est le conflit entre deux galaxies et l’enjeu est de s’emparer de la galaxie adverse. Déjà, c’est idiot : la technologie n’en est pas au niveau du conflit entre deux galaxies.

Les spatiaux préfèrent jouer entre eux. Quand ils prennent un ordinateur comme adversaire, ils perdent, presque inévitablement.

Je fixai du regard le dos d’Heller. Il était bien trop calme. Si seulement il savait ce que je lui préparais, il ne serait pas aussi détendu.

A présent, quelle que soit la façon dont il sortirait du jeu, toutes les chances étaient contre lui. Il était à plus de vingt années-lumière de son plus proche ami. Il était seul et nous étions nombreux. Je pouvais l’espionner en permanence. Et lui, il continuait à croire qu’il s’agissait d’une vraie mission, bien honnête. Quel imbécile !

Brusquement, il y eut un éclair, et l’« échiquier » s’effaça. J’en ressentis un bref sentiment de satisfaction car Heller semblait avoir été sur le point de gagner.

— C’est la troisième fois qu’il se fait lessiver, dit Heller d’un ton écœuré. Et en moins d’une heure. (Il repoussa le clavier.) A quoi bon commencer une nouvelle partie ?

Il se retourna et me regarda.

— Vous m’accusez d’être allé trop vite, Soltan, mais ça n’a pas de sens. Parce que, sans charge, ce remorqueur accélère sans cesse. C’est la distance à parcourir qui compte, et non la vitesse que vous souhaitez.

Je m’assis sur un sofa de façon à pouvoir pointer un doigt sur lui.

— Vous savez parfaitement que je ne connais rien à ces moteurs. Et vous en profitez ! Je ne le tolérerai pas !

— Oh, désolé. Je suppose qu’ils n’étudient pas ça à fond, à l’Académie.

(Oh, si, mais moi je n’avais pas pu suivre.)

— Ce qu’il faut, poursuivit-il, c’est bien comprendre le temps. Les cultures primitives pensent que c’est l’énergie qui détermine le temps. En fait, c’est exactement le contraire. Le temps détermine l’énergie. Vous comprenez ?

Je lui dis que oui mais il dut voir à ma tête que ce n’était pas le cas.

— Les athlètes, les lutteurs ont l’habitude de contrôler le temps. Dans certains sports et dans le combat à mains nues, un professionnel sait ralentir le temps. Tout semble aller plus lentement. Il peut alors choisir parmi toutes les positions possibles sans avoir à agir trop vite. Tout cela n’a rien de mystique. Le temps est simplement étiré.

Je ne le suivais pas du tout. Il saisit alors son clavier et appuya sur quelques touches.

— D’abord, dit-il, il y a LA VIE. (Le mot apparut en haut de l’écran.) Certaines cultures primitives pensent que la vie est le produit de l’univers, ce qui est stupide. C’est exactement le contraire. L’univers et tout ce qu’il contient ont été engendrés par la vie. Certains primitifs développent un sentiment de haine pour leurs pareils et considèrent que les êtres vivants ne sont que le résultat d’un accident de la matière. Mais de telles cultures ne vont jamais très loin.

Là, il se jetait dans la gueule de mes héros préférés : les psychologues et les psychiatres. Eux, ils peuvent vous le dire avec une autorité absolue : les hommes et les êtres vivants ne sont que des fragments de matière dégénérée et qu’on devrait tuer. Preuve ultime ! Essayez donc de leur soutenir qu’il existe une chose telle que la vie indépendante, et ils vous feront exécuter pour hérésie ! Ce qui prouve qu’ils ont raison. Mais je le laissai continuer. D’ici peu, il aurait ce qu’il méritait.

— Ensuite, reprit-il, il y a LE TEMPS. (Le mot se forma sur l’écran.) L’ESPACE. L’ÉNERGIE. Et enfin LA MATIÈRE. (Les trois mots étaient apparus sur l’écran.) Voilà.

A présent, sur l’écran, les cinq mots formaient une échelle :

VIE

TEMPS