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— Vous en voulez un aperçu ?

Avant que j’aie pu protester, il avait appuyé sur les touches de son clavier et transformé les parois en un immense écran.

Je me retrouvai soudain perché sur un fauteuil qui n’était plus rattaché qu’à un fragment de sol transformé en plate-forme.

J’étais en plein espace.

Je faillis m’évanouir.

J’avais vu des bateaux de course lancés sur la surface d’un lac, laissant d’énormes sillages d’écume et des vagues violentes. Imaginez cela en trois dimensions et de couleur… glauque[2], et vous saurez ce que je voyais en cet instant.

Terrifiant !

Le trop-plein d’énergie jaillissait de part et d’autre du vaisseau en torsades et en tourbillons hallucinants !

Et derrière nous, à plus de deux cents kilomètres de distance peut-être, les particules torturées bouillonnaient encore !

— Mes Dieux ! hurlai-je. C’est donc comme ça que le Remorqueur 2 a sauté !

Heller semblait plongé dans la contemplation admirative des Enfers qui se déchaînaient autour de nous et il lui fallut un moment pour prendre conscience que j’avais parlé.

— Oh, non… Je ne crois pas que ce soit pour ça que le vaisseau a explosé. Ça se pourrait, mais c’est très improbable.

Il pianotait sur le clavier de l’écran indépendant sur lequel il jouait lorsque j’étais arrivé.

— J’évaluais ma capacité de saut et ma vitesse de chute sur Blito-P3. Les données sont en banque, alors je vais me servir de la gravité terrestre pour vous montrer.

Tous les Enfers se déchaînaient en grondant. Le petit écran s’illumina.

— Notre vitesse moyenne est de 819 406 000 kilomètres/seconde. A mi-parcours, notre vitesse maximale, avant que nous décélérions, a été de 1 639 111 000 kilomètres/seconde. Ce qui est très faible en vérité, puisque le trajet est à peine de vingt-deux années-lumière. Dans les voyages intergalactiques, où l’on franchit souvent plus de deux millions d’années-lumière, les vitesses sont bien plus élevées. Je vous l’ai dit : c’est la distance qui détermine la vitesse.

« Entre les galaxies, il y a moins de poussière et moins de photons, et un vaisseau ne produit pas ce sillage électronique comme cela se passe à l’intérieur d’une galaxie, où l’énergie est dense. (Il regarda un instant l’affreux torrent.) Joli, n’est-ce pas ? (Puis il revint à son sujet :) En tout cas, j’ai une théorie : le Remorqueur 2 n’a pas explosé à cause de ces excédents d’énergie. (Il appuya sur différentes touches.) J’étais occupé à convertir la vitesse de chute et de saut Blito-P3. Comme facteur G, nous prendrons donc la gravité terrestre. Et puis, j’ai réglé le vaisseau sur ces données puisque nous allons opérer sur Terre et qu’il faut qu’il soit prêt pour ça.

« Évidemment, il est équipé de synthétiseurs de gravité. Sans cela, nous ne pourrions pas supporter de pareilles vitesses. Notre accélération a été de 12 645 kilomètres/ seconde. C’est ce qui est nécessaire pour atteindre de telles vitesses. L’organisme ne peut tolérer plus de deux ou trois G même pendant une période de temps très courte. Si vous subissez de quatre à six G pendant plus de six secondes, votre poids paraît augmenter et votre activité musculaire se réduit en rapport direct. Vous n’avez plus de vision périphérique et tout devient flou. Puis vous perdez votre vision centrale, et c’est le noir et l’inconscient puisque le sang se retire de votre cerveau pour affluer dans vos membres inférieurs.

« A une telle accélération, les synthétiseurs de gravité sont loin de craquer. Je pense que si le Remorqueur 2 a explosé, c’est parce que ses synthétiseurs sont tombés en panne.

Je refusai de me laisser impressionner.

— Et alors, combien de G peuvent-ils supporter ?

— Pour contrebalancer notre accélération, nos synthétiseurs supportent… (Il désigna l’écran et je lus :)

1 289 401 G

J’essayai de faire redescendre mon cœur qui était coincé dans ma gorge. Ce chiffre signifiait que mon corps, s’il n’y avait pas eu les synthétiseurs, aurait pesé 1 289 401 fois son poids normal ! Et ce, uniquement à cause de l’accélération et de la décélération.

— Donc, reprit Heller, je ne pense pas que le Remorqueur 2 ait explosé. Je crois que ses synthétiseurs ont lâché et que tout l’équipage a été pulvérisé ! Il est peut-être encore quelque part dans l’univers à l’heure qu’il est, transformé en plasma. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il a disparu. C’est pour ça que je ne me suis pas préoccupé de ce problème. J’espère que les armateurs ont fait du bon travail sur les synthétiseurs de gravité. On nous a fait partir tellement vite que je n’ai pas eu vraiment le temps de tester le nouvel équipement.

L’écran crachait des étincelles bleues et s’éteignit. Heller m’adressa un sourire rassurant.

— Ne vous en faites plus avec cette histoire d’explosion. Ce remorqueur ne s’en ira pas comme ça. Oh, non. Pas lui. (Il posa son clavier.) Quant à notre heure d’arrivée originelle, il aurait été facile de la respecter. Mais il faut être en mesure de bien lire les écrans quand on se pose dans une zone que l’on ne connaît pas.

« Le capitaine Stabb est seulement un peu nerveux. Comme pas mal de sous-officiers, il ronchonne toujours et il est trop maniaque. (Il eut un haussement d’épaules.) Tout ce qu’il veut, c’est observer sa zone d’atterrissage à la lumière du jour. Il va donc plafonner à huit cents kilomètres d’altitude et étudier le secteur pendant quelques heures. Quand il sera bien sûr qu’il ne risque aucune rencontre et que la base n’est pas un piège, il descendra. Dès que la nuit viendra.

« Mais c’est bien dommage. J’avais prévu de débarquer avant l’aube, parce que je pensais que vous voudriez être très tôt sur le terrain. Vous avez probablement pas mal de choses à faire à la base.

« Mais la chose a ses avantages. Moi aussi, je vais pouvoir bien observer cette prétendue base. Je vais vous dire… Vous m’avez l’air plutôt secoué. Pourquoi ne dormiriez-vous pas un peu ? Quand nous serons au-dessus du site et qu’il fera jour, disons à midi, revenez ici. Nous déjeunerons ensemble et vous pourrez me montrer les endroits intéressants. Mais à votre place, maintenant, j’irais me reposer un peu. Vous savez, vous n’avez vraiment pas l’air bien.

Je n’eus même pas la force de lui dire d’éteindre cet atroce sillage ardent qui nous entourait toujours.

Je jurai à voix basse.

Et je franchis cette (bip) de porte exactement comme ce (bip) de viseur temporel me l’avait montré : les épaules affaissées, complètement effondré !

5

Midi approchait et je me sentais infiniment mieux. Nous étions sortis de la propulsion temporelle en douceur. A présent, nous étions en auxiliaire et notre vitesse était presque tombée à zéro. J’avais très bien dormi, très longtemps. Soixante-seize heures s’étaient écoulées depuis que j’avais pris ce (bipant) de speed et il avait été évacué de mon système circulatoire.

J’avais regardé quelques comédies sur le visionneur du salon de l’équipage et j’avais même fait une partie de dés avec un des ingénieurs – je lui avais gagné un demi-crédit.

Mais si tout s’était aussi bien passé, c’était grâce à Stabb. Il s’était installé dans le siège réservé au capitaine et, une fois la partie finie, il avait approché sa grande bouche de mon oreille et m’avait murmuré : – Officier Gris, je vous ai observé, et si je sais bien voir, j’ai toutes raisons de penser qu’on va se payer cet (enbipé) d’officier royal, non ?…

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2

« Glauque » est la définition de couleur la plus proche pour notre « jaune-vert », que j’aie pu trouver dans les langues terrestres puisqu’elles n’ont encore aucun vocabulaire pour des phénomènes hyperluminiques. – Le traducteur.