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Mais la défaite de l’Isly (14 août 1844) oblige le sultan du Maroc ‘Abd al-Raḥmān à refuser toute aide de son hôte, et même à le déclarer hors-la-loi. Dès lors, Abd el-Kader doit en revenir à une lutte de partisans, ce qui lui procure des succès, notamment à Sidi-Brahim et dans la région d’Aïn-Temouchent (septembre 1845). Il

opère même en 1846 sa jonction avec les Kabyles. Il n’est repoussé vers le

Maroc qu’avec de grandes difficultés. L’hostilité, cette fois ouverte, de

‘Abd al-Raḥmān va causer la perte de l’émir, rejeté en Algérie et auquel la voie du Sud est coupée par les Fran-

çais. Abd el-Kader doit se rendre à Lamoricière le 23 décembre 1847,

puis au duc d’Aumale le lendemain.

Lamoricière, comme le duc d’Au-

male, avait promis à l’émir, lors de sa reddition, de le conduire en terre d’islām à Alexandrie ou à Saint-Jean-d’Acre. En fait, on l’interne d’abord à Toulon, au fort Lamalgue. La IIe Ré-

publique n’exécute pas la promesse de la royauté, et l’ancien chef arabe est transféré à Pau (avr. 1848), puis, comme il proteste de plus en plus vivement, à Amboise (nov. 1848). Il y reste jusqu’en 1852. Enfin, le 16 octobre, Louis Napoléon lui rend la liberté. Abd el-Kader lui écrit : « Vous m’avez mis en liberté, tenant ainsi, sans m’avoir fait de promesses, les engagements que d’autres avaient pris envers moi et n’avaient pas tenus. [...]

Je n’oublierai jamais la faveur dont j’ai été l’objet. » Abd el-Kader, lui, sera fidèle à son dernier engagement : doté d’une pension de 100 000 francs par an, il part pour la Turquie en décembre, après avoir visité Paris, et se retire à Brousse. Accueilli sans chaleur, il prend prétexte de la dévastation de la ville par un tremblement de terre pour gagner Damas, où vit une importante colonie algérienne.

Il se montre désormais un ami des Français et des chrétiens maronites, contribuant notamment à sauver des milliers de personnes en juillet 1860, lors de l’insurrection des Druzes. On lui donne alors le grand cordon de la Légion d’honneur, et sa pension est portée à 150 000 francs. Certains songent même à lui confier une sorte de vice-royauté de l’Algérie. Pourtant son rôle pendant la guerre de 1870 est controversé. Dans plusieurs lettres aux autorités françaises, il aurait vivement condamné l’un de ses fils qui tentait de reprendre la lutte en Algé-

rie : ces documents sont considérés comme des faux par certains, qui y voient l’oeuvre de l’administration coloniale.

En tout cas, les rapports d’Abd el-Ka-

der avec la France semblent dès lors se refroidir, et ses fils vont achever leurs études non pas à Paris, mais en Prusse et en Angleterre.

S. L.

▶ Algérie.

✐ P. Azan, Récits d’Afrique ; l’Emir Abd el-Kader (Hachette, 1924). / J. Le Gras, Abd el-Kader (Berger-Levrault, 1929). / Ph. d’Estailleur-Chanteraine, Abd el-Kader. L’Europe et l’Islām au XIXe siècle (J.-B. Janin, 1947). / Y. Lacoste, A. Nouschi et A. Prenant, l’Algérie, passé et présent (Éditions sociales, 1960). / Mohamed C. Sahli, Décoloniser l’histoire (Maspéro, 1965).

Abd el-Krim

En ar. MỤHAMMAD IBN ‘ABD AL-KARĪM, chef rifain (Ajdir, près de la base d’Alhucemas, 1882 - Le Caire 1963).

Abd el-Krim appartient à une noble famille qui joua un rôle dirigeant dans la tribu des Ouriaghel et qui passe pour être venue du Hedjaz vers 900. Après des études coraniques à la célèbre université Qarawiyyīn de Fès, le jeune homme seconde son père dans la tâche diplomatique et guerrière qu’il avait entreprise : faire rentrer le Rif dans la mouvance du sultan marocain. En 1908, Abd el-Krim est envoyé en zone espagnole. Il y devient un personnage officiel important en tant que « cadi » (juge), puis « cadi des cadis » de toute la région de Melilla : il va alors favoriser l’implantation des Espagnols dans la zone qui leur a été reconnue en 1912. Ses sentiments nationalistes se développent d’abord aux dépens des Français, au début de la Première Guerre mondiale. Mais, inquiets du développement possible, dans leur secteur, des idées nationalistes, les Espagnols le font arrêter en 1916 et le retiennent onze mois prisonnier. Ils ménagent pourtant l’héritier de l’une des plus grandes familles de leur zone en lui rendant ses fonctions en 1920.

Cependant, le père d’Abd el-Krim a des difficultés avec les Espagnols, qui, par intimidation, voudraient faire de lui leur instrument. La conséquence en est une vive altercation avec le général Silvestre : Abd el-Krim retourne en prison.

Les Espagnols entament les opérations militaires en occupant la ville sainte de

Chechaouen (1920).

En 1921, Abd el-Krim s’évade. Peu après, son père est tué devant le poste espagnol de Tafersit. Abd el-Krim ne tarde pas à faire montre de ses qualités militaires : le 21 juillet 1921, il s’empare des points hauts qui commandent les arrières du général Silvestre, établi avec le gros de ses forces au village d’Anoual, à 20 km au sud-ouest de la base d’Alhucemas. Les tentatives des Espagnols pour « se donner de l’air »

échouent, et, le 26 juillet, l’armée espagnole entame une difficile retraite, qui entraîne l’abandon de presque toute la zone nord du Maroc : plus de 100 postes espagnols sont occupés par les Rifains, qui font 700 prisonniers et s’emparent de 200 canons et de 20 000 fusils.

« L’Espagne, dira Abd el-Krim, nous fournissait du jour au lendemain tout ce qui nous manquait pour équiper une armée et organiser une guerre de grande envergure ! » Peu après, le Rif se rallie presque entièrement à Abd el-Krim, qui s’efforce de trouver des appuis extérieurs : il lui faut, en effet, faire face à une contre-offensive de la part des Espagnols, qui envoient sans cesse des renforts sur le littoral et qui reprennent en partie le territoire perdu.

Le frère d’Abd el-Krim va à Paris en 1923, rencontre divers hommes politiques et reçoit un certain appui du parti communiste, qui organise en 1924

d’importantes manifestations pour sou-downloadModeText.vue.download 22 sur 543

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 1

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tenir la cause rifaine. La IIIe Internationale lui apporte également sa caution, conformément aux thèses adoptées en 1921 sur le soutien aux mouvements libérateurs des colonies. En raison de son prestige, Abd el-Krim est amené à prendre ses distances à l’égard du sultan du Maroc, qu’il considère comme prisonnier des Français, et à faire état de la création d’une « république du Rif ». Mais en cherchant à consolider son influence vers le sud, il va entrer en conflit avec la France.

En 1924, une légère avance des Fran-

çais chez les Beni Zeroual, depuis peu

leurs alliés, est considérée par Abd el-Krim comme un casus belli. Le 16 avril 1925, le fortin français de Beni-Derkoul est attaqué ; divers postes sont enlevés par les Rifains, qui en viennent à menacer les communications entre l’Algérie et le Maroc.

Paris charge alors Pétain de la lutte et lui donne des moyens considérables (une centaine de bataillons). Préparée par une intense « action psychologique »

parmi les tribus rifaines, une puissante campagne militaire est engagée en mai 1926, en collaboration avec les Espagnols. L’affaire est terminée en moins d’un mois, et Abd el-Krim doit se résigner à demander l’aman, le 27 mai, au général Ibos, à Tizenmourène, près de Targuist. Exilé à la Réunion, où il vivra entouré d’une trentaine de personnes, il témoignera pourtant sans cesse de son amitié pour la France. En 1947, il obtient de se retirer sur la Côte d’Azur, mais il profite d’une escale à Port-Saïd pour se retrouver en terre d’islām : il est accueilli avec les plus grands honneurs par le roi Farouk. Considéré comme le plus illustre représentant du nationalisme maghrébin, il fera preuve d’une certaine intransigeance, refusera de rentrer au Maroc « avant que le dernier militaire étranger ait quitté le sol maghrébin » et condamnera même les accords d’Évian. Il apparaît pour beaucoup comme un grand précurseur du mouvement de décolonisation.