Avec sa Vie des abeilles (1901), Maurice Maeterlinck* révèle à un vaste public une vision fidèle des activités de la ruche, bien que son élan poétique l’entraîne à quelques exagérations.
En 1922, Karl von Frisch (né à Vienne en 1886) fait connaître le résultat de ses premiers travaux sur les « danses » des ouvrières, dans lesquelles il devait découvrir un langage précis.
Morphologie et
anatomie de l’ouvrière
Long de 15 mm, le corps de l’ouvrière se divise en trois parties.
La tête porte deux antennes coudées, couvertes de milliers de poils tactiles et de fossettes olfactives ; ces antennes sont aussi des organes sensibles à l’humidité, à la température, au gaz carbonique et, semble-t-il, à certaines vibrations. Les yeux, bien développés, sont composés chacun de 4 000 facettes, ou ommatidies, contenant chacune huit cellules visuelles. Ils permettent une vision colorée différente de la nôtre : ils ne sont pas sensibles au rouge, mais réagissent à l’ultraviolet. Sur le dessus de la tête, on remarque trois ocelles. Les pièces buccales sont lécheuses et suceuses. La pièce essentielle est le labium, dont la longue langue velue peut plonger dans les fleurs ; autour d’elle, les deux palpes labiaux et les deux maxilles forment une
sorte de conduit par lequel le nectar est aspiré ; les mandibules, courtes, servent à façonner la cire.
Sur le thorax s’insèrent deux paires d’ailes membraneuses inégales et trois paires de pattes. Les ailes d’un même côté sont maintenues solidaires grâce à une rangée de petits crochets dont est muni le bord avant de l’aile postérieure.
Les pattes se terminent par deux griffes et une ventouse ; grâce à leurs mouvements coordonnés, elles rassemblent le pollen dont le corps s’est couvert au contact des étamines et en façonnent des boulettes ; les pattes postérieures, les mieux adaptées à ce travail, transportent ensuite ces boulettes coincées dans les corbeilles de leur tibia. Ajoutons que la pince située entre le tibia et le tarse sert à prélever les lamelles de cire, et que la patte antérieure porte un peigne utilisé pour le nettoyage des antennes.
L’abdomen est formé de sept seg-
ments visibles, mais le premier paraît faire partie du thorax et précède le pédicule, qui sépare les deux régions.
Les sternites des segments 3 à 6 portent chacun une paire de glandes cirières. À
l’arrière, sous l’anus, pointe l’aiguillon venimeux, relié à un réservoir où une glande déverse des substances toxiques et inflammatoires ; près de sa pointe, l’aiguillon est muni de barbes qui font penser à celles d’un harpon ; il n’est pas rare de voir une ouvrière abandonner aiguillon et appareil venimeux dans la plaie et mourir de cette mutilation.
L’organisation interne n’est pas fondamentalement différente de celle des insectes en général. Il faut signaler cependant : le grand développement du cerveau, en relation avec les facultés psychiques élevées de l’Abeille ; la conformation du tube digestif, où le jabot est séparé de l’intestin par des valvules, si bien que le nectar accumulé peut être régurgité lors de l’élaboration du miel et que l’individu n’en prélève qu’une faible partie pour son propre compte ; l’atrophie presque totale de l’appareil génital ; l’abondance et la variété des organes sécréteurs.
La reine et
le faux bourdon
La reine se distingue extérieurement de l’ouvrière par sa longueur (20 mm) et son abdomen plus développé ; elle ne quitte jamais la ruche, sauf pour le vol nuptial et pour l’essaimage. Son appareil génital est bien développé ; cependant, certaines de ses pièces sont modifiées en un appareil venimeux.
Le mâle doit au fait qu’il est très velu son nom usuel de faux bourdon ; ses yeux, volumineux, se rejoignent presque sur le dessus de la tête ; par contre, sa langue est réduite ; il ne pos-downloadModeText.vue.download 26 sur 543
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 1
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sède pas d’appareil venimeux. Les faux bourdons résultent du développement d’oeufs parthénogénétiques qui ne possèdent que n = 16 chromosomes.
Les activités
des ouvrières
Pendant la belle saison, la durée de vie des ouvrières ne dépasse guère six semaines ; mais celles qui apparaissent à la fin de l’été survivent dans la ruche jusqu’au printemps suivant.
Une ouvrière est capable d’assu-
rer toutes les activités dans la société, sauf, bien entendu, la reproduction. Le service auquel elle est affectée dépend d’abord de son âge et, accessoirement, des besoins éventuels de la ruche ; il peut être modifié pour répondre à une situation imprévue.
Dans les jours qui suivent l’éclosion, l’Abeille circule sur les rayons et contribue à leur nettoyage. À l’âge de trois jours, elle commence à assurer l’alimentation des larves : elle apporte aux plus âgées d’entre elles un mélange de miel et de pollen ; puis ses glandes mandibulaires et pharyngiennes entrent en fonctionnement et produisent de la gelée royale, qu’elle distribue aux larves jeunes. Quelques ouvrières entourent la reine, par roulement, l’accompagnent lors de la ponte, la lèchent, la nourrissent de gelée royale. D’autres
fournissent les mâles de miel.
À l’âge de dix jours, les glandes ci-rières deviennent fonctionnelles ; une nouvelle période commence, consacrée, au moins en partie, à la construction des rayons et des alvéoles. Cette activité n’empêche pas d’autres fonctions : tassement dans les cellules du pollen apporté par les butineuses, participation à la formation du miel, ventilation de la ruche, surveillance à l’entrée. C’est alors qu’ont lieu les premières sorties, sur la planche de vol et à quelques mètres de la ruche ; ces vols d’orientation permettent à l’ouvrière de repérer l’aspect extérieur de la ruche, sa localisation dans son environnement ; ainsi se trouvera facilité le retour au nid après les vols de grande amplitude qui caractérisent la dernière — et la plus longue
— période de la vie.
L’ouvrière devient alors pourvoyeuse de nourriture, qu’elle extrait des fleurs.
Le nectar est aspiré par la trompe et ramené à la ruche dans le jabot ; régurgité plusieurs fois, transmis d’ouvrière en ouvrière, qui le concentrent et, par des enzymes, modifient sa composition, il est déposé à l’état sirupeux dans des alvéoles, où une dernière évaporation le transforme en miel ; cacheté par un opercule de cire, il représente des ré-
serves pour l’hiver. D’autres ouvrières recherchent le pollen ; une butineuse ne visite qu’une seule espèce de fleur à chaque voyage ; nous avons vu le rôle des pattes dans la récolte et le transport ; dans la ruche, le pollen est tassé tel quel, sans transformations, dans les cellules et, additionné de miel, sera utilisé pour nourrir les larves.
Pendant une journée d’été, une ruche augmente son poids de plusieurs centaines de grammes ; une ouvrière doit visiter plusieurs dizaines de fleurs pour remplir son jabot, qui ne peut contenir plus de 50 mg de nectar. Cette intense activité des pourvoyeuses nous amène à poser deux questions : comment les ouvrières s’informent-elles mutuellement des sources de nourriture qu’elles découvrent et comment une abeille parvient-elle à revenir à sa ruche après un vol pouvant atteindre plusieurs kilomètres ? Nous verrons plus loin les
modalités du langage de l’abeille ; dès maintenant on peut décrire comment se réalise l’orientation des ouvrières.
Cette faculté met en jeu des facteurs visuels et des facteurs olfactifs. Quand l’ouvrière quitte la ruche, elle enregistre l’angle que fait le soleil avec la direction qu’elle prend : certaines ommatidies reçoivent de plein fouet les rayons solaires. Pour le retour, l’insecte sera guidé vers la ruche si les rayons lumineux frappent les ommatidies dirigées à l’opposé des premières. Lorsque le soleil est caché, l’Abeille utilise comme repère le plan de polarisation de la lu-mière diffractée par le ciel bleu ; l’oeil de l’Abeille peut en effet distinguer la lumière polarisée ; par temps légèrement couvert, la position du soleil peut encore être repérée à travers les nuages.