Afin de l’éloigner de la Cour, ses parents le confient d’abord, avec son frère Henri (1862-1929), au gymnase de Kassel ; Frédéric-Guillaume y reste plus de deux ans, fréquentant ainsi à l’école les fils de la bourgeoisie. Il est surveillé par le Dr. Georg Hinzpeter (1827-1907), calviniste austère, grand admirateur des Hohenzollern, homme préoccupé par la question sociale et qui lui fait visiter des usines. Après ses examens, en 1877, il reçoit une courte formation militaire avant d’entrer à
l’université de Bonn. Il y mène la vie de tous les étudiants. Il entre dans la
« Borussia », vieux corps aristocratique d’étudiants ; sa mentalité ne change pas. À la fin de ses études universitaires, en 1879, il est plus militariste que jamais.
Deux ans plus tard, il épouse la princesse Augusta-Victoria, fille du duc Frédéric d’Augustenburg, à qui Bismarck a enlevé les duchés danois. Peu intelligente, mais forte de beaucoup d’amour pour son mari et d’un solide bon sens, celle-ci sait tenir sa place à Potsdam, où s’installent les jeunes époux.
Frédéric-Guillaume exerce alors des commandements militaires. Il subit à cette époque l’influence du général Alfred von Waldersee, un ambitieux rê-
vant de devenir chancelier, et celle du pasteur Adolf Stoecker (1835-1909), apôtre du christianisme social.
L’impatience de régner du jeune
prince se trouve comblée par le mal incurable qui frappe son père. Atteint d’un cancer à la gorge, Frédéric III ne règne que trois mois environ, de mars à juin 1888. Guillaume II devient donc empereur à l’âge de vingt-neuf ans.
L’avènement,
le caractère
Le nouvel empereur ne manque pas de prestance, surtout en uniforme, tenue qu’il affectionne et qui est parfaitement conforme à l’image qu’il entend donner à son peuple : celle d’un maître énergique, sûr de lui et imbu de son droit. Le kaiser ne manque pas de qualités : servi par une excellente mémoire, doué d’une grande faculté de compréhension, il s’intéresse à son
« métier de roi », qu’il exerce avec application. Orateur, il sait trouver le langage direct propre à enthousiasmer les foules, comme les formules exaltant un orgueil allemand, parfois outrancier, mais parfait reflet des sentiments de ses sujets. Il se veut dépourvu de préjugés ; ennemi de l’étiquette, il entend ouvrir la Cour aussi bien aux représentants de la vieille noblesse qu’aux banquiers, aux industriels, aux armateurs, qu’ils soient protestants, catholiques ou juifs.
Mais l’empereur est affligé de graves défauts. Impulsif, enclin à la précipitation, vaniteux, orgueilleux, présomptueux, il multiplie les maladresses : paroles excessives, fanfaronnade inutiles. Il supporte mal les critiques.
Versatile, indécis derrière des attitudes théâtrales d’homme résolu, sujet aux sautes d’humeur, affecté par de véritables dépressions, il inquiète son entourage, qui s’interroge parfois sur son équilibre. Influençable, il subit à Potsdam, au Nouveau Palais, son inconfortable résidence habituelle, ou sur son yacht, véritable « théâtre flottant », les pressions de son entourage, et d’abord celles des membres de son cabinet : Friedrich Karl von Lucanus (1831-1908), le prudent chef du cabinet civil ; Wilhelm von Hahnke (1833-1912),
parfait militaire prussien, chef du cabinet militaire. Au centre des intrigues, le maréchal de la Cour, August, comte d’Eulenburg (1838-1921), tente de se maintenir « sur un parquet glissant ».
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 10
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prince d’Eulenburg (1847-1921), est, quant à lui, jusqu’au scandale de 1907, un homme très écouté ; plusieurs chanceliers et secrétaires d’État lui doivent leur nomination.
Guillaume II, bouc émissaire commode après la défaite, est fréquemment chargé, par ses contemporains, comme par une partie de l’historiographie allemande, de la responsabilité de l’écrasement du Reich. Ces accusations sont-elles fondées ?
Certes, d’après la Constitution de 1871, Guillaume II commande les
armées, accrédite les ambassadeurs à l’étranger, promulgue les lois fédérales et, avec l’accord du Bundesrat, peut déclarer la guerre, dissoudre le Reichstag. Le chancelier et donc les secré-
taires d’État ne sont responsables que devant lui. Guillaume II reste roi du plus grand État de l’Empire : la Prusse.
Très imbu de son droit, se considé-
rant comme empereur de droit divin, il
se trouve donc à la tête d’un régime qui lui laisse d’importants pouvoirs. A-t-il su les utiliser ?
Dans le choix du chancelier, qui assiste le souverain, il se montre soucieux d’écarter les personnalités marquantes : il entend, avant tout, choisir des hommes dociles, issus de l’armée, de l’Administration et non du Reichstag. Dès 1890, il se débarrasse de Bismarck* et le remplace par un général, Georg Leo comte von Caprivi (1831-1899), ancien chef de l’amirauté, qui a surtout pour mérite de connaître le milieu parlementaire. Quatre ans plus tard, il choisit un vieillard, le prince Chlodwig de Hohenlohe-Schillings-fürst (1819-1901), catholique, doté d’une grande expérience administrative et diplomatique. En 1900, il le remplace par Bernhard von Bülow (1849-1929), diplomate brillant, cultivé, mais arrogant, vaniteux, souple et manoeuvrier. Croyant avoir trouvé en lui « son Bismarck », il déchante et, en 1909, nomme un fonctionnaire prussien fi-dèle, pondéré, mais hésitant, Theobald von Bethmann-Hollweg (1856-1921).
Ainsi, Guillaume II n’a pas su choisir les hommes capables de résoudre les grands problèmes intérieurs, pour lesquels lui-même ne manifeste pas grand intérêt. Le système électoral de la Prusse n’est pas modifié ; l’empereur n’accepte le régime parlementaire qu’à la fin de la guerre, sous la pression des événements. La question budgétaire ne trouve pas de solution ; les dettes de l’Empire et de la Prusse augmentent rapidement, notamment en raison des dé-
penses militaires et navales, sans que le souverain sache imposer à la droite une réforme fiscale seule capable de remplir la caisse impériale. Tout en affirmant sa volonté de ne pas être le « roi des gueux », Guillaume II se contente de compléter la législation sociale bis-marckienne, sans, pour autant, réussir à endiguer la montée de la social-dé-
mocratie, qui devient le plus important parti à la veille de la guerre (110 sièges au Reichstag), parce que le régime se montre incapable de résoudre la question sociale. Irrité par la propagande socialiste, l’opposition à la Weltpolitik, il se détourne du prolétariat pour soutenir l’armée, l’Administration, la
noblesse, la bourgeoisie d’affaires, remparts solides contre la marée des
« rouges ». Figé dans un conservatisme étroit, il porte donc une part de responsabilité dans le malaise politique et social qui affecte l’Allemagne à la veille de la guerre.
La politique extérieure
Mais on veut surtout voir en lui l’un des responsables de cette Première Guerre* mondiale, résultat d’une politique extérieure ambitieuse. Ce jugement mérite d’être nuancé.
Il faut d’abord remarquer que, bien qu’attiré par les problèmes de politique extérieure, le kaiser se rallie très souvent à l’opinion de la Wilhelmstrasse, où il laisse « régner » un Friedrich von Holstein (1837-1909), par exemple, jusqu’en 1906. À partir des années 1890, le rôle d’Holstein ne cesse de grandir. Travailleur consciencieux, intègre, solitaire, ce dernier refuse de devenir secrétaire d’État, et pourtant il inspire toute la politique de la Wilhelmstrasse. Parfaitement informé par la correspondance privée, que ne manquent pas de lui adresser les diplomates en plus des dépêches officielles, il se maintient à la direction des affaires politiques de la Wilhelmstrasse bien que ses idées maîtresses — rapprochement avec la Grande-Bretagne, hostilité envers la Russie — soient en opposition complète avec celles du kaiser. Étrange situation, surtout lorsqu’on sait que Guillaume II connaît à peine cette éminence grise.