À partir de 1835, pour la pre-
mière fois dans l’Ouest, des Dyoulas prennent les armes pour imposer leur loi aux Malinkés, animistes, parfois pour leur imposer l’islām et toujours pour supprimer les péages sur les colporteurs. Le premier de ces conqué-
rants est Morioulé Sissé (ou Mori-Oulé Sisé) de Médina, près de Kankan, et, à partir de 1861, le rôle essentiel sera tenu par l’un de ses anciens soldats, Samory (ou Samori) Touré (v. 1830-1900), originaire du Konyan. Quoique musulman, celui-ci va prendre au départ la défense des animistes, ses
« oncles maternels ». Avec un remarquable génie militaire et une grande habileté politique, il conquiert à partir de 1870 un vaste empire le long des routes commerciales qui s’orientent vers le nord depuis le Moyen Âge et vers la mer depuis le XVIe s. Après la prise de Kankan en 1881, il reste seul en scène, tenant toute la haute Guinée et de vastes régions de la forêt de la Sierra Leone, du Liberia, de la Côte-d’Ivoire et du Mali moderne. C’est alors qu’il songe un moment à en faire un État musulman et à imposer l’islām à ses sujets, mais les troubles qui en résulteront lui feront abandonner cette tentative dès 1888. Ce nouvel Empire mandingue apparaît ainsi au moment précis où les Français se lancent dans la conquête impérialiste de l’Ouest africain (occupation de Bamako, févr.
1883). Samory essaie de s’entendre avec eux (traité de Bissandougou, mars 1887), mais il échoue devant le royaume de Sikasso (Mali), déjà sou-
tenu par les colonisateurs, qui poussent les sujets du conquérant à la révolte.
Samory comprend alors qu’il faut se soumettre ou disparaître, et il se décide pour une lutte qu’il sait sans espoir, mais qu’il prépare soigneusement. L’agression d’Archinard ouvre le combat final en avril 1891 : Samory est chassé de haute Guinée et se retire en Côte-d’Ivoire, où il sera arrêté en septembre 1898. Déporté au Gabon, il y mourra en 1900.
La haute Guinée, d’abord rattachée au Soudan français, colonie militaire, est transférée à la Guinée à compter du 1er janvier 1900. Les peuples anarchiques de la forêt, surtout les Tomas, résisteront encore farouchement aux colonisateurs jusqu’en 1912, parfois soutenus par des agents du Liberia, qui souhaitait annexer la région.
y Les Peuls. L’histoire des Peuls, qui n’est pas moins complexe, inté-
resse l’ensemble de l’Ouest africain, où ce peuple d’éleveurs, d’origine incertaine, a trouvé sa langue. Leur spécialisation économique amenait leur dispersion en petits groupes au sein des paysans noirs, avec lesquels leurs relations n’étaient pas toujours bonnes. Leur passage massif à l’islām a marqué le moment où ils ont refusé de jouer plus longtemps ce jeu, et ils se sont alors révélés de grands conquérants et de remarquables créateurs d’États. Quand ils rencontraient un milieu écologique favorable à l’élevage, ils s’y concentraient cependant, finissant par former la majorité de la population. Tel est le cas du Fouta-Djalon, dont les hauts plateaux salubres ont attiré le bétail des Peuls dès le XVe s. Vers 1500, ceux-ci participent à la formation de l’empire dé-
nyanké de Tenguéla, dont le centre est sur le Sénégal. Quand cet empire se disloque vers 1660, ils sont de plus en plus nombreux, et ceux qui viennent du Macina, déjà musulmans, conver-tissent les autres. Ils supportent mal l’autorité des autochtones dyalonkés.
En 1727 commence la guerre sainte, dirigée par un mystique, Karamokho Alfa. Dès le milieu du siècle, les Peuls restent les maîtres, organisant une
société musulmane pseudo-féodale, entièrement hiérarchisée, où les vaincus, écrasés et assimilés, sont mêlés à des esclaves achetés au-dehors pour former la masse des cultivateurs dans les rounde, au fond des vallées. Ils demeurent dans les foulasso, sur les plateaux, et le pays est divisé en missidi, ou paroisses, et diwe (sing. diwal), ou provinces. À la suite de féroces guerres civiles, la famille de Karamokho Alfa se divise en deux branches : les Alfaya et les Soriya, qui fournissent toutes deux un almami, alternant au pouvoir tous les deux ans. Cette société est dure, mais elle marque du moins un grand progrès sur le plan culturel.
Les sciences coraniques, fondées sur l’arabe et l’écriture en langue poular, sont alors largement diffusées.
Au XIXe s., les almamis répriment, non sans peine, la violente révolution sociale des Houbbous, et c’est une société divisée, affaiblie par de nombreux mécontents, qui affronte la colonisation à la fin du siècle. Malgré la mort héroïque de l’almami Bokar Biro, elle s’effondre presque sans combat en 1896. Alfa Yaya, qui commande le Labé, dans le nord du pays, essaye alors de collaborer avec les Français, mais il est déposé et déporté un peu plus tard (1911).
La colonisation
Fréquentée par les Portugais dès le XVe s., cette côte ne devient notable pour la traite des Noirs qu’au XVIIIe s., sans jamais atteindre à l’importance des pays du golfe de Guinée.
En 1787, les Britanniques installent une colonie de Noirs libérés à Freetown, et l’influence de la Sierra Leone va s’étendre à toute la région. Après 1815, alors que la croisière britannique donne la chasse aux négriers, le caractère difficile des « Rivières » en fait l’un des sites préférés de la traite clandestine. Celle-ci s’éteint seulement en 1861, avec la guerre de Sécession.
Beaucoup de familles métisses apparaissent alors en pays soussou, où elles jouent un rôle politique considérable, bien que le christianisme les distingue des musulmans venus du haut Niger.
Depuis la fin de la traite, le commerce européen est en quête de produits légitimes, et le riz de basse Guinée approvisionne la Sierra Leone, qui la domine économiquement. Vers le milieu du siècle apparaît le commerce du Sénégal, qui favorise la culture de l’arachide. Les postes français de Boké, de Boffa et de Benty sont installés en 1866-67.
À la fin du siècle, pendant la poussée impérialiste, la France s’impose.
En 1882, les Rivières du Sud reçoivent leur autonomie dans le cadre du Séné-
gal, et, en 1893, est constituée la colonie de la Guinée française. Avec Eu-gène Ballay (1847-1902), son premier gouverneur, la capitale, Konakry (l’or-thographe Conakry n’apparaît qu’en 1900), s’urbanise et devient un port important, affranchi des servitudes de Freetown. La Guinée est englobée dans le gouvernement général de l’A.-O. F.
en 1895 et trouve son assiette territoriale définitive en 1900, par l’annexion du haut Niger, pris au Soudan français, et en 1904, quand l’archipel de Los est cédé par l’Angleterre à la France.
Après un départ prometteur au début du XXe s., fondé sur la prospérité éphé-
mère du caoutchouc de cueillette, la Guinée coloniale ne connaît qu’un développement assez lent jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. L’équipement du port de Conakry est mé-
diocre, et le chemin de fer du Niger, qui atteint Kankan dès 1913, est d’un faible rendement en raison de son parcours montagneux. Les plantations de downloadModeText.vue.download 22 sur 581
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 10
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bananiers et d’ananas se développent cependant en basse Guinée, ainsi que les caféiers dans la zone forestière, dont l’éloignement restreindra cependant l’importance. La vie politique est pratiquement inexistante, et la diffé-
renciation sociale est faible, bien que le chemin de fer et le port créent un noyau de prolétariat. La hiérarchie traditionnelle du Fouta-Djalon reste forte, soutenue par l’autorité française, qui s’en sert comme instrument de domi-
nation. Les Peuls montrent pourtant de remarquables aptitudes intellectuelles dans le cadre du système scolaire colonial, ce qui leur permet d’occuper des positions importantes dans la fonction politique. Favorisés par le voisinage de Conakry, les Soussous leur font, dans une certaine mesure, concurrence, ce qui renforce un vieil antagonisme ethnique, tandis que les Malinkés réussissent surtout comme auxiliaires du commerce européen.