Afin de savoir comment joue exac-
tement le processus intégratif de la société globale par rapport aux processus intégratifs de chaque partie de la société, il convient cependant de quitter le niveau théorique et de cerner dans des situations concrètes les niveaux d’antagonismes et leur géné-
ralité, car il se pourrait que l’opposition entre certaines classes ne nuise pas radicalement au système instauré si une grande partie de la population en marge du prolétariat par exemple ou de la bourgeoisie et constituant ce qu’on a pu appeler les classes moyennes, en évoquant davantage une catégorie qu’une classe, est pratiquement unanime à respecter et à vivre les valeurs de la société globale. En bref, un haut niveau d’intégration globale n’est impossible que si des allégeances de classe s’expriment dans une forte proportion de la population.
Au vrai, du plus petit groupe jusqu’à la société globale, l’intégration demeure problématique et précaire. De plus, si, analytiquement chaque niveau peut être traité séparément, en pratique l’intégration d’un même groupe intéresse plusieurs niveaux. Ainsi, une communauté rurale ou urbaine a ses propres problèmes d’intégration, lesquels constituent des éléments de l’intégration de la société globale. Il convient donc d’analyser dans chaque cas précis : le degré d’intégration interne d’un sous-groupe, son degré d’interconnexion avec les autres sous-groupes, son degré d’intégration dans la société ou le contexte culturel global.
Il ressort de ces réflexions sur les niveaux d’intégration que les principaux indices d’une faible intégration sont le degré d’autonomie des éléments d’un système, le développement des conflits entre ces éléments, et un bas niveau d’institutionnalisation. La déviance, entendue comme transgression des
normes de pensée ou de comportement d’un groupe, peut apparaître aussi bien comme résultat d’une intégration non réussie par suite de frustrations dans l’enfance ou l’âge adulte, comme combinaison d’aspirations élevées et de chances relativement limitées, comme conformité à la norme idéale adoptée par une société mais dont la norme sociale et vécue s’éloigne, que comme le signe de la réadaptation nécessaire des normes d’un groupe lorsque les institutions de celui-ci ne répondent plus aux besoins de ses membres. De la sorte, ce qui est observé comme dysfonction-nel ou comme une déviance récurrente peut introduire une phase de réajustement dans un processus de réintégration socioculturelle.
On admet habituellement que l’inté-
gration — soit culturelle, soit sociale
— n’est ni totalement absente ni totalement parfaite, aussi bien par rapport à l’institutionnalisation du système que par rapport à son intériorisation dans la personnalité. Contre la possibilité d’une parfaite intégration, on fait valoir le mouvement incessant des changements sociaux dus à l’invention, à la diffusion de traits culturels, à l’altération par l’environnement. Le problème capital est donc de savoir dans quelle mesure une société et une culture sont intégrées. Bien qu’un optimum d’inté-
gration soit recherché par toute société, un degré trop élevé d’intégration pré-
senterait éventuellement quelques inconvénients en ce qu’il pourrait nuire à des valeurs aussi importantes que la créativité, la nouveauté, le pluralisme culturel, qu’il pourrait être obtenu aux dépens de la personnalité individuelle et qu’il pourrait provoquer des risques de rupture violente du système.
Bien que la notion d’intégration soit jugée fondamentale pour l’étude des sociétés et que commencent à abonder les études spécialisées sur l’intégra-
tion des ethnies, l’intégration urbaine, l’intégration culturelle dans le tiers monde, l’intégration raciale, l’inté-
gration économique, les milieux inté-
gratifs (famille, école, groupe d’âge, entreprise, syndicat, nation), il faut reconnaître que, pour l’instant, la sociologie n’a pas dépassé le stade des hypothèses quant aux causes et aux effets de l’intégration. Les moyens de l’intégration demeurent mal étudiés ; ses formes, mal définies. Aucune loi précise, aucun matériau statistique ne permet d’en mesurer rigoureusement les limites dans des cas déterminés, et si l’accord entre théoriciens autorisait à en exprimer clairement les critères, il resterait encore à rendre utile le concept.
C. R.
F Anthropologie / Autorité / Culture / Éducation.
H. Spencer, First Principles (Londres, 1862).
/ E. Durkheim, De la division du travail social (Alcan, 1893). / B. Malinowski, A Scientific Theory of Culture (Chapel Hill, 1944 ; trad. fr.
Une théorie scientifique de la culture, Maspéro, 1968). / J. G. March et H. A. Simon, Organizations (New York, 1958 ; trad. fr. les Organisations, problèmes psycho-sociologiques, Dunod, 1964). / G. A. Almond et J. S. Coleman (sous la dir. de), The Politics of the Developing Areas (Princeton, 1960). / A. Etzioni, A Comparative Analysis of Complex Organizations (New York, 1961). / T. Parsons, E. Shils et coll., Theories of Society (Englewood Cliffs, New Jersey, 1961). /
M. Duverger, Introduction à la politique (Gallimard, 1964). / N. S. Demerath et R. A. Peterson, System, Change and Conflict (New York, 1967).
intellectuels
Groupe social constitué par tous ceux qui, dans une société donnée, ont des occupations ressortissant aux choses de l’esprit ou par ceux qui prétendent en avoir le souci.
SOCIOLOGIE DES
INTELLECTUELS
Le mot intellectuel n’a longtemps été, en français, qu’un adjectif : il n’a ac-cédé au rang de substantif qu’à la fin du XIXe s., alors qu’en anglais il revêt cette forme et acquiert son sens actuel
dès le XVIIe s. C’est dans le contexte de l’Affaire Dreyfus* qu’il a été employé, semble-t-il, une des premières fois : il désignait alors les personnalités qui avaient pris parti en faveur de Dreyfus et symbolisait une sorte d’attitude rationnelle, amenant à la conviction que le capitaine Dreyfus était innocent, face aux impulsions irrationnelles ou aux comportements autoritaires. Depuis cette époque, il a conservé une connotation affective, liée à ces origines polémiques. Toutefois, il est employé de manière habituelle pour désigner des individus ou des groupes ayant des activités parfois difficiles à décrire, mais dont la première caractéristique est de n’être pas manuelles. Tous les non-manuels ne se sentent pas intellectuels ou ne sont pas considérés comme tels par les autres. En effet, le terme implique une relation particulière avec ce qu’on peut appeler, grosso modo, les choses de l’esprit. Autrement dit, être intellectuel, selon l’acception courante, suppose que non seulement les occupations mais encore les préoccupations de l’individu soient essentiellement de l’ordre de la réflexion. Par-delà des activités professionnelles plus ou moins déterminées, ce sont des fonctions culturelles qui distinguent les intellectuels des autres groupes sociaux.
Une définition de ce type rend extrê-
mement difficile le dénombrement des intellectuels. S’il est possible de savoir combien il y a, dans une société donnée, de professeurs, de savants, d’écrivains, etc., il est beaucoup moins aisé d’apprécier la pertinence de l’énumération. Il faudrait d’ailleurs, à cet égard, tenir compte de l’histoire des sociétés et distinguer les sociétés dites « développées » de celles qui sont en voie de développement. L’intelligentsia n’a ni la même ampleur ni le même rôle dans la Russie tsariste et dans l’Union soviétique d’aujourd’hui. De même, la situation d’un intellectuel et la notion même d’intellectuel diffèrent sensiblement d’un pays à l’autre. En outre, dans les sociétés développées, la mutation scientifique et technique entraîne la récession relative des intellectuels qu’on pourrait dire « libéraux », au bé-