Pour Chomsky, elle est une branche de la psychologie de la connaissance, puisque l’étude de la langue doit fournir des renseignements sur les facultés mentales de l’homme. Ainsi, l’aspect social de la langue, si important chez F. de Saussure, n’apparaît pas du tout chez N. Chomsky dans sa définition de la compétence, alors que, chez ce dernier, les préoccupations concernant l’existence d’une possible grammaire générale tenant compte des universaux du langage, fondée sur des hypothèses psychologiques, sont constantes.
2. Pour F. de Saussure, la phrase appartient à la parole, alors que, pour N. Chomsky, elle fait partie de la compétence. Elle relève du domaine de la syntaxe, qui est la partie centrale de la grammaire. Il faut, toutefois, noter que ce n’est pas sans hésitation que F. de Saussure range la phrase dans la parole. Il écrit : « La phrase est le type par excellence du syntagme. Mais elle appartient à la parole, non à la langue ; ne s’ensuit-il pas que le syntagme re-lève de la parole ? Nous ne le pensons pas. Le propre de la parole, c’est la liberté des combinaisons : il faut donc se demander si tous les syntagmes sont également libres. »
3. L’étude de la compétence n’est pas le seul objet de la linguistique. Cela est une conséquence de la place que la linguistique occupe dans la psychologie.
En effet, l’étude de la seule compé-
tence ne sera pas suffisante pour nous renseigner sur les facultés psychiques de l’homme. Cependant, elle est l’objet premier de la linguistique, ayant à rendre compte du fait qu’un individu adulte parlant une langue donnée est
toujours capable de produire et de comprendre un nombre indéfini de phrases dont la plupart sont nouvelles. La question importante à laquelle la linguistique devra répondre sera de montrer quelle est la nature de cette faculté, qui est précisément la compétence. La grammaire, qui a pour tâche de repré-
senter la compétence des sujets parlants, tire certaines de ses particularités de l’analyse théorique de la compé-
tence. En particulier, elle doit pouvoir rendre compte du fait que les phrases d’une langue sont en nombre infini.
La possibilité de créativité est illimitée, non seulement parce que presque toutes les combinaisons de presque tous les morphèmes sont possibles, mais aussi et surtout parce qu’il est impossible de fixer une limite supérieure à la longueur d’une phrase. En effet, toute phrase peut toujours être allongée par l’adjonction de certains éléments, et le résultat, s’il n’est pas toujours très élégant, n’en reste pas moins une phrase française : Le canard marche vers la rivière. Le canard boiteux marche lentement vers la rivière pleine de vase. Chaque matin, le canard boiteux du vieux fermier marche lentement mais noblement vers la rivière pleine de vase qui coule à travers les champs de la région où j’ai passé mes vacances l’année où j’ai eu un accident de voiture qui m’a retenu à l’hôpital pendant que ma voiture était chez le garagiste...
Rien n’empêche d’allonger encore
cette phrase en plusieurs points.
On remarque ainsi que, dans chaque langue, il existe un certain nombre de constructions qui peuvent être répétées de nombreuses fois sans que la théorie puisse fixer une limite à la réapplication des procédés. En français par exemple, les deux constructions suivantes peuvent être réappliquées plusieurs fois : le syntagme prépositionnel en de : Le père de l’avocat du dentiste de la coiffeuse de... ; la phrase relative : L’homme qui a tué l’éléphant qui poursuivait la girafe qui a mordu la dame qui a un enfant qui tirait la queue du chat qui... On peut noter, toutefois, qu’au niveau de la performance le nombre de fois où il est possible de répéter ces constructions est limité par les exigences de la compré-
hension ; ce sera l’une des tâches de la psycholinguistique que de préciser
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 11
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où sont situées ces limites selon les circonstances.
N. Chomsky n’a pas été le premier à remarquer cette caractéristique du langage humain, mais il a été le premier à en tirer pour la construction de la grammaire la conclusion suivante : si les phrases sont en nombre infini, la grammaire, quant à elle, est nécessairement finie ; elle devra par conséquent posséder certains procédés lui permettant de rendre compte de cette créativité théoriquement illimitée.
Le rôle particulièrement important joué par la créativité dans la théorie de N. Chomsky est aussi un point sur lequel on peut montrer la différence entre le concept de langue au sens saussurien et la compétence chomskyenne.
Pour Saussure, tout l’aspect créateur du langage était renvoyé à la parole ; pour Chomsky, il existe deux sortes de créativité : d’une part la créativité gouvernée par les règles (qui appartient à la compétence et désigne la faculté humaine de pouvoir à tout moment
produire ou comprendre des phrases nouvelles), d’autre part la créativité qui change les règles (qui appartient à la performance et concerne tous les petits écarts produits par un locuteur lors de la mise en oeuvre de sa faculté de langage, les nombreuses déviations qui finissent dans certains cas par aboutir à un changement du système).
Une autre caractéristique de la grammaire est qu’elle doit pouvoir rendre compte de la compétence des sujets parlants à distinguer entre les phrases qui sont bien formées (on dit alors qu’elles sont grammaticales) et celles qui ne le sont pas. La grammaticalité (qui ne se confond pas avec la signification) est définie dans le cadre de la compétence, alors que, dans celui de la performance, on parlera d’acceptabilité. Celle-ci n’a donc pas l’aspect formel de la grammaticalité : elle ne concerne que ce qui est retenu comme
« correct » (non au sens normatif) par
le sujet parlant ou par le linguiste se fiant à l’intuition qu’il a de sa propre langue.
L’opposition langue/parole, d’une part, et l’opposition compétence/performance, de l’autre, ne doivent cependant pas faire perdre de vue que ces deux notions sont indissociables et que ce n’est que par l’examen de la parole-performance que l’on peut arriver à une connaissance de la langue-compétence.
Les différences théoriques entre les définitions des concepts de langue et de compétence entraînent un certain nombre de différences méthodologiques dans l’analyse de la structure de la langue proposée par les structuralistes, d’une part, et par les générati-vistes, d’autre part.
La structure de la langue
Langue, système de valeurs
La conception saussurienne a déterminé l’analyse de la structure de la langue telle qu’elle a été développée par ses continuateurs, les structuralistes. Elle entraîne une première conséquence dans l’analyse : chaque langue sera considérée comme un système spécifique irréductible aux autres systèmes ; en effet, il n’est pas possible de considérer que deux termes appartenant à deux langues différentes ont une valeur identique, puisque la valeur de chacun d’eux n’est déterminée que par le rôle qu’il joue à l’intérieur d’une certaine structure linguistique. C’est ainsi que le mot français veau n’a pas la « même valeur » que le mot anglais veal, puisque celui-ci appartient à une structure dans laquelle il s’oppose non seulement aux autres noms d’animaux, mais aussi à calf (qui désigne la bête tant qu’elle est vivante).
De même, deux sons appartenant
à deux langues différentes peuvent être relativement proches phonétiquement, mais les phonèmes ne seront pas nécessairement les mêmes, en raison de leur intégration dans des systèmes différents. Ainsi, le /i/ anglais (ex. it) est phonétiquement assez proche du
/i/ français (ex. prix), mais son rôle phonologique est tout à fait différent, puisque, d’une part, le /i/ anglais ne