— Elle ne peut pas rendre compte du fait que des phrases qui ont un aspect formel semblable peuvent être de
structures tout à fait différentes. Ainsi, les phrases L’enfant a été retrouvé par un malheureux clochard et L’enfant a été retrouvé par un heureux hasard ont une même structure : SN . SV . SP
(syntagme nominal, syntagme verbal, syntagme prépositionnel). Cette ressemblance superficielle ne permettra pas à l’analyse en constituants immé-
diats de montrer la différence fondamentale entre ces deux phrases : à la première peut correspondre une phrase
Un malheureux clochard a retrouvé l’enfant, mais il n’y a rien de tel pour la seconde.
— Il n’est pas possible, dans le cadre de l’analyse en constituants immédiats, de montrer que des phrases apparemment très différentes entretiennent en fait une certaine relation (ex. phrase active/phrase passive, dont l’aspect superficiel est différent).
— On ne peut rendre compte de la
notion de type de phrase. Il n’est donc pas possible d’établir que Est-ce que Pierre viendra ? Pierre viendra-t-il ?
Crois-tu que Pierre viendra ? sont trois phrases interrogatives obtenues à partir de l’affirmative Pierre viendra.
— Il est impossible d’établir la structure des constituants discontinus : ainsi, un constituant comme la négation en français, morphème unique re-présenté par deux éléments qui ne sont pas contigus, ne pourra pas être repré-
senté dans le cadre de cette analyse, fondée sur l’ordre linéaire de l’énoncé.
— Si certaines ambiguïtés peuvent être représentées par deux structures différentes, comme c’est le cas pour la phrase Je reçois le livre de Mauriac, dans laquelle le SP de Mauriac peut concerner soit le livre, soit l’origine de l’envoi — (je) (reçois) (le livre de Mauriac) ou bien (je) (reçois) (le livre) (de Mauriac) —, il en est d’autres qui ne peuvent pas être levées dans le cadre de cette analyse, par exemple : Cette critique de Chomsky est intéressante.
Le modèle génératif
C’est essentiellement dans Structures syntaxiques (1957) que N. Chomsky a fait ces critiques contre l’analyse en constituants immédiats. Dans Aspects de la théorie syntaxique (1965), il établit un nouveau type de grammaire fondé sur sa conception nouvelle de la compétence. Cette grammaire est dite « générative » parce qu’elle doit être conçue comme un mécanisme qui engendre les phrases d’une langue. La partie centrale de cette grammaire est donc la syntaxe, non seulement parce que c’est une conséquence directe de la conception de la compétence
intégrant la notion de créativité, mais aussi parce que les deux composantes interprétatives ne peuvent pas occuper cette place centrale : la phonologie, qui transforme les phrases produites par la syntaxe en suites phonétiques, et la sémantique, qui donne un sens aux phrases. La syntaxe les précède nécessairement, puisque la phonologie, pour donner une forme phonétique, suppose que les phrases soient déjà formées et que la sémantique, pour donner aux phrases une interprétation, suppose que l’on sache déjà quelque chose sur leur structure ; par exemple, si elles sont ambiguës, c’est-à-dire s’il y a deux structures syntaxiques possibles, il y aura deux interprétations sémantiques possibles.
La syntaxe, quant à elle, comporte deux parties : la base et les transformations. En effet, on postule l’existence d’une base dans laquelle, à chaque interprétation sémantique différente possible pour une même phrase, correspond une structure différente. Toute phrase ambiguë comporte dans la base deux structures différentes, qui, après l’application des transformations (les opérations qui se produisent dans la deuxième partie de la syntaxe), finissent par prendre une forme semblable. Prenons l’exemple du SN la critique de Chomsky, dont on a montré précédemment que l’ambiguïté
n’était pas représentable par l’analyse en constituants immédiats. Ce SN sera
« désambiguïsé » si l’on suppose dans la base les deux possibilités suivantes : 1o X critique Chomsky ;
2o Chomsky critique X.
Ces deux phrases deviendront
après application d’une transformation que l’on appelle nominalisation, puisqu’elle a pour effet de transformer une phrase en SN : 1o la critique de Chomsky de X (faite par X) ; 2o la critique de X de Chomsky (faite par Chomsky). Dans les deux cas, il y a ensuite effacement de de X. Cette phrase, qui n’est pas ambiguë dans la base (puisqu’elle possède deux structures parfaitement différenciées), l’est devenue dans la phrase réalisée.
Les règles contenues dans les deux
parties de la syntaxe sont très diffé-
rentes. Effectivement, la base donne une représentation des structures de phrase sous la forme de règles assez proches de celles de l’analyse en constituants immédiats. Les généra-tivistes ont reconnu que cette repré-
sentation de la syntaxe, si elle était insuffisante, puisqu’il y a des faits qui lui échappent, présentait malgré tout un grand intérêt, en particulier pour la représentation de la structure des phrases. Les règles de la structure des phrases sont de la forme X - Y, où la flèche signifie : chaque fois que l’on rencontre X, il faut le remplacer par Y. C’est ainsi que l’on pourrait avoir une grammaire simple du français permettant d’engendrer la phrase Le buffle court vite.
La dérivation de cette phrase nous permet de passer, en appliquant les règles, successivement à P ; SN . SV ; Dét . N . SV ; Dét . N . V. Adv ; le N . V . Adv ; le . buffle . V . Adv ; le . buffle . court . Adv ;
le . buffle . court . vite.
On peut donner une représentation graphique de cette dérivation sous forme d’indicateur syntagmatique : Les règles contenues dans cette
base doivent pouvoir rendre compte de la créativité du langage, c’est-à-dire qu’elles doivent être récursives. On dit qu’un symbole est récursif s’il figure de part et d’autre de la flèche dans la règle ; c’est le cas de l’élément Z dans les règles suivantes, où il peut être :
— récursif à droite : Z - A Z (type illustré par le SP en français) ;
— récursif à gauche : Z - Z A (type illustré par le génitif saxon en anglais) ; downloadModeText.vue.download 559 sur 577
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 11
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— auto-enchâssant : Z - A Z B
(type illustré en français par certaines constructions de phrases, comme
L’homme est mort, L’homme que
le chien a mordu est mort, L’homme que le chien que le chat a poursuivi a
mordu est mort. [Il faut remarquer que cette dernière phrase est à la limite de l’acceptabilité, même si elle est tout à fait grammaticale].)
La partie transformationnelle de
la syntaxe comporte des règles d’une nature différente. En effet, il ne s’agit plus seulement de règles de formation permettant de connaître la structure de la phrase, il s’agit de former les phrases effectivement réalisées.
C’est ainsi qu’un certain nombre
d’opérations qui n’étaient pas concevables dans la première partie de la syntaxe (permutations, effacements, additions) seront permises dans cette partie, puisqu’il ne s’agit plus de formation des phrases au sens structurel.
Les transformations peuvent être de deux types, selon qu’elles concernent une opération portant sur une seule phrase ou sur deux phrases : ce sont des transformations singulières ou des transformations généralisées. Comme exemple de transformation singulière : celle qui transformera la phrase active Pierre aime Marie en la passive correspondante Marie est aimée de Pierre.
Comme exemple de transformation gé-
néralisée : la coordination qui permet, à partir des deux phrases Charles mange une tarte, Charles mange un baba, de former la phrase unique Charles mange une tarte et un baba.
Les transformations généralisées
ont une importance particulière dans la grammaire du fait qu’il est toujours possible de pratiquer une transformation généralisée à partir de deux phrases qui sont déjà des produits de transformations généralisées : elles sont récursives. Ainsi, à partir de Charles mange une tarte et un baba et de Charles boit du sirop et du whisky, on peut produire la phrase Charles mange une tarte et un baba, et boit du sirop et du whisky.