d’Épire* et empire de Trébizonde*, contestaient leur autorité.
Ces prétentions ne faisaient pas
l’affaire des Latins, qui avaient de leur côté un empereur, Henri de Hainaut (1206-1216), frère et successeur de Baudouin de Flandre, tué en 1205, et un patriarche, le Vénitien Tommaso Morosini († 1211). À la fin de 1206, Henri pénétra en Asie Mineure, mais le danger bulgare l’obligea, l’année suivante, à conclure une trêve de deux ans avec son adversaire. Théodore connut la même bonne fortune du côté turc : au printemps 1211, il tua le sultan d’Iconium et dispersa son armée.
D’autre part, la guerre d’usure
entre Théodore et Henri de Hainaut se termina en 1214 par le traité de Nymphaion (auj. Kemalpaşa), qui, en fixant les frontières de deux empires, reconnaissait le droit à l’existence de celui de Nicée. De cet accord, Théodore allait tirer le plus grand profit : sa première démarche fut d’éliminer son voisin et compétiteur oriental David Comnène, qui, par suite du traité de paix, avait perdu le soutien des Latins, et d’annexer le territoire qu’il possé-
dait sur le littoral méridional de la mer Noire.
Par une diplomatie active et intelligente, il s’employa ensuite à renforcer de tous côtés sa position : il engagea des pourparlers avec Rome sur l’union des Églises, permit aux Vénitiens de commercer librement et en franchise sur tout son territoire, et épousa en troisième noces Marie, une fille de la régente Yolande, dont l’impérial époux, Pierre de Courtenay, avait péri dans les geôles épirotes. Ce mariage lui permit, à la mort de la régente (1219), de faire valoir, menaces à l’appui, les droits de sa femme sur Constantinople.
Sa démarche n’aboutit pas, mais le nouvel empereur latin, Robert de Courtenay, menacé à l’ouest par Théodore Ange d’Épire, signa un pacte d’amitié avec son beau-frère de Nicée Théodore Lascaris, et fut fiancé à une fille de ce dernier.
La suprématie de Nicée
Théodore Lascaris, ne laissant à sa mort (début 1222) que des filles, remit la succession à son gendre Jean III Vatatzès (1222-1254), un noble originaire de Thrace et apparenté aux Doukas.
Après la défaite infligée à Poima-
nenon, au sud de Brousse, aux frères de son défunt beau-père, qui tentè-
rent de lui ravir le trône avec l’appui des Latins, Jean III accapara presque toutes les possessions franques d’Asie Mineure et la plupart des îles de la mer Égée. Des troupes qu’il fit débarquer en Thrace enlevèrent des villes côtières et s’avancèrent jusqu’à Andrinople, qu’elles évacuèrent à l’arrivée de Théodore Ange d’Épire, qui se dirigeait vers Constantinople. La capitale ne dut son salut qu’à l’intervention du souverain bulgare Jean III Asen II : à Klokotnica, sur la Marica, Théodore Ange Doukas Comnène fut vaincu (1230) et fait prisonnier, et son empire fut ramené à ses anciennes frontières. Cette victoire, qui dégageait Constantinople, avait aussi pour effet de soulager Nicée en éliminant son rival le plus dangereux.
Jean Asen, bientôt vexé dans ses pré-
tentions de tuteur de l’Empire latin par l’élection de Jean de Brienne à la tête de ce dernier en 1231, fit alliance avec
Jean III Doukas Vatatzès et maria sa fille au fils du basileus, Théodore II Lascaris, à Gallipoli en 1235. Les deux compères s’emparèrent de places tenues par les Francs jusqu’à la Marica, ravagèrent le nord de la Thrace et vinrent même assiéger Constantinople par terre et par mer. Mais sans succès, car la brouille éclata entre les deux associés : Jean III Asen II, pré-
férant comme voisin un Empire latin moribond à un Empire grec restauré, se retourna contre Vatatzès et fit alliance avec les Francs. Nouveau revirement en 1237 ; à la suite d’une peste qui ravagea son royaume, le tsar bulgare scella la paix avec le basileus de Nicée.
La mort de Jean Asen (1241), qui laissait pour successeur un enfant de neuf ans, eut pour conséquence un affaiblissement de la Bulgarie, et Vatatzès en profita pour lancer une expédition contre Thessalonique (1242), où ré-
gnait l’insignifiant Jean Ange. Il ne put prendre la ville, ayant été rappelé par la nouvelle que les Mongols de Gengis khān* avaient envahi l’Asie Mineure et battu le sultan d’Iconium, mais l’entreprise ne fut pas sans effet : le basileus de Thessalonique renonça aux insignes impériaux et reconnut la suprématie de Nicée.
L’invasion mongole, qui fit les
pires dégâts dans les États voisins de Trébizonde et d’Iconium, épargna
l’empire de Nicée. Vatatzès profita de l’affaiblissement de ses rivaux pour s’emparer de la Macédoine et même
de Thessalonique (1246) : son dernier souverain, Démétrios, fut emmené
en Asie Mineure et remplacé par un gouverneur général, Andronic Paléologue. Les dernières années du souverain furent consacrées à parachever l’oeuvre de restauration : recouvrement de Rhodes sur les Génois (1249) et intervention contre Michel II d’Épire (1252) ; tractations avec le pape Innocent IV, disposé à sacrifier à l’union des Églises l’Empire latin agonisant.
À ses qualités de grand capitaine, Jean Vatatzès joignit celles d’un sage administrateur, et sa gestion intelligente valut à son peuple un bien-être que l’Empire byzantin n’avait pas
connu depuis longtemps. Il encouragea l’enseignement et montra un vif
intérêt pour les sciences, réprima les abus traditionnels de l’Administration, s’efforça de soulager la misère des classes les plus déshéritées, fonda de nombreux hôpitaux et des institutions charitables. À cause de cet amour des humbles, on le surnommera « Jean le Miséricordieux ». Pour garantir les frontières, il créa des biens militaires, qu’il confia à des soldats-paysans, et augmenta les effectifs de l’armée. Par une législation excellente, il encouragea l’industrie du tissage, l’agriculture et l’élevage. Pour restreindre l’importation de marchandises et, du même coup, soustraire son pays à l’hégémonie économique des villes italiennes, notamment Venise, tout achat de produits de luxe étrangers fut prohibé : on devait se contenter de la production nationale. La dévastation des États voisins par les Mongols fut aussi une aubaine pour Nicée : les Turcs payèrent en or et en marchandises ses produits alimentaires, ce qui mit l’Empire à l’abri d’une crise de numéraire.
Jean Vatatzès laissa le pouvoir à
son fils Théodore II Lascaris (1254-1258). Cet élève très doué du savant Nicéphore Blemmidès (1197-1272) fit de la cour de Nicée un centre scientifique qui attira un grand nombre d’esprits cultivés et favorisa une renaissance intellectuelle. Mais c’était un caractère violent et autoritaire, sujet en outre à des crises d’épilepsie : il multiplia les brimades envers les nobles et les chefs de l’armée dont il suspectait le loyalisme, imposa son autorité à l’Église grecque et témoigna à la papauté, dont le concours ne lui était pas nécessaire, la plus grande froideur. Il réussit à maintenir les conquêtes de son père : le sultan d’Iconium, après avoir soutenu le prétendant au trône, Michel Paléologue, fit la paix avec Nicée et sollicita même son aide contre les Mongols ; Théodore noua des relations diplomatiques avec ceux-ci et repoussa le tsar bulgare Michel Asen, qui avait annexé une partie de la Thrace et de la Macédoine (1256).
La restauration de
l’Empire byzantin
À sa mort (août 1258), la couronne échut à son fils Jean IV Lascaris, âgé
de sept ans ; la régence fut confiée à Georges Muzalon, favori et principal conseiller du basileus défunt. La haine que l’aristocratie vouait à ce parvenu causa la perte de la dynastie : le ré-
gent fut assassiné par des mercenaires francs en pleine église. L’organisateur du complot, le général Michel Paléologue, le remplaça. Élu basileus par les grands dignitaires à la fin de 1258, il relégua promptement l’héritier légitime dans un château du Bosphore et s’occupa de briser la triple coalition occidentale, Sicile, Épire, Achaïe, appuyée par la Serbie, qui mettait en jeu le sort même de l’Empire. De cette première épreuve, le nouveau souverain, Michel VIII Paléologue, se tira brillamment : à l’automne 1259, il écrasa ses adversaires à Pelagonia, en Macé-