La littérature latine proprement
dite commence dans un milieu saturé d’hellénisme avec la poésie, débutant simultanément par le théâtre et l’épo-pée. On prête une valeur de symbole à Livius Andronicus, Grec de Tarente venu à Rome comme esclave vers le
milieu du IIIe s., qui mit en vers latins l’Odyssée d’Homère et composa des
tragédies et des comédies. Son oeuvre, dont on ne possède qu’une soixantaine de vers isolés, si elle part du modèle des oeuvres grecques, en est une transposition véritablement latine. Autour de lui et après lui, d’autres poètes venus du Sud hellénisé s’essaient non seulement à imiter les grandes oeuvres de la Grèce classique, mais à leur prêter un accent romain : tel le Cam-panien Cneius Naevius (IIIe s.), dont les comédies font vivre les figures du petit peuple de Rome ; son épopée, le Poenicum bellum, est l’exaltation de la période héroïque où se joua le destin de l’Urbs contre Carthage. Tel aussi Ennius*, qui, en dépit de sa formation toute grecque, est le chantre enthousiaste de la grandeur romaine.
Ne pratiquant pas moins que ceux-ci l’imitation des Grecs, Plaute* écrit des comédies romaines par leurs détails de moeurs et leur morale utilitaire, qui est celle de tous les Romains de son temps.
Typiquement latine est également sa condamnation implicite de la « vie à la grecque ». Et sans doute Plaute, par son invention verbale, sa fantaisie, son génie comique, peut-il rivaliser avec ses modèles. Deux générations plus tard, Térence*, malgré sa finesse et son ingéniosité, ne l’égalera pas. Quant à la tragédie (Pacuvius et Accius, IIIe-IIe s.
av. J.-C.), elle exalte encore le sentiment national. Cette double orientation
de la poésie vers l’épopée et le théâtre se complète par l’introduction de la satire. Satura tota nostra est (« la satire est totalement nôtre »), dira Quintilien signifiant ainsi que la satire ne doit rien à un apport hellénique. Elle apparaît déjà dans une certaine mesure avec les saturae d’Ennius et trouve au IIe s. sa plus parfaite expression chez Lucilius, dont les préoccupations morales et la verve populaire s’accordent au mieux avec le caractère latin.
Mais, alors que la poésie compte
déjà des oeuvres remarquables, l’apparition de la prose reste timide, sauf dans les domaines de l’histoire et de l’éloquence. C’est à Caton* le Censeur (IIIe-IIe s.) que l’on doit les premières oeuvres de valeur de la littérature latine proprement dite. Cet adversaire intransigeant de l’hellénisme raconta sous le nom d’Origines la fondation des principales villes d’Italie et conçut l’histoire comme l’école de l’homme d’État. Son Traité sur l’agriculture, manuel d’économie rurale, vise à montrer que seule la terre peut former des hommes énergiques et de bons soldats. L’éloquence, influencée par les rhéteurs grecs, favorisés par une partie de l’aristocratie (ainsi le « Cercle des Scipions »), brille surtout avec les Gracques (IIe s.), dont Cicéron rapporte les traits les plus cé-
lèbres, et, peu après, avec Antoine et Crassus.
Il semble donc que ces deux pre-
miers siècles d’une littérature qui s’est haussée à la dignité littéraire se caractérisent par la volonté plus ou moins consciente des écrivains d’utiliser l’héritage grec — et encore l’héritage classique plutôt qu’hellénistique —
tout en cherchant à s’engager dans une voie nettement romaine aussi bien dans l’expression que dans le contenu intellectuel et moral. Il devait appartenir au siècle suivant de faire la synthèse de la culture hellénique et d’une tradition nationale : ce sera l’âge classique de la littérature latine.
L’âge classique
Le classicisme latin, alliage de qualités romaines et d’imitation grecque, commence paradoxalement à s’affirmer à une des époques les plus troublées de l’histoire romaine et correspond à un
niveau de culture élevé de la société.
Il parviendra à sa plénitude au début de l’ère impériale. Cette maturité des lettres latines s’épanouit en deux temps : d’abord, à la fin de la République, presque essentiellement dans la prose, puis, sous Auguste*, dans la poésie.
Les bouleversements politiques
et sociaux de la fin de la République n’empêchent pas — peut-être même
favorisent — l’éclosion d’une litté-
rature qui trouve une forme achevée dans l’éloquence comme dans l’histoire. L’éloquence, qui vit des luttes politiques, et l’histoire, qui en recueille l’écho, atteignent immédiatement un équilibre classique grâce à l’heureuse combinaison d’un art accompli — dû à une incessante méditation sur les chefs-d’oeuvre grecs — et d’une inspiration qui puise ses sources dans l’actualité. La figure de Cicéron* domine toute cette époque. Cet homme engagé met au service de ses dons l’élan passionné de ses convictions. Avant tout, il veut persuader et emporter l’adhé-
sion. Pour lui, la littérature est une arme de combat, et, comme telle,
admirablement entretenue. Simultané-
ment, dans un autre registre, celui de l’histoire, César* s’applique, avec une feinte impassibilité, à faire oeuvre de propagande. À peine quelques années plus tard, Salluste* aura peut-être plus d’intensité dramatique, mais non la limpidité césarienne, tandis que l’érudit Varron restera dans la tradition de l’ancien esprit romain.
La poésie républicaine doit son éclat à deux poètes presque contemporains qui se situent aux antipodes l’un de l’autre. Lucrèce*, dont la cosmogonie est celle d’un visionnaire inspiré, se situe comme un astre à part dans le ciel de Rome. Catulle (v. 87 - v. 54), dont la haute société raffinée et cultivée voit avec sympathie le néo-alexandrinisme, se distingue par son goût de l’art pour l’art et par sa facture savante. Mais il a su aussi être autre chose qu’un poète mondain : maintes pièces de ce jeune homme si doué émeuvent profondé-
ment par leur mordant, leurs accents douloureux, leur sensibilité exacerbée.
Enrichie par cette double influence,
la poésie va atteindre son apogée sous Auguste, comme si un pouvoir fort
entraînait nécessairement l’apparition de chefs-d’oeuvre. Du moins l’a-t-il facilité, et le fait qu’Auguste et Mécène protègent et encouragent le poète n’est sans doute pas étranger à la perfection des réalisations. Dominant de très haut la poésie augustéenne, deux hommes se détachent : Virgile*, chantre des vertus nourricières de la terre et des va-downloadModeText.vue.download 23 sur 573
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 12
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leurs guerrières et spirituelles de l’âme romaine ; Horace*, dont la sagesse et l’art de vivre sont la juste mesure du classicisme.
Consciente de la dignité qu’a ac-
quise la poésie, une nouvelle génération d’écrivains se porte vers les raffinements de la psychologie et s’attache à la souplesse de l’expression. La passion d’amour gouverne l’inspiration des poètes, et le distique élégiaque devient la forme privilégiée de cette poésie. Un ton personnel s’instaure pour peindre les tortures d’un amour malheureux. Sensibilité et sincérité, mélancolie voluptueuse et nonchalance caractérisent Tibulle, qui se rattache à Virgile. À peine plus jeune de quelques années, un autre élégiaque, Properce (v. 47 - v. 15), use d’un ton plus vigoureux : sa passion inquiète et fiévreuse pour Cynthia, les frémissements de son coeur tourmenté émeuvent singulièrement pour autant qu’ils offrent la chaleur de la vie. Le plus jeune des poètes augustéens, Ovide*, saura, lui aussi, à la fin de son existence et malgré sa facilité, être pathétique.
Cette grande floraison poétique
contraste avec le déclin de la prose.
Seule l’oeuvre de Tite-Live* a survécu.
La poésie est devenue pratiquement toute la littérature. Un poème est considéré comme une oeuvre de vérité, qu’il exalte la grandeur de Rome ou qu’il s’étende sur les ravages de la passion.