Les leçons de la Grèce ont été pleinement assimilées. Mais il reste que le régime impérial, après avoir suscité tant de talents nouveaux, va finir —
et c’est la conséquence inévitable de toute perte de liberté — par stériliser pour un temps les facultés créatrices.
De la dynastie julienne
aux Antonins
Après le siècle d’Auguste, en effet, les lettres latines semblent brusquement se montrer inférieures à elles-mêmes.
Le pouvoir croissant des empereurs a annihilé la liberté de l’inspiration.
Ce n’est probablement pas par hasard que peu d’oeuvres nées sous Tibère*
et Caligula* nous sont parvenues.
Elles n’avaient guère de titres pour mériter de passer à la postérité, si l’on excepte le recueil de Controverses de Sénèque le Père (v. 55 av. J.-C. -
v. 39 apr. J.-C.), les Fables de Phèdre (v. 15 av. J.-C. - v. 50 apr. J.-C.) et une littérature historique à vrai dire de second ordre (Velleius Paterculus, Valère Maxime, Quinte-Curce).
Mais sous le règne de Claude*, puis de Néron* apparaît un véritable renouveau, quelle que soit l’influence grandissante de la rhétorique, qui, devenant base de toute culture, s’exprime par un goût prononcé pour la virtuosité, les formules brillantes et paradoxales, le dédain de la composition. Ce renouvellement de la littérature est dû à des écrivains dont plusieurs sont d’origine espagnole — ce qui montre l’universalité de l’humanisme romain —, et notamment à Sénèque*. Ce maître à penser, philosophe autant que moraliste, joint à la hauteur de son inspiration une expression aussi souple qu’incisive. À la même époque, deux poètes renouent avec la grande tradition poé-
tique : ainsi Lucain (39-65), neveu de Sénèque, dont la Pharsale, malgré une rhétorique fatigante, contient des vers qui, par leur chaleur, leur puissance d’évocation, comptent parmi les plus beaux de la poésie latine ; ainsi Perse (34-62), dont l’enthousiasme généreux de ses Satires révèle une âme éprise d’idéal. Parallèlement, la prose prend un nouvel essor avec Pétrone († 65), l’arbitre des élégances de l’époque de Néron. Artiste-né, aussi doué pour la fantaisie et la bouffonnerie que pour les notations les plus délicates, Pétrone est, avec son Satiricon, le plus ancien représentant de la veine romanesque
latine que nous possédions.
Cette renaissance des lettres sous la dynastie julienne va se poursuivre avec les Flaviens et jusqu’aux premiers Antonins. Mais, dès lors, c’est une réaction classique qui l’emporte.
Elle a pour chef Quintilien, dont la cicéronienne Institutio oratoria prône le retour aux meilleurs écrivains, grecs et latins, tout en critiquant implicitement le « romantisme néronien ». C’est ainsi que les poètes néoclassiques du temps (Silius Italicus, Stace) tendent à imiter Virgile, ce qui n’empêche pas d’autres, plus vigoureux, de viser au réalisme satirique au prix d’un travail minutieux : Martial (v. 40 - v. 104) donne un recueil d’Épigrammes à la facture impeccable et dont la finesse de l’observation est sans égale ; quant aux Satires de Juvénal (v. 60 - v. 140), elles gardent toujours valeur d’actualité pour leur véhémence, leur ironie, leur indignation, tout en s’appuyant sur une étonnante puissance d’évocation. Cette force créatrice se retrouve dans la prose chez le « plus grand peintre de l’Antiquité », Tacite*, qui s’élève au-dessus de tous les écrivains de son siècle par sa pénétration psychologique et la mise en oeuvre d’un art très conscient. Mais, à la même époque, l’honnête homme
qu’est Pline le Jeune (63 - v. 114) pa-raît bien pâle et annonce déjà l’épuisement d’une littérature qui aura brillé de tous ses feux avant de s’étioler.
La décadence
Alors qu’au IIe s. la littérature grecque acquiert de nombreux titres de gloire, les lettres latines entrent dans une lente et irrémédiable décadence au moment de l’époque la plus prospère de l’Empire, c’est-à-dire sous les Antonins. Leur vitalité ne se manifeste pratiquement qu’en dehors de Rome
— en Afrique —, et, à part quelques rares exceptions — elles ne subsistent que par l’essor rapide de la littérature chrétienne.
Le déclin est total dans l’éloquence et dans la poésie. L’histoire (Florus, Justin) paraît survivre, mais, perdant toute hauteur de vues, elle tend de plus en plus vers la biographie, où s’illustre Suétone*. L’érudition, qui, au siècle
précédent, avait brillé avec Pline l’Ancien, garde encore quelque prix grâce à Aulu-Gelle. Le seul écrivain qui par son génie dépasse de loin son siècle reste Apulée (125 - v. 180), ce conteur-né dont le roman les Métamorphoses révèle une imagination très vive et une rare virtuosité. Précurseur du fantastique en littérature, Apulée, dans la lignée de Pétrone par le réalisme frappant de ses peintures de moeurs, dé-
bouche sur l’étrangeté du merveilleux.
Mais, désormais, les oeuvres de la latinité chrétienne vont reléguer dans l’ombre la littérature profane. Si, au IVe s., la prose peut s’honorer des Pa-négyriques des rhéteurs gaulois et de quelques discours (Symmaque), tandis que l’histoire (Ammien Marcellin) cherche à renouer avec la tradition de Tacite, c’est surtout par la poésie que survit la littérature : Ausone (v. 310 -
v. 395) a de l’aisance et un réel talent descriptif ; Claudien, le « dernier poète romain », dont l’inspiration est toute nourrie de Virgile, trouve spontané-
ment des accents qui, par leur fermeté et leur plénitude, atteignent une ampleur depuis longtemps oubliée. Avec lui s’éteint la littérature latine païenne.
Il appartient aux chefs-d’oeuvre inspirés par la foi nouvelle de lui apporter un nouveau souffle.
A. M.-B.
F Antiquité classique (les grands courants litté-
raires de l’) / Chrétiennes (littératures).
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latins du Levant
(États)
Nom donné à l’ensemble des États
chrétiens du Levant fondés par les croisés.
Origine
Après la conquête de Jérusalem en
1099, les chefs de la première croisade fondent quatre principautés franques : le comté d’Édesse (auj. Urfa), né de la prise de cette ville le 9 mars 1098
par Baudouin Ier de Boulogne, frère du duc de Basse-Lorraine, Godefroi de Bouillon (v. 1061-1100) ; la principauté d’Antioche, créée après la conquête de la ville de ce nom sur les Turcs le 3 juin 1098 par le prince italo-normand Bohémond Ier, qui en reste le seul maître ; le royaume de Jérusalem, issu de l’occupation de la ville sainte par les croisés le 15 juillet 1099 et de sa prise en charge par un « avoué du Saint-Sépulcre », titre modeste dont se contente Godefroi de Bouillon, mais auquel son frère et successeur, Baudouin Ier, substitue celui, plus prestigieux, de roi de Jérusalem, que doit lui reconnaître le patriarche pisan de la ville sainte, Daimbert († 1107), qui le sacre le 25 décembre 1100 dans la basilique de la Nativité à Bethléem ; enfin le comté de Tripoli, création progressive entre 1102