sente la politique des atabeks turcs de Mossoul : ‘Imād al-Dīn Zangī (1127-1146) et Nūr al-Dīn Maḥmūd (1146-
1174), qui entreprennent de réunifier la Syrie musulmane pour mieux rejeter à la mer les Francs, qui réagissent en accordant leur protection aux petits États musulmans dont l’indépendance est en jeu.
Maîtres d’Alep dès 1128, s’empa-
rant en 1135 de plusieurs places situées au nord de l’Oronte, Zangī attaque enfin en 1137 la forteresse de Montferrand près de Ba’rīn, dans le comté de Tripoli, et réussit à s’emparer de la personne du nouveau roi de Jérusalem, Foulques d’Anjou (1131-1143), gendre et successeur de Baudouin II. Paradoxalement la situation est rétablie grâce à l’intervention de l’empereur Jean II Comnène, venu pourtant assiéger Antioche en août 1137, afin de contraindre les croisés à respecter les termes du pacte de 1097, qui avait reconnu à Byzance la suzeraineté de la ville.
Conseillant du fond de sa prison au prince d’Antioche Raimond Ier de Poitiers (1136-1149) de prêter hommage au souverain byzantin, Foulques d’Anjou s’assure l’alliance de ce dernier et obtient par contrecoup sa libération, Zangī espérant ainsi ôter tout prétexte d’intervention à Jean Comnène. En
fait, la xénophobie dont les Latins font preuve à l’égard des Grecs à Antioche en 1138 ruine l’alliance franco-byzantin et contraint Foulques à chercher à Damas une alliance de substitution qui
contraint Zangī à lever le siège de cette ville le 4 mai 1140.
La mort accidentelle de Foulques
vers le 10 novembre 1143, la régence de sa veuve Mélisende (1143-1152)
au nom de leur fils aîné Baudouin III (1143-1163), l’incapacité de Jocelin II de Courtenay (1131-1150) permettent pourtant à Zangī, puis à son fils Nūr al-Dīn de reprendre l’offensive en li-quidant le plus exposé des quatre États latins du Levant : le comté d’Édesse.
Occupée temporairement par le pre-
mier le 23 décembre 1144, sa capitale est définitivement reconquise le 3 novembre 1146 par le second, qui en massacre toute la population arménienne avant d’enlever la place d’Artésie, qui protège Antioche vers le nord-est.
De la chute d’Édesse
(1144-1146) à la chute de
Jérusalem (1187)
La survie des États latins du Levant paraissant menacée, l’Occident organise alors la deuxième croisade* sous la direction de Louis VII et de Conrad III de Hohenstaufen, qui commettent l’erreur de s’attaquer, d’ailleurs en vain, en 1148, à l’État musulman de Damas, allié traditionnel des Francs, au lieu de chercher à éliminer définitivement leur ennemi principal : l’atabek d’Alep Nūr al-Dīn. Après le réembarquement de downloadModeText.vue.download 25 sur 573
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 12
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Louis VII en 1149, celui-ci reprend sa marche en avant, occupant aussitôt la moitié septentrionale de la principauté d’Antioche, avant de s’emparer, le 25 avril 1154, de Damas, dont le jeune Baudouin III a tenté en vain de sauver l’indépendance.
Maître d’Ascalon le 19 août 1153,
le jeune et habile roi de Jérusalem tente alors de reconstituer l’alliance franco-byzantine en épousant en 1158
Théodora Comnène, nièce de l’empe-
reur Manuel Ier Comnène, et en abandonnant le prince d’Antioche, Renaud de Châtillon (1153-1160), qui doit se reconnaître vassal du souverain
byzantin, lequel veut attirer sa cour à Antioche en 1159. Mais cette politique échoue, cette fois, du fait des Grecs, qui espèrent régner en Orient en se maintenant en position d’arbitres entre les Francs et les musulmans. En réalité, une telle attitude privilégie l’atabek, désormais maître de Damas, qui envoie son lieutenant Abū al-Ḥārith Asad al-Dīn Chīrkūh († 1169) au Caire prendre en main le gouvernement de l’Égypte, que les Fāṭimides ne parviennent plus à défendre. Cette politique d’encerclement des États latins par les Turcs est combattue à deux reprises avec succès en 1164 et 1167 par le frère et successeur de Baudouin III, Amaury Ier (1163-1174), qui réussit même à imposer son protectorat à l’Égypte en 1167 ; pourtant, elle triomphe finalement du fait même de la maladresse du roi de Jérusalem. Commettant l’erreur de
vouloir conquérir l’Égypte en octobre-novembre 1168, Amaury Ier provoque en effet l’appel du Caire à Chīrkūh, qui s’établit dans cette ville le 8 janvier 1169, où son neveu Saladin (Ṣalāḥ
al-Dīn Yūsuf [1138-1193]) lui succède le 26 mars. Dès lors, le sort des États francs du Levant est scellé.
Malgré l’énergie et l’héroïsme du roi Baudouin IV le Lépreux (1174-1185) et de son meilleur conseiller, le comte Raimond III de Tripoli (1152-1187), à deux reprises régent du royaume de Jérusalem (1174-1176 et 1185-86),
les Francs ne peuvent en effet empê-
cher Ṣalāḥ al-Dīn de parachever leur encerclement en enlevant aux Zangīdes Damas en 1176 et Alep en 1183, positions d’où il lui est possible de lancer en 1187 l’assaut final contre un royaume miné de l’intérieur par la folle imprudence du seigneur d’outre-Jourdain, Renaud de Châtillon, par la faiblesse du pouvoir royal, théoriquement exercé en 1185-86 par un enfant. Baudouin V, en fait par sa mère, la reine Sibylle, et par son second époux, Gui de Lusignan (1186-1192). Dénué de
sens politique et de talent militaire, le nouveau roi de Jérusalem est battu et fait prisonnier à Ḥaṭṭīn le 4 juillet 1187
par Ṣalāḥ al-Dīn, qui s’empare aussitôt des principaux ports chrétiens du littoral avant d’occuper, le 2 octobre 1187, Jérusalem, pourtant bien défendue par Balian II d’Ibelin. Seuls Tyr, Tripoli,
Tortose, Antioche et les forteresses des Hospitaliers : le Krak des Chevaliers et le château de Margat (al-Marqab), échappent au vainqueur. Mais pour
combien de temps !
Assises de Jérusalem
La tradition attribue aux premiers croisés la rédaction en français des « usages de leurs terres », recueillis par « ouï-dire et par usage » dans les « Lettres au Sépulcre » qui auraient été déposées au Saint-Sépulcre par Godefroi de Bouillon et qui auraient disparu lors de la prise de Jérusalem par Saladin (Ṣalāḥ al-Dīn Yūsuf) en 1187. En fait, les Assises de Jérusalem (et de Chypre)
[assise = status, « établissement »] auraient été élaborées progressivement grâce à la fois à l’activité juridictionnelle des cours du royaume (tel le concile de Naplouse de 1120) et au travail législatif du souverain et de ces mêmes cours. Exprimant en général la théorie d’une monarchie subordonnée et contrôlée, certaines de ces Assises sont pourtant favorables à la Couronne, telle l’Assise sur la ligèce d’Amaury Ier et l’Assise sur le balayage des rues, qui n’est d’ailleurs pas considérée comme légale au XIIIe s., les barons et les bourgeois ne l’ayant pas approuvée avant sa promulgation par le roi.
La première de ces Assises domine pourtant, selon M. Grandclaude, « toute la vie politique des deux royaumes (de Chypre et de Jérusalem) ; elle est la grande charte de l’Orient latin, qui marque le triomphe du monarque et de ses petits vassaux sur les grands barons ». Rédigés après le désastre, de 1187, quatre traités du XIIIe s. nous font connaître le contenu de ces Assises de Jérusalem : le Livre de Philippe de Novare, écrit sans doute avant 1253 ; le Livre de Jean d’Ibelin, qui développe le contenu du pré-
cédent vers 1253 ; le Livre au Roi, qui traite des droits et des devoirs réciproques du roi et de ses vassaux ; enfin, le Livre des Assises des bourgeois, qui embrasse le droit civil entre 1229 et 1244.
L’importance historique de ces documents est considérable, car ils nous font connaître non seulement le fonctionnement de quatre cours hiérosolymitains, mais aussi le droit féodal d’origine coutumière tel qu’en lui-même le texte l’a figé dans l’Orient latin au XIIe et au XIIIe s.