Le temps de la
reconquête (1187-1244)
L’arrivée d’un nouveau croisé, le marquis piémontais Conrad Ier de Montferrat († 1192), qui met Tyr en état de dé-
fense dès 1187, la libération et l’audace de Gui de Lusignan, qui ose mettre le siège devant Saint-Jean-d’Acre à la fin d’août 1189, l’intervention décisive de Philippe II Auguste et de Richard Coeur de Lion, qui font capituler la place le 12 juillet 1191, tous ces faits contribuent à assurer l’incroyable survie, au cours du XIIIe s., du royaume de Jérusalem, dont la capitale de fait est alors Saint-Jean-d’Acre. Les Latins disposent en outre, grâce au roi d’Angleterre, d’une base insulaire à l’abri des coups de main musulmans : l’île de Chypre*, érigée en royaume en mai 1192 au profit du malheureux Gui de Lusignan, qui renonce dès lors à disputer ses anciennes possessions de terre ferme au second, puis au troisième mari de la princesse Isabelle d’Anjou (1169-1205), fille cadette du roi Amaury Ier. Conrad de Montferrat, assassiné en 1192 par des Ismaéliens, puis Henri II de Champagne (1192-1197) sont en effet reconnus tour à tour souverains d’un royaume de Jérusalem dont la capitale leur échappe en fait et dont la survie côtière dépend désormais uniquement de l’aide que peut leur accorder l’Occident par l’intermé-
diaire intéressé des commerçants italiens, parmi lesquels dominent les élé-
ments pisans, génois et vénitiens, dont la présence est tolérée en fait par les Ayyūbides, qui trouvent un avantage économique certain à la survie de leurs comptoirs littoraux.
La dévolution par les barons palestiniens du royaume latin de Jérusalem au roi de Chypre, Amaury (Amauri II de Lusignan), qui épouse en 1197 la reine Isabelle Ire de Jérusalem, l’union du comté de Tripoli et de la principauté d’Antioche au profit de Bohémond IV
(† 1233), fils adoptif du comte de Tripoli Raimond III, qui hérite de la première de ces principautés en 1187
ou 1189 et de la seconde en 1201,
renforcent temporairement la posi-
tion des États latins, dont les souverains sont déçus par le détournement vers Constantinople de la quatrième croisade.
L’avènement en 1205 de la jeune
Marie de Montferrat, fille de Conrad de Montferrat et d’Isabelle Ire, qui régnera jusqu’en 1210, la rupture de la trêve franco-ayyūbide affaiblissent de nouveau le royaume latin et incitent alors le régent (1205-1210) Jean Ier d’Ibelin, sire de Beyrouth (1197-1236), à chercher des appuis extérieurs : celui du valeureux chevalier champenois Jean de Brienne, qui épouse alors Marie de Montferrat sur le conseil de Philippe II Auguste, celui de la papauté, qui organise alors une cinquième croisade dont les éléments regroupés sont lancés par le nouveau roi de Jérusalem à l’assaut de Damiette, qui succombe le 5 novembre 1219. Affolés, les Ayyūbides démantèlent toutes leurs forteresses palestiniennes, offrent d’évacuer toutes leurs possessions à l’ouest du Jourdain, y compris Jérusalem, en échange de cette ville. Convaincu du proche et total effondrement de l’islām, l’intransigeant et autoritaire légat Pélage organise vers Le Caire une expédition qui échoue, ce qui contraint Jean de Brienne, roi de Jérusalem (1210-1225), à évacuer ses conquêtes pour obtenir la libération de son armée encerclée (capitulation du 30 août 1221, évacuation complète le 7 sept.).
Ruiné, le roi de Jérusalem part alors chercher du secours en Occident, où il donnera en 1225 sa fille Isabelle en mariage à l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, qui s’octroie aussitôt la couronne de Jérusalem au détriment de son beau-père, qui, juridiquement, ne la détient qu’à titre de régent de sa fille.
Par des secours en hommes et en
argent d’abord, il contribue à la reconquête de Sidon (1227) et à la construction de la forteresse de Montfort par le grand maître de l’ordre Teutonique, Hermann von Salza (v. 1170-1239) ; par son intervention personnelle ensuite, dans le cadre de la sixième croisade, mais en accord en fait avec le sultan Malik al-Kāmil, à la recherche d’un allié contre son cousin le roi ayyūbide de Damas, l’empereur obtient par le traité de Jaffa du 11 février 1229
la cession de la seigneurie du Toron (auj. Tibnīn), du territoire de Sidon et surtout celle des trois villes saintes de Nazareth, Bethléem et Jérusalem, où il reconnaît aux musulmans la liberté du
culte avant de regagner l’Occident, le 1er mai 1229.
Monument de tolérance, cet accord
mécontente les barons du royaume,
dont le chef, Jean d’Ibelin, reproche à son auteur de lui avoir retiré la régence et la suzeraineté de Chypre lors de son séjour dans l’île en 1228.
Aussi, prolongeant en Terre sainte la querelle des guelfes* et des gibelins, Jean d’Ibelin entre-t-il en conflit avec les forces impériales, qu’il chasse de Beyrouth, puis de Chypre en 1232 ; le 12 juin 1243, son fils et successeur, Balian III, seigneur de Beyrouth (1236-1247), reprend enfin leur dernière place forte en Palestine : Tyr. Affaibli par ces querelles intestines, privé de souverain puisque les représentants de Frédéric II ont été chassés, le royaume latin de Jérusalem se transforme en une sorte de république féodale domi-downloadModeText.vue.download 26 sur 573
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 12
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née par la famille d’Ibelin. Sauvé par l’intervention de la croisade de 1239 et par la dissension ayyūbide, qui assure aux Francs la possession d’Ascalon en 1240, le second royaume franc de Jérusalem ne survit pas à l’intervention des Turcs Khārezmiens, qui enlèvent la ville sainte le 23 août 1244, Tibériade le 17 juin 1247 et Ascalon le 15 octobre 1247.
Ébranlées en Palestine, les positions franques le sont également en Syrie, où l’éviction de Raimond Roupên
(† 1219) de la principauté d’Antioche par Bohémond IV (1201-1216 et
1219-1233) provoque un conflit avec sa famille maternelle : celle des rois d’Arménie, qui contribue même à sa restauration temporaire (1216-1219) au temps de Léon II le Grand. Prolongé au temps de Bohémond V (1233-1251),
ce conflit annule les effets heureux de l’union des deux États francs d’Antioche et de Tripoli.
Agonie et mort des États
francs du Levant
(1247-1291)
Affaiblis par les querelles intestines, ces États reçoivent un dernier secours de l’Occident : celui du roi de France Louis IX. À l’issue de sa malencontreuse croisade* en Égypte (1249-
1250), le roi de France séjourne en effet au Levant du 13 mai 1250 au 24 avril 1254. Substituant son autorité morale personnelle à la puissance nominale de l’empereur Conrad IV de Hohenstaufen (1250-1254), le souverain restaure les fortifications des principaux ports francs : Acre, Césarée, Jaffa et Sidon, contraint à l’obéissance grands barons et ordres militaires et enfin négocie habilement avec les puissances musulmanes, exploitant en particulier l’hostilité des Ayyūbides de Syrie à l’égard des Mamelouks, qui les ont évincés d’Égypte en assassinant le 2 mai 1250
Malik al-Mu‘aẓẓam Tūrānchāh.
Spectaculaires, ces résultats ne survivent pas au départ du roi de France.
Toujours sous l’autorité nominale
d’un Hohenstaufen, le jeune Conra-
din (1254-1268), à l’autorité duquel se substitue en fait celle des rois de Chypre, Henri Ier (1218-1253) et Hugues II (1253-1267), le royaume latin de Jérusalem tombe, en fait, sous le contrôle des républiques maritimes italiennes, Gênes et Venise, dont la querelle pour la possession de l’établissement Saint-Sabas à Acre s’étend, de 1256 à 1258, à l’ensemble du Levant, où se constituent deux partis : celui des Vénitiens, soutenu par les sires d’Ibelin, maîtres de Beyrouth et de Jaffa, par les Templiers, par les Teutoniques, par les Pisans, par les Provençaux et par le prince d’Antioche, Bohémond VI ; celui des Génois, appuyé par Philippe de Montfort, seigneur de Tyr, par les Hospitaliers, par les Catalans et par Bertrand de Gibelet, vassal du prince d’Antioche. Révolté contre son seigneur, Bertrand est assassiné en 1258, sans doute à l’instigation de Bohé-