À la mobilisation de 1939, il devient chef d’état-major du général Bourret à la Ve armée, dont de Gaulle* commande les chars. Mais au début de
1940, de Lattre quitte son P. C. de Wangenbourg, en Alsace, pour prendre le commandement de la 14e division, avec laquelle, aux jours sombres de l’invasion, il portera de Rethel à la Loire de rudes coups à l’adversaire.
S’il admet l’armistice, qui le trouve à Clermont-Ferrand, il refuse qu’il soit sans appel. Commandant militaire du Puy-de-Dôme, il crée à Opme, en Auvergne, la première école de cadres qui veut donner aux jeunes Français fierté et confiance en eux pour les rendre capables, le moment venu, de reprendre la lutte. Promu divisionnaire en 1941, il est de nouveau appelé par Weygand, commandant en chef en Afrique du
Nord, et nommé commandant supérieur des troupes de Tunisie. Il n’y reste que quelques mois, car il soutient la thèse du désarmement par les Français des troupes allemandes de Rommel* au cas où, poursuivies par les Britanniques, elles chercheraient refuge sur ce territoire. En février 1942, de Lattre est mis à la tête de la 16e division militaire à Montpellier. En novembre, voulant
« sauver l’honneur des troupes placées sous ses ordres », il tente en vain de s’opposer à l’occupation de la zone libre par la Wehrmacht en violation des clauses de l’armistice. Désavoué par ses chefs, il est arrêté, condamné à
dix ans de prison par le tribunal militaire de Lyon et incarcéré à la prison de Riom, d’où il parviendra, avec l’aide de sa femme et de son fils, à s’évader le 3 septembre 1943. Le 18 octobre, un avion de la Royal Air Force le conduit en Angleterre, et, le 25 décembre, il arrive enfin à Alger, où il a été promu le 10 novembre général d’armée.
Nommé par le général Giraud* au
commandement de l’armée B, qui de-
viendra la Ire armée française, de Lattre va vivre avec elle l’époque la plus glorieuse de sa carrière. Dès le début de 1944, il crée à Doueira une école de cadres où se forgent des promotions de jeunes dont l’enthousiasme et la détermination feront de la Ire armée un remarquable instrument. Le 15 août s’ouvre avec les débarquements de Provence cette étonnante campagne de style
napoléonien que de Lattre conduira avec une exceptionnelle maîtrise. C’est d’abord en treize jours la Provence entièrement libérée, puis cette poursuite de 700 km qui, en trois semaines, conduira les divisions françaises de la Méditerranée aux Vosges, libérant au passage Lyon le 3 septembre, Dijon le 11 et prenant dès le 12 la liaison avec les forces débarquées en Normandie.
C’est aussi l’amalgame réalisé en
pleine bataille entre 250 000 soldats venus d’Afrique et 137 000 F. F. I.
issus des maquis de la Résistance ; il est concrétisé par la création, dès le 20 février 1945 à Rouffach, d’une autre école de cadres qui « insufflera à toute l’armée une ardeur nouvelle à la veille de sa campagne décisive ».
Après l’irruption en haute Alsace (nov.
1944), la défense de Strasbourg, la ré-
duction de la poche de Colmar (9 févr.
1945), la Ire armée franchit le Rhin le 31 mars dans la région de Spire, puis, en une ultime chevauchée, atteint le coeur même de l’Allemagne du Sud,
le Danube et pénètre en Autriche.
« Grâce à cet être assez fabuleux que nous appelions familièrement le « roi Jean », écrit son chef d’état-major, le général Valluy (1899-1970), nous, les assassinés de 1940, avons vécu une revanche que nous n’aurions jamais crue possible ! » Dans la nuit du 8 au 9 mai 1945 à Berlin, de Lattre contresignera au nom de la France la capitulation de la Wehrmacht. En juillet, la Ire armée,
baptisée Rhin et Danube, est dissoute.
Le 21 novembre, de Lattre est nommé chef d’état-major et inspecteur général de l’armée, à laquelle il veut donner un nouveau souffle de grandeur et d’efficacité, réformant les méthodes d’instruction des cadres, organisant celle des recrues, non plus dans les casernes mais dans l’ambiance tonique et vivi-fiante des camps légers.
Quand l’horizon s’assombrit de
nouveau, que les Alliés occidentaux éprouvent le besoin d’unir leurs forces, de Lattre, inspecteur général des forces armées depuis mai 1948, est nommé en octobre 1948, dans le cadre du traité de Bruxelles, commandant en chef des forces terrestres de l’Europe occidentale. Le 2 février 1950, alors qu’il vient d’avoir soixante et un ans, il est maintenu en activité sans limite d’âge : mais sa carrière semble s’achever à Fontainebleau dans l’auréole de ces hautes fonctions interalliées.
À l’automne, toutefois, une crise
s’ouvre brutalement en Indochine*, qui, à la suite des échecs subis à la frontière sino-tonkinoise, fait craindre le pire pour le corps expéditionnaire français. C’est alors que de Lattre, qui a tout à perdre et rien à ajouter à ses titres de gloire, accepte la redoutable responsabilité du poste de haut commissaire et de commandant en chef en Indochine. Le 17 décembre 1950, il atterrit à Saigon ; le 19, il préside à Hanoi un défilé des troupes qui viennent de se battre et réunit les officiers : « C’est pour vous que j’ai accepté cette lourde tâche ; à partir d’aujourd’hui, je vous garantis que vous serez commandés. » En janvier 1951, il inflige aux forces Viêt-minh une première et très lourde défaite à Vinh Yen, qui sauve le delta du Tonkin. Après avoir décidé de le protéger par une ceinture fortifiée, de Lattre porte ensuite son effort principal sur la création d’une armée vietnamienne : à l’empereur Bao Daï, au gouvernement et à la jeunesse du Viêt-nam, il demande de s’engager
totalement dans la guerre aux côtés de la France. À Singapour, le 15 mai, il s’efforce de convaincre Britanniques et Américains que le Tonkin est la clé de voûte du Sud-Est asiatique. Mais le 31, dans une nouvelle bataille que livrent les forces de Giap sur le Daï, son fils
unique, le lieutenant Bernard de Lattre, est tué en défendant à la tête de son escadron vietnamien le rocher de Ninh Binh. Cette mort frappe au coeur le général, qui n’en reste pas moins à son poste. Il se rend à Washington pour demander aux Américains leur aide maté-
rielle en Indochine et, au retour, s’ar-rête à Londres, puis à Rome, où il est reçu par Pie XII. Le 19 octobre 1951, il est de nouveau à Hanoi, surmontant le mal qui le mine, donne à tous un seul mot d’ordre, « foi et volonté », et lance l’offensive d’Hoa Binh, qui sera une victoire éclatante (nov. 1951). « Nous voyons le bout du tunnel », confie-t-il à un de ses officiers avant de rentrer à Paris pour se soigner. Il y arrive le 24 novembre, est hospitalisé le 19 dé-
cembre et s’éteindra trois semaines plus tard dans une clinique parisienne.
Sa personnalité de feu avait suscité bien des passions, mais cette mort aussi discrète que digne fut une sorte de ré-
vélateur qui désarma ses adversaires.
Ainsi, ce grand homme de guerre, qui a traversé la vie comme un boulet, terro-risant parfois, mais fécondant toujours, restera à la taille des hommes parce qu’il sut jusqu’au bout aimer et souffrir comme eux. Fait maréchal de France à titre posthume, le 15 janvier 1952, de Lattre est enterré auprès de son fils à Mouilleron-en-Pareds. Il avait publié en 1949 des Mémoires sous le titre Histoire de la Première Armée française.
P. A. V.
F Guerre mondiale (Seconde) / Indochine.
L. Chaigne, Jean de Lattre, maréchal de France (Lanore, 1952). / Jean de Lattre de Tassigny, maréchal de France (Plon, 1953). / B. Si-miot, De Lattre (Flammarion, 1953). / J. Dinfre-ville, le Roi Jean. Vie et mort du maréchal de Lattre de Tassigny (la Table Ronde, 1964). / S.