Le nouveau Premier ministre ne va pas tarder à bénéficier d’un renversement des conditions générales de l’économie, et la longue période de son pouvoir (jusqu’en 1911) coïncidera avec un développement sans précédent du Canada : dès août 1896, la découverte de l’or dans le lointain Yukon, même si elle n’engendre qu’une « ruée »
passagère, est un élément important pour liquider la « morosité ». Sur le plan commercial, Laurier n’hésite pas à fouler aux pieds les principes libre-
échangistes qui appartenaient, théoriquement, à la doctrine de son parti : un tarif préférentiel est accordé à la Grande-Bretagne, qui va développer considérablement les échanges avec son dominion. Les industries canadiennes vont bénéficier du protectionnisme qui s’instaure. Mais le Canada est plus intéressé par le développement de l’agriculture dans les grandes plaines. Cette dernière bénéficie de l’acclimatement de nouveaux types
de blé et de l’extraordinaire essor de l’immigration : grâce aux prolétariats de l’Europe centrale, elle passe de 21 700 entrées en 1896 à 189 000 en 1906.
Le développement du peuple-
ment conduit Laurier à cautionner les changements dans la carte politique du Canada : les provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta sont créées en 1905. Malgré un combat d’arrièregarde, Laurier renonce, ici comme
au Manitoba, à accorder un embryon d’enseignement en français aux minorités catholiques ; désabusé, il en viendra à avouer : « Nous sommes forcés d’arriver à la conclusion que le Qué-
bec seul est notre patrie parce que nous n’avons pas de liberté ailleurs. »
Pourtant, sur le plan de la politique étrangère, le Premier ministre marque d’abord avec éclat sa solidarité avec l’impérialisme britannique : bien que les sympathies du Québec, exprimées par Henri Bourassa (1868-1952),
soient massivement du côté des Boers, Laurier patronne l’envoi de plusieurs contingents de volontaires pour lutter contre ces derniers (1899). Cette fidé-
lité à Londres oblige Laurier à un dur sacrifice lorsque se pose le difficile problème de la frontière entre l’Alaska et
le Canada : pour ne pas créer de graves incidents entre Londres et Washington, qui en est déjà venu à envoyer ses
« marines » dans les régions contes-downloadModeText.vue.download 31 sur 573
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 12
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tées, le Premier canadien doit accepter les conclusions d’une commission favorable aux États-Unis (1903). L’incident achève de le persuader qu’il faut obtenir la plus large marge d’action possible pour Ottawa : un premier succès est pour lui la négociation directe d’un traité de commerce avec la France (1907). En 1909, un « département des Affaires extérieures » est établi à Ottawa, et la marine canadienne est créée, tout au moins sur le papier.
Ce nationalisme « canadien » s’op-
pose de plus en plus au nationalisme québécois d’Henri Bourassa, qui a
fondé le Devoir en 1910. Or, l’opposition catholique et française va se conjuguer avec celles des conservateurs anglophones et des milieux industriels lorsque Wilfrid Laurier, à la demande des Américains, va chercher à alléger le protectionnisme ; Rudyard Kipling lui-même sonnera son petit hallali, à la veille des élections de 1911 : « C’est son âme elle-même, télégraphie-t-il, que le Canada risque demain. » Les conservateurs sont élus partout avec une large avance.
Wilfrid Laurier refusera, pendant
la Première Guerre mondiale, d’entrer dans un cabinet d’union nationale
et restera jusqu’à sa mort le chef de l’opposition.
S. L.
R. Tanghe, Laurier, artisan de l’unité canadienne (Mame, Tours, 1960). / J. Schull, Laurier, the First Canadian (Toronto, 1965).
Lausanne
V. de Suisse, ch.-l. du canton de
Vaud*, sur le lac Léman ; 140 000 hab.
(Lausannois).
Au Ier s. av. J.-C. est attestée l’exis-
tence, sur les bords du lac, du vicus de Lousonna, qui jouait déjà le rôle de carrefour routier. À l’époque des grandes invasions, Lousonna changea de site ; les habitants, pour des raisons de sécurité, se réfugièrent sur des hauteurs dominant le lac Léman. Les deux ruisseaux le Flon et la Louve, par les dépressions qu’ils ont creusées, déterminèrent le site primitif de la ville. La Cité fut le noyau initial autour duquel s’agglomérèrent d’autres quartiers topographiquement bien délimités. L’extension progressive explique l’aspect particulier de Lausanne, « ville toute en montées et en descentes ». À la fin du VIe s., le dernier évêque d’Avenches transféra son évêché à Lausanne. Pendant près de neuf siècles, la ville resta une cité épiscopale autonome, distincte du reste du pays de Vaud lorsque celui-ci devint savoyard. Longtemps, les évêques de Lausanne restèrent des personnages de premier plan. L’influence de Lausanne, en Occident, était considérable. En 1275, la ville fut le lieu de la réconciliation entre l’empereur Rodolphe de Habsbourg et le pape
Grégoire X. L’année 1449 vit le duc de Savoie Amédée VIII, antipape sous le nom de Félix V, renoncer dans la cathédrale de la ville à la dignité pontificale au profit de Nicolas V, terminant ainsi un schisme de dix ans. Toutefois, dès 1368, la bourgeoisie locale s’était affranchie de l’autorité épiscopale et avait obtenu une charte urbaine. L’in-dépendance de la ville prit fin en 1536
lorsque Berne, en conflit avec la Savoie, occupa Lausanne. Berne imposa la Réforme. Lausanne devait rester ber-noise jusqu’en 1798, lorsque le Directoire mit fin au régime ancien en Suisse.
L’acte de médiation promulgué par
Bonaparte en 1803 déclara Lausanne chef-lieu de canton. À partir de cette date, l’histoire de la ville se confond avec celle du canton de Vaud et de la Suisse. L’année 1874 vit l’installation à Lausanne du Tribunal fédéral, la plus haute juridiction de la Confédération.
Au début du XXe s., le rôle international de la ville s’accrut. Lausanne fut le lieu de signature d’un certain nombre de traités : paix d’Ouchy (auj. quartier de la ville) entre l’Italie et la Turquie en 1912 ; traité de Lausanne entre cette dernière et les Alliés en 1923 ; confé-
rence des Réparations en 1932.
Malgré ce riche passé, Lausanne resta un gros bourg jusque vers 1850, n’abritant alors que 15 900 habitants (1709 : 7 400. Si, dans l’ensemble, Lausanne se présente comme une ville jeune, la vieille ville ne cesse de donner son caractère particulier à l’organisme urbain actuel. À la cité primitive s’ajoutèrent au cours du Moyen Âge les quartiers du Bourg, de Saint-Laurent, du Pont et de la Palud. Ces quartiers, situés sur leurs collines respectives, s’unirent au XVe s. C’est là que se trouvent les monuments les plus anciens : la belle cathédrale gothique (XIIIe s.), le châ-
teau épiscopal (XIVe-XVe s., auj. siège du gouvernement cantonal), etc. Après le passage à la Réforme, il se créa une académie de théologie protestante qui devint au XIXe s. l’université de Lausanne. Celle-ci a pour siège le palais de Rumine, vaste édifice élevé de 1898
à 1904, qui abrite en outre divers mu-sées scientifiques ainsi que le musée cantonal des Beaux-Arts, riche en
oeuvres des artistes vaudois (du XVIIIe au XXe s.). Tous les autres quartiers sont de création récente, à l’exception des villages annexés. La Louve et le Flon furent couverts au début du XIXe s. afin de gagner des terrains. L’essor urbain s’accéléra à partir de 1880, entraînant de gros travaux d’urbanisme. Le centre des affaires, toutefois, resta dans la vieille ville. La place Saint-François, obtenue grâce à la démolition d’un couvent de Franciscains, en est à peu près le centre. Là se groupent commerces, banques, poste centrale, restaurants. Du fait des difficultés topographiques, on dut installer la gare au sud du Bourg. Elle fut reliée, par une rampe à forte pente, à la gare de triage établie à Renens. Faute de place dans la ville, l’installation d’entrepôts, de réservoirs, d’usines se fit surtout à Renens, qui n’était encore, en 1850, qu’une commune agricole de 362 habitants, mais en comptait 17 100 en 1970.