De 29 400 habitants en 1880, la population de Lausanne est passée à 64 400
en 1910, 92 000 en 1942, 106 800 en 1950 et 140 000 en 1970. Sur ce dernier chiffre, 21,5 p. 100 étaient des étrangers (dont 12 300 Italiens). En 1970, seulement 9,2 p. 100 de la population sont d’origine lausannoise ; par contre, les Vaudois sont 36,6 p. 100
et les Confédérés 32,7 p. 100, montrant ainsi l’attraction de la ville sur l’ensemble de la Suisse. L’industrie et l’artisanat n’occupent que 25 p. 100
de la main-d’oeuvre (machines, imprimeries). Le bâtiment emploie près de 15 p. 100 des travailleurs. C’est le secteur tertiaire qui domine l’économie de la ville. Commerce, banques et assurances concentrent à eux seuls près du tiers des actifs. La ville compte de beaux magasins, attirant une clientèle lointaine, sans parler des étrangers de passage. Par ses services, Lausanne s’est hissée au premier plan des villes suisses. Les transports, les postes et l’hôtellerie fournissent du travail à 15 p. 100 de la population active. En 1970, l’hôtellerie a enregistré près d’un million de nuitées (dont 70 p. 100 par les étrangers). Ville de congrès et d’art (Festival international de musique), Lausanne joue un rôle croissant en Suisse. Le Crédit foncier vaudois, dont le siège est dans la ville, est la huitième banque suisse ; la Banque cantonale vaudoise, la onzième. La Interfood S. A. (Suchard-Tobler) se classe au treizième rang des entreprises industrielles suisses. Grâce au lac Léman, l’attraction de la cité, qui possède de nombreuses promenades et parcs, ne cesse d’augmenter. L’agglomération compte à présent seize communes, dont les plus dynamiques sont à l’ouest de la ville. Au total, l’agglomération réunit, en 1971, plus de 220 000 habitants, la part des communes périphériques dans le total ne cessant de croître.
F. R.
F Vaud.
Lautréamont
(Isidore Ducasse,
dit le comte de)
Poète français (Montevideo 1846 -
Paris 1870).
Jusqu’en 1860, on ne sait ce qu’il advient de lui. On le retrouve élève au lycée impérial de Tarbes (1860-1862), puis au lycée impérial de Pau. En 1867, il est à Paris pour faire des études à l’École polytechnique. De ce séjour à Paris, nulle trace, si ce n’est celle des différents hôtels qu’il habite. Il meurt
le 24 novembre 1870, pendant le siège de Paris.
Telle est la brève existence d’Isidore Ducasse. L’indigence de sa biographie a contribué à former la légende qui l’entoure. Il est tout à la fois « le passant sublime, le grand serrurier de la vie des temps modernes » (Breton),
« le commis voyageur du fantastique »
(J. Hytier), « un génie malade et même franchement un génie fou » (Remy de Gourmont).
Lautréamont ne laisse qu’un livre
unique, les Chants de Maldoror, deux fascicules intitulés Poésies, qui sont bien davantage une « préface à un
livre futur », et quelques lettres à son éditeur.
Les Chants de Maldoror (1869)
ne connurent pas l’accueil du public du vivant de l’auteur, car, selon les propres termes de Lautréamont, « une fois qu’il fut imprimé, il [l’éditeur] a refusé de le faire paraître, parce que la vie y était peinte sous des couleurs trop amères et qu’il craignait le procureur général ». Méconnu par ses contemporains, Lautréamont ne fut découvert qu’en 1890 par L. Genonceaux. Mais il ne trouvera une véritable audience qu’avec les surréalistes, dont il sera le maître à penser, le maître à vivre.
Les Chants de Maldoror se pré-
sentent sous la forme de six chants, composés de strophes qui semblent à première vue n’avoir aucun lien les unes avec les autres. À l’intérieur de chacune de ces strophes, les digres-sions ne manquent pas pour dérouter le lecteur et lui faire accroire qu’il downloadModeText.vue.download 32 sur 573
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 12
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s’agit bien d’un « génie malade ». La maladie de Lautréamont est d’avoir fait sauter l’ordre dit logique, la logique aristotélicienne habituelle, pour tenter d’établir, comme il le dit lui-même, une « rhétorique nouvelle ». Cette rhétorique nouvelle suppose au préalable une remise en question radicale de toute vérité, qui pourrait bien être
une « vérité partiale », que la force de l’habitude, la faiblesse de l’homme et surtout son hypocrisie ont établie une fois pour toutes.
Ce bouleversement radical de l’ordre existant se manifeste déjà au niveau de la création littéraire.
Au terme d’un romantisme exubé-
rant, au cours duquel l’écrivain s’est cru le détenteur souverain d’un secret qu’il se devait de révéler à un lecteur passif, Lautréamont prend à partie ce lecteur, dès le début de la première strophe, et le met dans l’obligation de participer à sa recherche et de s’interroger en même temps que lui sur son oeuvre en train de se faire. L’écrivain n’apporte plus de « message » ; il écrit pour connaître le « problème de la vie » et, ce faisant, il interrompt le cours de son récit pour faire part de ses doutes et de ses certitudes, pour dévoiler les rouages du fonctionnement de son écriture. Le récit ne subit plus de formes toutes faites, a priori, à l’inté-
rieur desquelles chaque effet est le produit d’une cause, prévue d’avance, selon un plan déterminé ; il suit le mouvement de la pensée, qui passe souvent du coq à l’âne, obéit aux impulsions les plus imprévues, sans perdre pour autant le but qu’il se propose d’accomplir. Le but de Lautréamont est d’« attaquer l’homme et celui qui le créa » : Dieu. Contrairement à l’opinion courante, l’homme « n’est composé que de mal et d’une quantité minime de bien que les législateurs ont de la peine à ne pas laisser évaporer ». Malgré sa liberté, son égalité et sa fraternité, la justice humaine ne peut enrayer une lutte d’intérêts sordides commandés par la vanité et le désir de gloire. C’est pourquoi Maldoror se décide à fuir les
« ruches humaines ». Mais il ne peut cependant rester seul. Il part à la recherche de son « semblable ». Et cette union parfaite à laquelle il aspire, il ne la trouve provisoirement qu’avec une femelle de requin. Pour ne plus être mêlé aux « marcassins de l’humanité », parmi lesquels il ne peut se reconnaître, il a recours à la métamorphose, ultime remède. Mais quand il se change en cygne pour rejoindre le « groupe de palmipèdes » qui se trouve au milieu du lac, ceux-ci le tiennent à l’écart. S’il
est parvenu à prendre leur forme, il est resté noir parmi les cygnes blancs, qui ne peuvent le reconnaître comme un des leurs.
Par voie de conséquence, Dieu « qui n’aurait jamais dû engendrer une pareille vermine », subit le plus grand procès de la littérature moderne.
Dieu, responsable des hommes,
puisqu’il les a créés, ne se préoccupe guère de leur situation. Il les laisse s’entretuer, se livrer à des « actes stupides », pendant que lui-même s’abandonne à des actions peu édifiantes : il admet qu’on l’insulte, sans souci de sa dignité divine, il se soûle, fréquente le bordel. La bassesse humaine peut trouver une justification : l’exemple vient de haut. Dieu, lui, est inexcusable.
Non content de ne pas vouloir éclairer l’homme sur sa condition, il le met dans l’impossibilité de la connaître par ses propres moyens, « jaloux de le faire égal à lui-même ». Lorsque Lautréamont tente d’écrire, il le foudroie et le paralyse pour lui interdire cette recherche qui lui permettrait d’apaiser cette « soif d’infini ».