On ne peut parler des Chants sans
considérer les Poésies, qui semblent les désavouer. « Je remplace la mélancolie par le courage, le doute par la certitude, le désespoir par l’espoir... » Cette négation n’est qu’un faux-semblant.
L’approuver serait ne pas tenir compte de l’ironie sous-jacente en permanence dans l’oeuvre de Lautréamont. L’ironie favorise en effet la distance vis-à-
vis de l’oeuvre, distance indispensable pour ne pas se laisser prendre au jeu es-thétisant de la littérature au détriment de la recherche de la vérité. Constamment, Lautréamont tourne en dérision ses plus belles envolées lyriques pour ne pas s’abandonner aux épanchements des romantiques, ces « grandes têtes molles ». L’ironie est, pour reprendre une définition de Maurice Blanchot,
« la garantie de la lucidité » nécessaire pour mener à bien son entreprise de démystification radicale de la réalité qui permettrait de pouvoir regarder en face, sans se laisser influencer par les
« préjugés », ces « nouveaux frissons qui parcourent l’atmosphère intellectuelle ». L’opposition apparente des Chants et des Poésies n’est que la mise
en évidence de l’impossibilité qu’il y a de séparer le bien du mal, l’ordre du désordre, la raison de la déraison.
Mais l’ironie est aussi une arme
de destruction. Elle autorise l’enfoncement des ongles longs de Maldo-
ror dans la poitrine d’un enfant « de façon qu’il ne meure pas », se jouant, sadique, de sa naïveté ; ou bien encore l’envahissement d’une armée de poux mise en mouvement par Maldoror pour attaquer la ville jusque dans ses fondements. Avant de parvenir à l’établissement de cette rhétorique nouvelle, il est nécessaire de saper ce qui existe, et plus particulièrement la société présente, dont ce long poème est une contestation au second degré.
Cette destruction systématique et
parfois terrifiante est beaucoup moins le fait d’un esprit malin ou malade qu’une volonté de provoquer la stupéfaction : « Ce sentiment de remarquable stupéfaction [...] j’ai fait tous mes efforts pour le produire. » Lautréamont, par le choc qu’il provoque sur le lecteur, contraint celui-ci à une interrogation sur les problèmes essentiels : Dieu, l’homme, le bien, le mal. Il le mène à une tension telle qu’elle peut le pousser à agir dans la pratique, car
« la poésie doit avoir pour but la vérité pratique ». Il n’est pas question d’obliger le lecteur à imiter le comportement stupéfiant de Maldoror, mais de faire en sorte que ce lecteur réagisse devant le récit des faits et des méfaits et qu’il en tire une « morale », de façon qu’ils ne se produisent plus. Mais surtout, par la composition même des Chants, Lautréamont ordonne une « logique »
qui n’est plus celle qui est limitée par les cadres prêts à penser, exemplaires, qui forcent l’homme à se soumettre à des lois qui ont prouvé depuis longtemps leur inefficacité puisque les hommes continuent de s’ignorer, que le créateur ignore l’homme et que le mal, malgré la morale moralisante, sévit encore, en dépit de tous les efforts réunis pour le camoufler. La « morale » dont il se fait le « défenseur énergique » est celle qui permettrait à l’homme d’être lui-même responsable de sa causalité et de suivre les pulsions et les impulsions qui lui sont commandées non par un ordre extérieur, qu’il soit divin ou
humain, mais par son propre désir, suivant une vérité qui ne serait plus celle des stéréotypes, mais des modèles qu’il découvre lui-même, peu à peu, et qu’il ne craindrait pas de mettre aussitôt en question, de la même manière que la phrase de Lautréamont se détruit au fur et à mesure de sa prononciation, dès qu’elle ne répond plus à cette exigence fondamentale qui est de « traquer avec le scalpel de l’analyse les fugitives apparitions de la vérité jusque dans ses derniers retranchements ». Celui qui a pu affirmer que l’on peut être « beau
[...] comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » a ouvert la voie à une poésie qui n’avait plus aucune commune mesure avec celle
de ses prédécesseurs. Par les cadres nouveaux qu’il trace déjà dans cette comparaison, Lautréamont permet la venue possible d’« une nouvelle race d’esprit » qui irait de pair avec l’avènement de cette « rhétorique nouvelle ».
C’est ainsi que le souhait formulé par Lautréamont pourrait devenir effectif :
« La poésie doit être faite par tous et non par un. »
M. B.
G. Bachelard, Lautréamont (Corti, 1939). /
M. Blanchot, Lautréamont et Sade (Éd. de Minuit, 1949 ; nouv. éd., U. G. E., 1967). / M. Pley-net, Lautréamont par lui-même (Éd. du Seuil, 1967). / F. Caradec, Isidore Ducasse, comte de Lautréamont (la Table ronde, 1970). / M. Cha-leil (sous la dir. de), Lautréamont, numéro spécial d’Entretiens (Subervie, Rodez, 1971). /
M. Philip, Lectures de Lautréamont (A. Colin, 1971). / R. Faurisson, A-t-on lu Lautréamont ?
(Gallimard, 1972). / C. Bouché, Lautréamont, du lieu commun à la parodie (Larousse, 1974).
Laval
Ch.-l. du départ. de la Mayenne ;
54 537 hab. (Lavallois).
À 292 km à l’ouest de Paris, Laval peut apparaître comme un exemple
intéressant de ville-marché vivifiée de nos jours par l’industrie, dans l’hinter-land de la capitale.
La ville occupe, sur la Mayenne,
une position d’étape. Adossée aux
deux versants de la rivière au point de
franchissement de la route de Paris en Bretagne, elle en tient le principal passage. Un pont en dos d’âne du XIIIe s. au pied d’un donjon, trois ponts routiers modernes, un viaduc de chemin de fer haut de 29 mètres soulignent dans le site la relation maîtresse. Au coeur du Bas-Maine, Laval est aussi un marché actif (fromage de Port-Salut, orges de brasserie). Ses foires, soutenues par une lucrative économie herbagère dans un bassin fertile, sont très animées (vaches amouillantes et veaux maigres pour la Normandie).
Son rôle régional consacré par sa
promotion départementale de 1790 et la création d’un évêché en 1855, la ville rassemble dans ses fonctions tertiaires 55 p. 100 de ses emplois (11 240
sur 20 376).
Laval n’a pourtant jamais trouvé
dans les avantages naturels de sa situation qu’un support assez mince. Prise en étau entre les deux carrefours pré-
cocement affirmés du Mans (75 km) et de Rennes (68 km), la cité n’apparaît que tardivement dans l’histoire, entre downloadModeText.vue.download 33 sur 573
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 12
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l’étape gallo-romaine d’Entrammes
sur la voie de l’Armorique au sud et le sanctuaire carolingien de Pritz au nord. Il faut le contexte troublé des luttes seigneuriales du IXe s. pour fixer le site urbain au pied d’un château face à la Bretagne (Vallum Guidonis, plus tard Laval-Guyon). Pressée par son bocage, la ville a souffert en outre de l’isolement. De ses environs partait, en 1793, la chouannerie, lancée par quatre frères contrebandiers. Laval a gardé de l’emprise de la propriété nobiliaire et de l’influence du clergé sur la vie locale une mentalité conservatrice.
La construction du chemin de fer en 1855 n’était elle-même pour son devenir qu’un coup de fouet passager. De 19 218 habitants en 1851, la population s’élevait à 30 356 en 1901, pour retomber à 27 464 en 1921 et à 28 380
en 1936, signes de récession d’autant plus inquiétants qu’elle était prolifique.
Aujourd’hui encore, le rayonnement de
Laval est contré par les actions concurrentes du Mans à l’est, de Rennes à l’ouest, d’Angers au sud, voire d’Alen-
çon au nord-est (Pré-en-Pail). La hié-
rarchie urbaine de la Mayenne repose moins sur l’autorité de Laval que sur la stagnation des autres localités du département (Mayenne, 12 315 hab. ; Château-Gontier, 8 220).