L’accélération rapide des changements sociaux et intellectuels va être à l’origine de la prise de conscience de Mao.
Cependant, il faut attendre son premier séjour à Pékin en 1918-19 pour voir s’affirmer le révolutionnaire professionnel. Grâce à un de ses anciens professeurs de Changsha, Mao obtient une place très modeste d’aide-bibliothécaire à l’université de Pékin. À ce titre, il dépend du bibliothécaire en chef, Li Dazhao (Li Ta-tchao) [1888-1927], qui est aussi l’un des leaders du mouvement révolutionnaire. Il est le tout premier à saluer la révolution d’Octobre en juillet 1918. Il sera aussi, un an plus tard, le premier à introduire en Chine l’étude du marxisme.
À l’université de Pékin, Mao côtoie, sans pouvoir les approcher, les grands noms de cette révolution culturelle : Chen Duxiu (Tch’en Tou-sieou), qui enseigne la littérature, Hu Shi (Hou Che), déjà célèbre pour avoir osé dé-
noncer l’écriture classique, et d’autres jeunes intellectuels décidés à renverser la vieille société confucéenne sclérosée.
Le jeune provincial qu’il est a beaucoup de mal à s’intégrer dans cette société brillante. Bien qu’il puisse suivre certains cours, il n’a pas de statut d’étudiant, et le fait qu’il s’exprime dans un dialecte du Sud le force à se tenir quelque peu à l’écart. Cela ne l’empêche pas de continuer de se cultiver. Sa pensée se radicalise, mais il n’a pas encore choisi une idéologie précise. Ainsi, il avoue avoir été pendant un temps (en 1918-19) séduit par l’anarchisme. D’autre part, il est à la
fois influencé par Chen Duxiu — pour qui toute libération passe par le rejet des « vieux principes » et l’adoption d’une attitude résolument jeune — et par Li Dazhao, dont le premier souci est de faire de la Chine une véritable nation.
Au début de 1919, Mao accompagne
à Shanghai (Chang-hai) des amis en partance pour la France et rentre au Hunan en mars. C’est à Changsha
(Tch’ang-cha) qu’il reçoit la nou-
velle de la manifestation du 4 mai 1919. Apprenant que les diplomates chinois ont accepté, au traité de Versailles, les conditions japonaises, des milliers d’étudiants ont manifesté à Pékin, criant des slogans violemment antijaponais.
Après l’arrestation de plusieurs
dizaines d’étudiants, le mouvement se développe sur l’ensemble du pays et touche non seulement l’intelligentsia, mais aussi les commerçants et les ouvriers des villes. À Changsha, Mao est l’un des principaux organisateurs des associations antijaponaises et anti-gouvernementales. Il édite un journal et rédige de nombreux articles écrits dans un style direct et simple. Lorsqu’il retourne à Pékin en décembre, il n’est plus un inconnu aux yeux des jeunes radicaux de la capitale.
L’année suivante, il retourne à
Changsha (Tch’ang-cha), où il est
nommé directeur d’une école primaire.
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 12
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Sa situation sociale se trouve considé-
rablement améliorée. C’est peut-être la raison pour laquelle il peut épouser Yang Kaihui (Yang K’ai-houei)
[† 1930], la fille d’un de ses anciens professeurs d’école normale.
Du Ier Congrès
du P. C. C. à 1927
En 1918 est créée à Pékin une Société pour l’étude du marxisme. Mao prend l’initiative en octobre 1919 de former un groupe semblable à Changsha ainsi
qu’une section des « Jeunesses socialistes ». En juillet 1921, le Ier Congrès du parti communiste chinois (P. C. C.) se réunit à Shanghai (Chang-hai). Une douzaine de représentants des diffé-
rentes provinces chinoises y assistent, ainsi que deux envoyés de l’Internationale communiste. Mao Zedong est l’un des douze membres fondateurs
du P. C. C., dont les effectifs sont à l’époque d’une soixantaine de militants. Le programme final souligne la nécessité de renverser les classes capitalistes grâce à l’armée révolutionnaire du prolétariat. Aucune alliance avec un autre parti n’est envisagée. De retour à Changsha, le nouveau secrétaire du P. C. C. au Hunan s’occupe surtout de l’organisation des syndicats ouvriers.
Cependant, dès 1922, l’attitude
du P. C. C. vis-à-vis du parti de Sun Yat-sen* (ou Sun Zhongshan), le
Guomindang (Kouo-min-tang), se
modifie considérablement. À Moscou, Zinoviev s’adresse aux représentants des deux organisations qui assistent au premier congrès des travailleurs d’Extrême-Orient et leur demande
de faire cause commune. Ce voeu est ratifié lors du IIe Congrès du P. C. C., qui a lieu à Shanghai et auquel Mao n’assiste pas, « ayant perdu l’adresse du rendez-vous ».
De son côté, Sun Yat-sen accepte
bien la collaboration des membres du P. C. C., mais sous la condition qu’ils entreront au sein du Guomindang en tant qu’individus. L’alliance entre le P. C. C. et le Guomindang, liée à un mouvement de masse sans précédent
en Chine, va permettre une clarification de la carte politique.
Si certains membres du P. C. C.
n’acceptent cette alliance qu’à contrecoeur, d’autres, et parmi eux Mao
Zedong, sont prêts à soutenir Sun Yat-sen, dont le premier mot d’ordre est de
« détruire l’impérialisme ». Le jeune militant communiste a toujours mis en effet la libération de son pays au premier rang de ses préoccupations.
Dès 1923-24, le rôle de Mao dans les divers organismes où il milite est loin d’être négligeable. Il dirige au sein du P. C. C. le bureau de l’organisation et est membre alternatif du Comité exé-
cutif central du Guomindang. À cette époque, justement, le parti de Sun Yat-sen est réorganisé par des conseillers venus d’U. R. S. S. et particulièrement par Borodine (1884-1953). À Moscou, en effet, on choisit de soutenir fermement le parti nationaliste, dont le caractère « révolutionnaire » est dès lors reconnu. Les communistes chinois aident au renforcement du « parti frère »
sans négliger d’élargir l’audience de leur propre organisation. Une soixantaine de membres en 1921, quelques centaines deux ans plus tard, ils seront plusieurs milliers en 1925. Parallèlement, les syndicats ouvriers prennent chaque jour plus de poids dans la vie sociale. Et la paysannerie elle-même, absente du grand mouvement du
4 mai 1919, s’éveille à la conscience politique. Mao, qui retourne dans son village en 1924, note cette évolution.
D’ailleurs, dès 1922, un autre militant communiste, Peng Pai (P’eng P’ai)
[1895-1928], avait commencé à organiser les paysans dans le Guangdong (Kouang-tong). De cette expérience naîtra plus tard le premier « soviet »
de paysans, celui de Hailugfeng (Hai-lou-feng), près de Canton, qui apparaît d’abord sous la forme d’une « association ». C’est probablement de cette époque que date la prise de conscience de Mao à propos du potentiel révolutionnaire des masses agraires.
En mars 1925, la mort de Sun
Yat-sen, « le père de la Révolution chinoise », dont le rôle unificateur s’était fait sentir, pose aux membres du Guomindang un problème d’orientation. Or, le 30 mai 1925, au cours d’une manifestation de protestation contre la mort d’un ouvrier chinois tué par un contremaître japonais, un officier anglais donne l’ordre de tirer sur la foule. Douze personnes sont tuées ; une cinquantaine sont blessées. À
Canton, le 23 juin, une cinquantaine de manifestants sont tués par la police franco-anglaise. Le résultat est non seulement un mouvement de boycottage qui touche particulièrement le port de Hongkong, pratiquement immobilisé pendant seize mois, mais surtout un état d’agitation grandissant dans les villes et les campagnes. La puissance du parti nationaliste et celle du P. C. C.
ne cessent de se développer, particulièrement au Guangdong. Une « armée
révolutionnaire » est créée. À la tête de l’académie militaire de Huangpu (Houang-p’ou), on a placé un jeune et brillant général : Jiang Jieshi (Tsiang Kiai-che, ou, usuellement, Tchang