tit à l’organisation, à Moscou, d’une exposition (Stephanos) qui annonce un tournant décisif dans la création de l’avant-garde. Après l’été de 1909, Larionov et Gontcharova forment le mouvement néo-primitiviste, au sein duquel chaque artiste développe sa propre vision de la vie des petites gens.
Gontcharova donne une ample fresque des labeurs saisonniers des paysans ou encore peint des icônes très colorées.
Larionov, lui, préfère les sujets tirés des villes provinciales avec leurs cours boueuses aux palissades en bois, leurs élégants et élégantes grotesques, leurs femmes opulentes, les soldats béats, les graffiti sur les murs. À partir de 1907, Larionov et Gontcharova participent à de nombreuses expositions de groupe.
En décembre 1910, ils sont, avec les Bourliouk, les organisateurs du « Valet de carreau », qui présentera un large panorama des artistes travaillant alors à la manière de Cézanne : Robert Falk, Piotr Kontchalovski, Aristarkh Lentou-lov, Aleksandra Exter.
À la suite de cette importante manifestation se produit une scission dans leurs rangs. Larionov et Gontcharova s’opposent aux Bourliouk, refusent d’être à la traîne de l’art européen. Dès 1911, ils forment un groupe à part, et Larionov montre tout seul 124 oeuvres (de 1905 à 1911) dans une exposition d’un jour à la Société d’esthétique libre de Moscou.
Après cette rupture, Larionov et Gontcharova organisent en 1912 l’exposition de leur groupe avec un titre provocant, « la Queue d’âne », par lequel ils soulignent leur ferme volonté de créer un art russe qui ne soit plus dépendant des mouvements artistiques occidentaux. Ils proclament leur profession de foi lors de débats publics, dans des manifestes, des déclarations, des brochures. Gontcharova, s’en prenant au « Valet de carreau », écrit :
« C’est une chose terrible quand on commence en art à remplacer le travail créateur par la création d’une théorie. » Le prestige de Larionov et de Gontcharova est considérable. Ils exposent en 1912 à Munich avec le Blaue* Reiter, groupe de Kandinsky* et de Franz Marc. Des peintres aussi personnels que Malevitch*, Tatline* et même Chagall* subissent alors leur influence. Mais, en 1913, c’est le triomphe du rayonnisme, dont Apollinaire dira qu’il apporte un raffinement
nouveau à la peinture européenne. La première toile rayonniste exposée fut le Sau-cisson et le maquereau rayonnistes de Larionov (l’Union de la jeunesse, Saint-Pétersbourg, déc. 1912 - janv. 1913).
Mais, en 1913, l’exposition du nouveau groupe de Larionov et Gontcharova, « la Cible », à Moscou, la publication du traité de Larionov le Rayonnisme, celle du recueil la Queue d’âne et la Cible, avec son manifeste provocant, imposent le rayonnisme, qui « a en vue, en premier lieu, les formes spatiales qui naissent de downloadModeText.vue.download 8 sur 573
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 12
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l’intersection des rayons réfléchis par différents objets, formes qui sont isolées par la volonté de l’artiste ». « Le rayonnisme efface les limites qui existent entre la surface du tableau et la nature. » Les deux peintres organisent aussi une grande exposition d’art populaire (icônes, loubok
[images d’Épinal russes]) et font découvrir le peintre naïf géorgien Niko Piros-manachvili. Parallèlement, ils illustrent depuis 1912 des livres futuristes, créant un genre nouveau où sont unies la graphie du texte et l’illustration, qui forment un ensemble pictural. Après une dernière exposition en 1914 à Moscou (No 4), ils viennent à Paris, où a lieu leur exposition à la galerie Paul-Guillaume (préfacée par Apollinaire). Larionov est ensuite mobilisé en Russie et blessé à la guerre. En 1915, tous deux quittent définitivement leur pays pour s’établir, quelques années plus tard, à Paris, où Larionov acquerra la nationalité française (1938).
Serge de Diaghilev, qui dirige les Ballets* russes et a déjà exposé leurs oeuvres à Paris (Salon d’automne de 1906), les attire au théâtre, où ils donneront désormais le meilleur d’eux-mêmes. C’est alors une série éblouissante de décors qui bouleversent l’art théâtral (Gontcharova : le Coq d’or, 1914 ; Sadko, 1916 ; les Noces, 1923 ; l’Oiseau de feu et Une nuit sur le mont Chauve, 1926 ; — Larionov : Soleil de nuit et Histoires naturelles, 1915 ; Contes russes, 1917 ; Chout, 1921 ; Renard, 1922). La force d’expression, la luxuriance des couleurs de ces décors, la richesse de leurs formes, puisées
dans l’art populaire russe, ont marqué l’histoire universelle de l’art.
J. Cl. M. et V. M.
E. Eganbiouri, N. Gontcharova-M. Larionov (en russe, Moscou, 1913). / V. Parnak, Gontcharova-Larionov, l’art décoratif théâtral moderne (Éd. la Cible, 1919). / C. Gray, The Great Experiment : Russian Art, 1863-1922 (Londres, 1962 ; trad. fr. l’Avant-garde russe dans l’art moderne, l’Âge d’homme, Lausanne, 1968). / Waldemar-George, Larionov (Bibliothèque des arts, 1966).
/ Gontcharova et Larionov, cinquante ans à Saint-Germain-des-Prés (Klincksieck, 1971).
/M. Chamot, Nathalie Gontcharova (Bibliothèque des arts, 1972). / V. Marcadé, le Renouveau pictural russe (l’Âge d’homme, Lausanne, 1972).
La Rochefoucauld
(François VI,
duc de)
Moraliste français (Paris 1613 - id.
1680).
« Pour parler de mon humeur, je suis mélancolique [...]. J’aurais pourtant, ce me semble, une mélancolie assez supportable et assez douce, si je n’en avais point d’autre que celle qui me vient de mon tempérament ; mais il m’en vient tant d’ailleurs, et ce qui m’en vient me remplit de telle sorte l’imagination et m’occupe si fort l’esprit que, la plupart du temps, ou je rêve sans dire mot, ou je n’ai presque point d’attache à ce que je dis » (Portrait de La Rochefoucauld par lui-même, 1659). La tentation est grande de tirer parti de ces lignes pour expliquer l’amertume d’une oeuvre.
Le désenchantement des Maximes
vient-il du caractère mélancolique de leur auteur ? Mais leur perfection la-pidaire est-elle conciliable avec cette part de rêve dont La Rochefoucauld nous fait part ? N’est-ce pas s’abuser que de croire qu’une humeur morose, une vie manquée, qui a vu l’homme de guerre insensiblement céder la place à l’homme du monde, dont les dernières années furent assombries par les deuils, malgré les joies de belles amitiés, doivent nécessairement aboutir à un livre cruel et douloureux ? Les déboires, les chagrins secrets d’une existence plutôt subie que dominée
indiquent tout au plus l’orientation des Maximes ; ils ne peuvent en faire comprendre la souveraine désillusion.
Méfions-nous de la tentation biographique. Il faut lire les pages du recueil pour ce qu’elles sont, sans y chercher à tout prix, avec l’aide de ce que nous pouvons connaître de l’homme, la
seule confession d’une âme inquiète.
L’amour-propre et les
contradictions de l’être
Sans doute, La Rochefoucauld dé-
nonce-t-il l’empire de l’amour-propre, selon lui raison ultime de notre condition, ressort permanent des individus, origine et fin de tous leurs actes. « Il est dans tous les états de la vie et dans toutes les conditions ; il vit partout et il vit de tout, il vit de rien ; il s’accommode des choses et de leur privation. »
Nos mobiles les plus cachés et même inconnus à nous-mêmes ne seraient
que l’expression de notre insatisfaction fondamentale de ne pas être appréciés pour ce que nous croyons être ; l’être ne saurait s’accomplir totalement que dans le paraître. Mais en rester là serait peut-être trouver une unité factice dans les Maximes. Celles-ci ne s’offrent pas exclusivement sous cet aspect monolithique, dans la fixité immobilisante d’une idée-force. L’amour-propre,
suivi de son cortège de serviteurs, qui sont l’intérêt, l’orgueil, la vanité, ne peut expliquer tout l’homme ; celui-ci n’est pas réductible à une motivation unique, si séduisante que soit l’hypothèse. Une lecture un peu attentive des Maximes permet de voir que, le principe de l’amour-propre posé, La Rochefoucauld s’ingénie à en atté-